Quel est le dictionnaire le plus vendu au monde ? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas d’un dictionnaire de langue anglaise mais d’un dictionnaire chinois, le Xinhua Zidian. Le mot Zidian signifie dictionnaire, alors que le terme Cidian désigne un lexique ou un guide de conversation.
La Chine possède une très ancienne tradition lexicographique, ainsi qu’en atteste le premier dictionnaire chinois conçu sous la dynastie Zhou, au troisième siècle avant J.C. En 1716, l’empereur mandchou KANGXI fait éditer le premier vrai dictionnaire de langue chinoise qui demeurera l’ouvrage de référence jusqu’au début du xxe siècle : le Kangxi Zidian. Suivront le Zhonghua Da Zidian en 1915 avec 48 000 entrées, puis le Cihai en 1936 avec 80 000 entrées.
À la proclamation de la République populaire de Chine, en 1949, le nouveau pouvoir est confronté à un problème majeur. En effet la population du pays est illettrée à près de 80 %, et la langue chinoise, divisée en dialectes, doit cohabiter dans certaines provinces avec des langues régionales comme le tibétain et le ouighour. Il est donc urgent pour le pays de se doter d’un outil lexicographique clair, facile à utiliser, accessible au plus grand nombre et en mesure de fournir une base lexicale commune à toute la Chine, le tout à un prix très modéré. C’est le Xinhua Zidian (“Chine nouvelle”) qui partage cette appellation avec l’agence de presse officielle de l’État chinois. Ce dictionnaire, publié pour la première fois en 1953, est rendu aujourd’hui à sa onzième édition ; il compte plus de 567 millions d’exemplaires vendus.
L’ouvrage a connu quelques déboires au cours de la Révolution culturelle. En effet les gardes rouges avaient apposé des autocollants sur sa couverture pour inciter les lecteurs à adopter un regard critique pour y débusquer les “idées capitalistes glissées dans le dictionnaire, [le] manque d’analyse des classes… et [les] conflits avec le climat politique actuel”. Après cet épisode, le ministre ZHOU ENLAI supervisera lui-même l’édition de 1971, dans laquelle seront insérées quarante proclamations de Mao et des extraits comme “Le peuple travailleur a pris en main son destin et est devenu maître de la société“. Au mot Liberté, les États-Unis seront décrits comme “dirigés par une classe dominante exerçant ses droits sur la classe ouvrière, laquelle ne pouvait se soustraire à leur domination”. La phrase : “J’ai hâte de rentrer chez moi” deviendra ainsi : “J’ai hâte de retourner à mon poste de travail”. Avec le temps, le dictionnaire finira peu à peu par être expurgé d’une grande partie de ses références idéologiques.
Moins partisans, les rédacteurs actuels du Xinhua prennent désormais en compte l’influence grandissante de l’anglais sur le chinois et des néologismes résultant de l’ouverture de la Chine à une culture internationale. Malgré une concurrence de plus en plus affirmée, le Xinhua reste la référence incontournable. Peu cher, il est coutume de dire qu’il coûte le prix de 500 grammes de porc. Grand classique, il fait partie des premiers livres qu’un enfant doit posséder en entrant à l’école. Chaque année, les écoles primaires organisent des épreuves de recherches lexicales qui mettent les élèves au défi de rechercher les définitions de mots pris au hasard en un minimum de temps.
Une partie des renseignements cités dans cet article est issue du site Planète chinois. Ci-dessous, une vidéo en anglais de 2016 attribue au Xinhua le titre de “dictionnaire le plus populaire du monde”.
S’il est le plus répandu, le Xinhua n’est pas le dictionnaire chinois le plus complet, titre qui revient au Xiandai Hanyu Cidian. Enfin, nous ne pouvions achever ce billet sans évoquer l'”impératrice” des encyclopédies, le Yongle Dadian, véritable monument de l’histoire lexicographique, élaboré à l’époque Ming. Cet ouvrage hors normes comprenait au final 11.000 volumes et 23.000 chapitres. Dans un billet à venir nous aurons l’occasion de revenir en détail sur ce “monstre”.