Les bibliothèques, cible des voleurs
Avec le feu, l’eau, les champignons et les insectes bibliophages, le vol est l’un des grands dangers qui menacent les collections de livres anciens. Comme déjà évoqué précédemment, certains ouvrages constituent des objets de grande valeur pécuniaire susceptibles de provoquer la convoitise de malfrats, d’escrocs et de vendeurs peu scrupuleux. L’actualité vient nous rappeler régulièrement que les bibliothèques représentent des cibles privilégiées pour les pillards car elles souffrent souvent d’un manque chronique de personnel et ne disposent pas toujours des moyens financiers qui leur permettraient de se doter de systèmes de surveillance adéquats. Circonstance aggravante : la mutilation ou la disparition de certains livres anciens qui ne sortent que rarement de leurs réserves peut échapper longtemps aux bibliothécaires, d’autant que les enregistrements des caméras de surveillance sont souvent automatiquement effacés au bout de quelques semaines. Enfin certains fonds ne sont pas correctement inventoriés, et il arrive même que certains ouvrages ne soient pas estampillés. Autant de failles qu’un homme audacieux sans scrupule peut être tenté d’exploiter ainsi que nous allons vous le raconter…
Les dépeceurs d’atlas
Le 14 mai de cette année, sept ressortissants hongrois ont comparu devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. Entre 2011 et 2013, les membres de ce gang, équipés de faux papiers et dissimulant des lames de cutter sous leurs ongles, écument plusieurs grandes bibliothèques françaises, d’Albi à Dijon, de Lille à Narbonne, en passant par Coutances, Toulouse, Besançon, Nancy et Nantes. Demandant à consulter des atlas anciens, ils découpent soigneusement des cartes pour pouvoir les emporter. C’est un banal contrôle routier effectué par les douaniers hongrois en novembre 2012 qui permettra de mettre au jour ce trafic et de récupérer 110 cartes qui avaient été volées à la bibliothèque du Périgord à Toulouse (ci-dessous la conservatrice de Toulouse présentant des ouvrages mutilés).
Malgré ce coup d’arrêt, les vols se poursuivent quelques mois durant notamment à Besançon où 86 cartes sont dérobées en une seule journée. Mais l’étau se resserre et, en juin 2013, des arrestations simultanées ont lieu en France et en Hongrie. Selon leurs premiers aveux, les voleurs agissaient sur commande de collectionneurs privés, mais nous ne possédons aucune autre précision car pour l’heure les investigations sont toujours en cours. Ce pillage, caractérisé par son ampleur et son caractère très organisé, s’est traduit au final par un préjudice global de plus de trois millions d’euros.
La méthode employée dans cette affaire n’est pas sans rappeler celle utilisée par un certain Melvin Nelson PERRY, lui aussi spécialisé dans le “prélèvement” de cartes géographiques. Avant son arrestation en 2001, cet homme avait pendant plusieurs années écumé les bibliothèques d’Helsinki, de Londres, de Copenhague, de La Haye et de Stockholm.
Un voleur en série
Au cours de l’année 1981 un “serial robber” est activement recherché par le FBI qui a émis un avis de recherche, relayé par le Library journal, à l’encontre de James Richard SHINN (ci-dessous).
Traînant un lourd passé de petit malfrat et de cambrioleur, ce dernier s’est spécialisé dans le vol et le trafic de livres anciens. En avril 1981, il est surpris à l’Oberlin college library en train de passer un détecteur de métal sur des ouvrages afin de les démagnétiser pour pouvoir les placer dans une valise et quitter la bibliothèque sans encombre. Il est arrêté, et dans sa chambre d’hôtel les policiers retrouvent 73 livres rares dérobés dans trois bibliothèques, ainsi qu’un reçu de 15 000 $ établi par un libraire de Boston.
Après avoir payé une caution de 40 000 $, notre homme est relâché en juin, et il disparaît aussitôt dans la nature. Renouant avec ses vieilles habitudes, il se rend dans une nouvelle bibliothèque le 7 décembre suivant, mais, sans doute trahi par une carrure hors du commun, il est reconnu par une employée et, comprenant qu’il a été repéré, il parvient à s’enfuir avant l’arrivée de la police. Pas découragé pour autant, il tente de nouveau sa chance le 16 décembre à la Haas Library et se fait arrêter par les services de sécurité. Gardé à vue dans les bureaux, il profite d’un instant de relâchement dans la vigilance de ses gardiens pour se ruer dehors, non sans avoir fait tomber de sa poche plusieurs papiers dont le reçu de sa chambre d’hôtel. C’est là que la police le dénichera quelques heures plus tard.
Outre 26 livres volés, on y découvre un dossier de 154 fiches de livres correspondant à ses futures “acquisitions”, des fioles de vernis et des produits destinés à dissimuler ou effacer marques et cachets. Dans ses dossiers se trouvent également des fac-similés de pages de titres, destinées à remplacer celles impossibles à modifier.
L’affaire ne s’arrête pas là, car le FBI reçoit un appel d’un loueur de consignes qui a reconnu en SHINN un de ses clients. C’est ainsi que sont retrouvées plusieurs caisses contenant 400 livres de valeur, ce qui confère une dimension spectaculaire à cette affaire de vol. En octobre 1982, SHINN, qui a plaidé coupable, écope d’une peine de 20 ans de prison qu’il ne purgera cependant pas jusqu’à son terme. Mais son parcours aura eu le mérite de mettre en évidence les mauvaises conditions de sécurité dans de nombreuses bibliothèques et permettra de revoir les procédures d’accueil et de consultation en y installant des moyens de protection plus sophistiqués. Si vous voulez plus de détails sur cette histoire, consultez cet article d’Atlas obscura.
Le casse du siècle dans le monde des livres
Pour finir ce premier billet, nous allons évoquer un autre vol intervenu il y a deux ans, dont on peut dire qu’il s’apparente à un “casse” digne d’un scénario de film hollywoodien. Dans la nuit du 29 au 30 janvier 2017, un entrepôt sécurisé de Feltham dans lequel des antiquaires et des libraires spécialisés ont stocké des livres précieux en prévision d’une foire internationale du livre ancien qui doit se tenir en Californie, est visité par trois cambrioleurs particulièrement audacieux et bien organisés (ci-dessous le résumé du vol dans le Daily Mail).
Après être grimpés sur le toit, les monte-en-l’air percent les vitres en fibre de verre renforcée, descendent en rappel avec des cordes en prenant grand soin d’éviter les détecteurs de mouvement, et se rendent directement vers les six coffres scellés contenant les livres précieux. Ils en forcent quatre et prennent le temps de choisir soigneusement 160 documents identifiés sur une liste en leur possession, comme l’attestera la vidéosurveillance. Une fois les sacs chargés dans une camionnette, les membres du commando disparaissent et n’ont pas été retrouvés à ce jour. Le butin de ce vol, stupéfiant par son mode opératoire, est estimé à une valeur financière de deux millions de livres, un revendeur italien ayant perdu à lui seul 680 000 livres. Parmi les chefs-d’œuvre dérobés figure une très rare édition de 1566 du De revolutionibus orbium de COPERNIC. Cette opération magistralement exécutée soulève beaucoup de questions : qui peuvent être les commanditaires d’œuvres aussi rares, impossibles à écouler sur le marché ? Ces vols sont-ils liés à d’autres vols atypiques qui se seraient déroulés en Russie, en Pologne et en Ukraine ? Comment les voleurs ont-ils obtenu des informations aussi précises sur leurs cibles ?
Mise à jours du 12 octobre 2020 : suite à plusieurs arrestations, dont celle du chef de réseau, un gang de cambrioleurs roumains a été démantelé au cours du mois de septembre. Ils s’agirait des voleurs de Feltham. 200 livres anciens placés dans des sacs plastiques dissimulés dans une fosse bétonnée recouverte de gravats ont été retrouvés dans le Nord-Est de la Roumanie. Voir ici l’article de France info sur le sujet
L’ennemi de l’intérieur
Si le danger pour les bibliothèques est le plus souvent venu de l’extérieur, il est hélas des cas où les prédateurs sont tapis au sein même de l’institution. Dévoyant le sens même de leur fonction, des employés et des responsables n’ont pas hésité à puiser dans les trésors dont ils avaient la charge. Dans un second billet, nous présenterons le parcours tortueux de plusieurs de ces “brebis galeuses” qui ont profité de leur situation et de leur position pour dérober et revendre des documents anciens.
J’aime beaucoup votre article très bien documenté.
Pensez à marquer vos beaux livres par une estampille en relief qui est non-traficable, cela ne l’empêchera d’être volé, mais au moins tout trafic ultérieur.
Et si j’osais, j’inviterai vos lecteurs pour voir une petite vidéo ((humoristique) de Mr BEAN à la bibliothèque :
https://www.youtube.com/watch?v=RyDY0hiMZy8
Bravo et à bientôt.
Pierre De WITTE de http://www.dico-collection.com