Décédé le 14 mars dernier, l’astrophysicien Stephen HAWKING avait ainsi résumé la destinée de l’espèce humaine : « Nous sommes juste une race avancée de singes sur une planète mineure d’une étoile très ordinaire. Mais nous sommes capables de comprendre l’Univers. Cela fait de nous quelque chose de très spécial. » Depuis que l’être humain observe la voûte céleste et les étoiles, il cherche à interpréter et à comprendre ces phénomènes dans le but d’établir un système cosmographique cohérent. Inévitablement, la question de savoir si une autre forme de vie, ou même une autre civilisation, peut exister quelque part dans cette immensité taraude l’humanité depuis toujours. Nous trouvons les plus anciens témoignages connus de cette interrogation dans l’Antiquité, chez les philosophes et même dans la mythologie.
Les progrès de l’astronomie scientifique, l’invention de lunettes astronomiques de plus en plus performantes, l’envoi dans l’espace de satellites et autres véhicules spatiaux ont désormais réduit à néant les mythes des Sélénites, des Vénusiens et des Martiens qui, pour ces derniers, conservent malgré tout leurs “fan clubs” d’irréductibles. L’humanité a pris clairement conscience de l’immensité d’un espace au regard duquel notre pauvre planète semble bien dérisoire. Cette impression s’est encore renforcée de nos jours, car les images capturées au milieu des années 90 par Hubble Deep Field ont permis d’estimer que l’univers observable contenait entre 100 et 200 milliards de galaxies, chacune contenant plusieurs centaines de milliards d’étoiles. Ces conclusions sont vertigineuses, d’autant que des travaux récents révisent ces chiffres à la hausse, les estimant dix fois supérieurs !
La question d’une vie extra-terrestre est une hypothèse prise au sérieux par les agences spatiales, mais la question fondamentale qui se pose à elles, en plus de celle du rapport distance-temps, est de savoir comment et par quel biais il serait possible de contacter d’éventuelles civilisations extra-terrestres.
Engagé en 1958, le programme Pioneer avait pour mission initiale d’envoyer des sondes vers différentes planètes du système solaire. À partir de Pioneer 10 lancée en 1972, l’objectif est désormais de partir à la découverte des planètes externes. Cette sonde a la particularité de contenir un message destiné à d’éventuels “voisins”, terme très relatif dès qu’il s’agit de l’espace. Il est constitué d’une plaque en aluminium et en or de 230 millimètres de largeur sur 152 millimètres de hauteur, protégée des poussières et de l’érosion. Tout l’intérêt de ce support réside dans les inscriptions dont il est porteur.
À droite du dessin, un homme et une femme sont représentés nus à l’échelle de la sonde. L’homme lève la main droite comme pour faire un salut, geste qui permet de montrer que l’espèce humaine est dotée d’un pouce opposable. À gauche du couple, la position du Soleil est indiquée par rapport à quatorze pulsars et au centre de la galaxie. En haut à gauche est représentée une transition hyperfine de l’atome d’hydrogène, qui donne une longueur d’onde de 21 centimètres, destinée à servir d’unité de mesure. À droite de la femme figure une numérotation binaire équivalant à huit fois la longueur d’onde de la raie de l’hydrogène précédent. Les pulsars sont identifiables par leur fréquence de rotation en binaire exprimée comme un multiple entier de celle de la raie à 21 centimètres. En bas, le système solaire et la planète d’origine de la sonde sont représentés avec les distances relatives des planètes. L’envoi d’un tel message dans l’espace a suscité bien des polémiques, notamment sur la nudité des personnages et sur le fait que la femme apparaisse sans sexe apparent et en retrait par rapport à son compagnon.
La sonde Pioneer 11 lancée en avril 1973 est porteuse du même message. Mais l’humanité doit s’armer de beaucoup, beaucoup de patience, car Pioneer 10 a dépassé en 1983 l’orbite de Neptune, dernière planète du système solaire, et le dernier contact enregistré avec elle date de 2003. La sonde devrait atteindre Aldébaran, la première étoile sur sa trajectoire, dans deux millions d’années ! Quant à Pioneer 11, ses appareils ne transmettent plus depuis 1995, mais nous savons qu’elle poursuit sa route et qu’elle est actuellement à plus de 14 milliards de kilomètres de la Terre.
Les projets d’exploration spatiale et de communication avec les lointaines galaxies ne se sont pas interrompus avec la fin du programme Pioneer en 1978. Le programme Voyager qui lui a succédé, encore plus ambitieux, a prévu de transporter un message beaucoup plus élaboré : une véritable mini-encyclopédie visuelle et sonore.
Il ne s’agit plus d’un simple message basique, mais d’un véritable petit panorama de l’humanité et de ses réalisations. Certes son échelle est réduite, et la sélection effectuée par des scientifiques très subjective et élitiste, mais l’objectif de cette encyclopédie d’un nouveau type est clair : donner un résumé “intelligible” et général de la Terre et de ses habitants. Ses informations sont contenues dans un disque en cuivre recouvert d’aluminium et plaqué-or, lui-même protégé par un couvercle gravé qui reprend les informations déjà présentes sur la plaque de Pioneer et en donne de nouvelles comme les données techniques nécessaires pour pouvoir lire le message.
Le disque lui-même, accompagné d’un stylet pour sa lecture, contient des atomes d’uranium 238. Cet isotope, d’une période radioactive de 4,5 milliards d’années, peut permettre de dater le message. La sonde Voyager 2 a été lancée le 20 août 1977, et Voyager 1 le 5 septembre de cette même année, sur une trajectoire différente.
Un comité scientifique, présidé par l’astronome Carl SAGAN, a passé près d’une année à sélectionner le contenu du disque. La démarche n’était pas aisée, car la sélection était forcément limitée et la question qui se posait était de savoir comment un être totalement étranger à notre monde et à notre culture pouvait décrypter ce qu’il pouvait voir et entendre. Rappelons-nous que nous sommes toujours en peine de nous expliquer de manière certaine les peintures préhistoriques ou les réalisations mégalithiques. Qu’en sera-t-il de cette petite encyclopédie de l’humanité ?
SAGAN a donné un tour anthropologique et sociologique à une mission qui dépasse la simple utopie : « Le message gravé sur les disques s’adresse à deux destinataires : un public extra-terrestre et le public de la Terre. Le moment est venu de se poser la question : Qu’aimerions-nous faire connaître de notre culture ? De quoi sommes-nous fiers ? Ce disque devrait représenter l’espèce humaine dans son ensemble. » Pour le reste, compte tenu des distances et de la faible probabilité d’arriver à établir un contact, SAGAN a joliment résumé ce projet : « Cela revient à jeter une bouteille dans l’océan cosmique. »
Mais, au terme de ce pointilleux travail de sélection et de synthèse, que contient au juste le disque de Voyager ? En premier 115 images analogiques et pictogrammes en tous genres : un éléphant, le Taj Mahal, des hommes mangeant et buvant, des planches anatomiques, le spectre des couleurs, un accouchement, le rayon X d’une main, l’opéra de Sidney, une structure d’ADN, un alpiniste sur un sommet, etc. Et si vous trouvez que cette liste ressemble à un inventaire à la PRÉVERT, dites-vous bien que chaque choix a été longuement débattu et validé de manière scientifique !
La section audio du disque est assez fournie. Le message inter-cosmique débute par une salutation formulée en 55 langues, qui vont de l’akkadien au wu en passant par le gallois, le télugu, le polonais, le zoulou, le quechua, le portugais ou encore l’arabe, le hittite et le hongrois. Vient ensuit une série de morceaux de musique, de styles très variés puisqu’on y trouve entre autres des chants aborigènes, des œuvres de BEETHOVEN, STRAVINSKY et BACH, des chants traditionnels de Chine ou des îles Salomon, et Johnny B. Goode de Chuck BERRY. Cette séquence musicale est suivie par les “sons de la terre” tels que des chants de grenouille, le bruit d’un train et d’un avion à réaction, le son de la pluie et du vent, les cris d’un chat et d’un cheval. En plus d’un court message du secrétaire général de l’ONU, une allocution du président CARTER a également été chargée dans les sondes. Le président américain y déclare en particulier : « Parmi les 200 milliards d’étoiles de la Voie lactée, quelques-unes – peut-être plus – peuvent abriter des planètes habitées et des civilisations voyageant dans l’espace. Si une telle civilisation intercepte Voyager et peut comprendre les contenus enregistrés sur le disque, voici notre message : Nous essayons de survivre à notre temps, pour que nous puissions vivre dans le vôtre. Nous espérons un jour, ayant résolu les problèmes auxquels nous faisons face, rejoindre une communauté de civilisations galactiques. Ce disque représente notre espoir, notre détermination et notre bonne volonté dans un univers vaste et impressionnant. »
À l’heure actuelle, Voyager 1 et Voyager 2 sont respectivement à 20 et à 17 milliards de kilomètres de notre vieille Terre. Même si, à notre échelle, elles voyagent à très grande vitesse, elles n’atteindront la constellation d’Andromède que dans 40 000 ans. Qui sait si, à l’instar de ces étoiles mortes dont la lumière nous parvient encore, la Terre n’aura pas disparu, faisant de ces messages le dernier témoignage de l’humanité ?
Un commentaire