La SDUK et son vivier de rédacteurs
À partir du début du XIXe siècle, la modernisation des techniques d’impression et de diffusion entraîne une baisse considérable des coûts de fabrication et des prix de vente des publications. Longtemps réservées à des publics aisés, les grandes productions encyclopédiques sont désormais en mesure de toucher un public plus large issu des classes moyennes et populaires. À une époque où l’État commence à implanter des systèmes d’instruction primaire et élémentaire, certaines organisations et des mouvements philanthropiques voient, dans la diffusion du savoir, le meilleur moyen de pallier les inégalités sociales, de faire reculer l’ignorance et d’assurer la cohésion de la nation en éloignant les plus défavorisés des mouvements radicaux qui luttent pour un bouleversement de la société.
En novembre 1826, lord Henry BROUGHAM, avocat de son état, fonde avec plusieurs amis la Society for the Diffusion of Useful Knowledge (Société pour la diffusion des connaissances utiles), plus connue sous l’acronyme SDUK. Le juriste, député whig depuis 1810, se fait remarquer par des prises de position libérales contre l’esclavage et pour le libre commerce. Il deviendra célèbre en combattant avec succès le Pain and Penalties Bill, que l’impopulaire roi GEORGE IV cherche à imposer en vue de faire annuler son mariage. Lord BROUGHAM occupera par la suite, pendant quatre ans, le poste de lord-chancelier.
En 1827, le comité de la SDUK fait paraître un ouvrage intitulé A Discourse of the objects, advantages, and pleasures of science (ci-dessous.). Ce livre, bien accueilli, sera réédité à plusieurs reprises.
Cette publication présente les avancées réalisées dans plusieurs domaines de la science, mais elle sert aussi de manifeste à l’organisation pour faire connaître les buts qu’elle poursuit : “L’objet de la Société est strictement limité à ce que son titre importe, à savoir la communication d’informations utiles à toutes les classes de la communauté, en particulier à ceux qui ne sont pas en mesure de disposer d’enseignants expérimentés, ou qui préfèrent apprendre par eux-mêmes. […] Le plan proposé pour la réalisation de cet objet est la publication périodique de traités, sous la direction et avec l’approbation d’un comité de surveillance.” Renonçant aux considérations politiques, morales et religieuses, la SDUK entend se concentrer sur la pédagogie et la science : “Comme il existe déjà de nombreuses sociétés pour la diffusion de l’instruction religieuse, et comme l’objet de cette société est d’aider au progrès de ces branches de la culture générale qui peuvent être diffusées dans toutes les classes de la communauté, aucun traité publié avec la sanction du Comité ne doit contenir toute question de Divinité controversée, ou interférer avec les principes de la religion révélée.”
La SDUK bénéficie du concours d’un remarquable “vivier” de rédacteurs, issus de l’University College London (UCL) de création toute récente. Des personnalités éminentes, à commencer par BROUGHAM, un des fondateurs de l’UCL, appartiennent aux deux institutions. Au fil des années, la SDUK devient une véritable maison d’édition, éditrice entre autres du fameux British Almanac, et supervisée par Charles KNIGHT. Inaugurée par le manifeste de BROUGHAM, la collection Library of Useful Knowledge est diffusée sous forme de livrets publiés toutes les deux semaines. Cette publication, qui dispense une vulgarisation scientifique et technique de qualité, est très appréciée de ses lecteurs.
Un nouveau périodique paraît sous le titre de Quarterly Journal of Education, mais, parallèlement, l’équipe menée par KING s’engage dans un projet à la fois plus “grand public” et plus ambitieux : The Penny Magazine. À sa sortie au printemps 1832, cette publication se présente comme une réponse au Chamber’s Edinburgh Journal, un périodique bon marché à vocation encyclopédique. La revue de la SDUK lui oppose un périodique équivalent vendu à un prix encore plus faible. Le recours à des machines ultramodernes, à des presses à vapeur, ainsi qu’à la technique des plaques stéréotypées, permet de réduire de manière très significative les frais et les délais d’impression. C’est ainsi, qu’épaulé par un grand nombre de contributeurs qualifiés, le Penny Magazine propose un contenu dense et varié, agrémenté de belles gravures (ci-dessous, quelques exemples) qui participent grandement à la réputation du journal.
Une véritable encyclopédie populaire
Le succès du journal, immédiat, est considérable. Le tirage de 160 000 exemplaires dès le premier mois culmine à 200 000 dès la fin de l’année. Cette réussite permet à la Society for the Diffusion of Useful Knowledge de se lancer dans une nouvelle aventure éditoriale : la réalisation et la vente par livraisons d’une véritable encyclopédie populaire à prix réduit. La direction de cette publication baptisée Penny Cyclopaedia (ci-dessous) est confiée à George LONG, universitaire renommé, membre de longue date de la SDUK mais également de la Royal Geographical Society et de la Society for Central Education.
Pour demeurer accessible au plus grand nombre et éviter de noyer les lecteurs sous une érudition excessive ou un vocabulaire trop spécialisé, les articles sont volontairement plus courts que ceux de l’Encyclopaedia Britannica. Ils ne sont pas signés, mais la liste des contributeurs insérée dans le dernier volume permet de constater que LONG a fait appel à des rédacteurs très qualifiés, au nombre desquels figurent l’historien de l’art Ralph Nicholson WORNUM, le chirurgien et pathologiste James PAGET, le mathématicien Augustus DE MORGAN, l’écrivain et philosophe George Henry LEWES, sir Henry ELLIS, John KITTO, et bien sûr Charles KNIGHT.
Comme pour le Penny Magazine, l’un des points forts de la Penny Cyclopaedia réside dans sa belle et abondante iconographie, dont nous vous proposons quelques exemples ci-dessous (en bas à droite, nous avons une reconstitution du site de Stonehenge).
Vingt-sept volumes, publiés entre 1833 et 1843, seront complétés par deux volumes de suppléments, respectivement édités en 1845 et 1846. Enfin, en 1858 paraît un second supplément en un seul volume pour parachever l’ensemble. Mais, contrairement à ce que le nom même de l’encyclopédie pourrait laisser supposer, son prix de vente est sensiblement élevé, soit 7 shillings et 6 pence par volume, handicap qui en limite la diffusion dans les classes les moins aisées, prioritairement visées au départ. La SDUK s’engage ensuite dans plusieurs publications parallèles et dans des projets d’envergure mais, au fil du temps, la rentabilité de son activité d’édition finira par devenir problématique.
Le chant du cygne d’un éditeur
En effet, après quelques années fastes, le nombre d’abonnés décroît irrémédiablement car, même réduits grâce à la technologie, les frais de fabrication et de distribution demeurent importants. Des difficultés financières de plus en plus prégnantes vont contraindre la maison d’édition à mettre fin à certaines publications. C’est ainsi que le dernier numéro du Penny Magazine paraît en 1845, et que la Library of Useful Knowledge cesse trois ans plus tard. Néanmoins, la Penny Cyclopædia est menée à son terme bien qu’elle occasionne au final une perte financière de 40 000 £ à l’éditeur. Cette œuvre constitue à la fois le chef-d’œuvre, le chant du cygne et sans doute l’héritage le plus durable de cette organisation philanthropique qui sera dissoute en 1848.
La SDUK achève donc son aventure de manière un peu abrupte, mais elle aura eu l’immense mérite de proposer un modèle d’encyclopédie à vaste diffusion, qui va servir de base à de nouvelles réalisations qui reprendront et actualiseront les travaux de la Penny Cyclopædia. C’est ainsi que, dès 1847, KNIGHT lance la parution de la National Cyclopaedia of Useful Knowledge, un ouvrage en douze volumes publié en 1851 et qui sortira à Boston en version américaine. Puis la maison d’édition Routledge rachète le titre pour en éditer une nouvelle version entre 1856 et 1859. En 1867, c’est au tour de la firme MacKenzie de sortir une édition remaniée sous le titre de National Cyclopaedia. Entre-temps, l’infatigable KNIGHT, qui semble décidément courir après la perfection, entreprend de mettre un nouveau projet en chantier. Partant à nouveau de la Penny Cyclopædia, dont il a conservé les droits d’auteur, il s’attaque cette fois à une encyclopédie thématique divisée en quatre sections : Géographie, Histoire naturelle, Biographies, Arts et sciences. Cet ouvrage prend le nom de English Cyclopaedia : A new dictionary of universal knowledge. Publiée entre 1854 et 1862, cette encyclopédie comprend 23 volumes, auxquels s’ajouteront par la suite quatre tomes de suppléments, totalisant au final près de 15 000 pages. Enfin, c’est en se basant sur l’English Cyclopædia que l’éditeur américain Arthur DENT fait réaliser et publier en 1913 l’Everyman’s Encyclopædia. Comme nous pouvons le constater, la Penny Cyclopædia pourra se targuer d’avoir donné un incontestable élan aux encyclopédies grand public dans le monde anglo-saxon.