XVIIIe et XIXe siècles, âge d’or des miscellanées
Amasser un savoir “encyclopédique”, dénué d’application pratique dans la vie professionnelle ou quotidienne, est généralement considéré comme une activité futile réservée aux dilettantes. Dans son Dictionnaire du diable, Ambrose BIERCE n’hésite pas à voir l’érudition comme “la poussière tombée d’un livre dans un crâne vide”, tandis que de son côté Marcel PROUST la considère comme « une fuite loin de notre propre vie que nous n’avons pas le courage de regarder en face”. Pourtant, qui peut nier qu’en stimulant notre intellect ces “connaissances inutiles” contribuent à construire notre personnalité ?
Depuis l’essor de l’imprimerie, nombreux sont les ouvrages qui, destinés à un public élargi, avaient pour seule ambition de satisfaire la curiosité du lecteur et de lui procurer un “vernis” de culture générale plus ou moins durable. Dans ce but, une multitude d’encyclopédies de poche, de vadémécums, de recueils, d’anas ou d’abrégés ont été publiés au cours des siècles passés. C’est à cette littérature de vulgarisation de l’érudition que se rattachent les miscellanées, un sous-genre peu à peu tombé en désuétude.
Issu du terme latin miscellus, signifiant “mêlé, mélangé”, ce genre, qui au départ désignait un recueil thématique de textes divers, a fini par définir un assemblage éclectique de faits, d’informations et d’écrits de nature variée, dans lequel le lecteur est invité à “picorer” au hasard. Déjà présent pendant l’Antiquité et le Moyen Âge, le genre des miscellanées s’est développé à partir de la Renaissance, pour connaître un véritable âge d’or au cours des XVIIIe et XIXe siècles, avant de décliner au siècle suivant (ci-dessous quelques exemples).
Le best-seller mondial de Ben SCHOTT
Au milieu des années 2000, le terme miscellanées, devenu rare avec le temps, fait un retour remarqué sur le devant de la scène littéraire à l’occasion de la sortie de l’ouvrage d’un Britannique du nom de Ben SCHOTT. Celui-ci, photographe professionnel, imagine un jour d’envoyer à ses bons clients, au lieu de sa traditionnelle carte de Noël au graphisme soigné, des petits livrets élaborés par ses soins, contenant des informations diverses qu’il juge “vitales mais difficiles à trouver”. D’abord centrées sur des données propres à son métier, il élargit rapidement son propos à une foultitude de sujets “anecdotiques”, dont il trouve les éléments lors de ses visites répétées à la British Library. Le recueil s’étoffe considérablement, pour atteindre finalement 160 pages et, sur les conseils d’un ami, SCHOTT décide d’en faire un véritable livre sous reliure. Il fait imprimer une cinquantaine d’exemplaires, dont l’un est expédié au PDG de Bloomsbury, la grande maison d’édition londonienne. Le miracle se produit, car l’éditeur s’enthousiasme immédiatement pour cet élégant “livre-objet” de présentation volontairement désuète. Le contrat signé, la publication est rapidement lancée, afin que le Schott’s Original Miscellany (ci-dessous) soit en librairie avant Noël 2002.
Le livre, bien accueilli par la presse, bénéficie d’un bouche-à-oreille favorable qui lui assure des ventes très honorables. Mais la vraie consécration arrive quelques semaines plus tard avec un article de G2, supplément du Guardian, qui voit dans l’ouvrage la “sensation éditoriale de l’année”, rien de moins… D’autres journaux, comme le Daily Telegraph, en publient de larges extraits, de sorte qu’en un temps record Les Miscellanées deviennent un best-seller au Royaume-Uni et aux États-Unis. Fort de ce succès, SCHOTT, devenu subitement célèbre, entame une carrière de journaliste, publiant successivement en 2004 un opus consacré à la gastronomie (Schott’s Food & Drink Miscellany (ci-dessous, à gauche) ; en 2005, un autre volume consacré aux sports, aux jeux et aux loisirs (Schott’s sporting Gaming & Idling Miscellany (ci-dessous, au milieu) ; et enfin, en 2011, un ultime recueil, le Schott Quintessential Miscellany.
Signe évident du succès du livre, celui-ci engendre une multitude de “clones” plus ou moins parodiques, comme le Shite’s Unoriginal Miscellany, le Spott’s Canine Miscellany, ou encore le Sock’s Feline Miscellany .
Mais que contient donc ce petit ouvrage pour susciter un tel engouement ? Tout et rien en réalité, et c’est ce qui permet à l’auteur de proposer de renouer avec une forme d’érudition consistant, par simple plaisir, à s’approprier des informations sur les sujets les plus inattendus. Sans classement mais avec quand même un index final, le lecteur est invité à vagabonder sans but véritable dans Les Miscellanées pour aller de découverte en découverte, comme dans un cabinet de curiosités virtuel. Décrit par un journaliste comme “un couteau suisse en forme de livre”, cet ouvrage “addictif”, qui procure un vrai plaisir de lecture, s’avère à la fois “totalement inutile et presque indispensable”, pour reprendre la formule utilisée par un critique du Daily Telegraph. SCHOTT a lui-même bien résumé sa démarche dans les termes suivants : “C’est un jeu d’esprit. Du plaisir pur… J’ai essayé de trouver des informations qui vous emmènent dans un endroit inattendu, qui font sourire ou rire, ou qu’on lit en se disant : «Wow, je ne pensais pas que ça m’intéresserait».”
Un savant bric-à-brac
Petit échantillon de ce qu’on peut trouver dans les premières Miscellanées publiées : l’échelle de Scoville (ci-dessous à gauche), le menu servi en première classe sur le Titanic le jour du naufrage, la recette complète – conservateurs et colorants inclus – du Big Mac, la liste des pays où l’on conduit à gauche ou dans lesquels le vote est obligatoire, les bouffons de cour célèbres, les régates à l’aviron entre Oxford et Cambridge (ci-dessous au milieu), les cercles de l’Enfer selon DANTE, les toasts des officiers dans la Royal Navy, les morts insolites de huit souverains birmans, l’art de draper un sari ou de nouer un nœud papillon, les principales abréviations latines, la composition d’une équipe de rugby à XV (ci-dessous à droite), les calibres des œufs en Europe et en Amérique du Nord, les catégories de poids dans la boxe, les axiomes et postulats d’EUCLIDE, les pop stars prématurément décédées, avec la cause de leur mort, les 32 rhumbs de la Rose des vents, les apparitions de HITCHCOCK dans ses films, les acronymes anglais utilisés sur les forums de discussion, le fonctionnement du calendrier maya, 100 décimales de Pi, des exemples de chronogrammes, etc.
Les autres volumes de la série nous dispensent également leur lot, tout aussi savoureux, d’informations, de faits et d’anecdotes insolites, incongrus ou peu connus, comme une liste de pommes “remarquables”, la nourriture spatiale, les règles du polo à dos d’éléphant, le surnom des différentes mains au poker, le dosage des cocktails à base de Martini, la liste des 34 tatouages de David BECKHAM, les plats à base de viande de chien, les différents types de cuisson du sucre pour un usage culinaire, les règles du kabaddi, le chemin pour traverser la Manche à la nage (ci-dessous, à gauche) avec le nom de ceux qui ont réalisé cet exploit, les tricheurs célèbres, une méthode pour compter les moutons, les compétitions de boomerang (ci-dessous, à droite), etc.
Amoureux des mots et des langues, à commencer par sa langue maternelle, SCHOTT en profite pour nous proposer des alphabets (braille, langue des signes, OTAN, etc.), des lexiques (danse classique, philatélie, échecs, yiddish, indications musicales, l’expression “Je t’aime” dans 43 idiomes différents, etc.), ou des anecdotes linguistiques (insultes shakespeariennes, esperluette, virelangues, etc.).
À ce jour, Les Miscellanées sont traduites dans une vingtaine de langues, dont le braille. En France, c’est la petite maison d’édition Allia qui, découvrant le livre par hasard, en a acquis les droits pour une somme assez modeste. Sortie en octobre 2005 sous le titre Les Miscellanées de M. SCHOTT, la version française connaîtra sept tirages et s’écoulera à plus de 200 000 exemplaires. Pour finaliser cette version, il aura fallu traduire mais aussi adapter l’ouvrage initial. C’est ainsi que des articles ont été modifiés et que d’autres sont spécialement rédigés pour le monde francophone (belgicismes, québécismes, créoles antillais, pluriels de noms composés, abréviations des libraires de livres anciens, palindromes, les Nouvelles en 3 lignes, etc.) A contrario, des rubriques trop spécifiques au monde anglophone et à la culture britannique, et donc difficiles à transposer, se voient supprimées. Le contrat de cession de droits stipule que le traducteur peut choisir d’écarter un cinquième du texte original pour le remplacer. C’est ainsi que le passage dédié au Public School Slang, dans la version originale, fait place dans la version française à un article sur le jargon des Coquillards. Précisons enfin que c’est l’éditeur Allia qui continuera à publier les autres opus en français des Miscellanées.
SCHOTT se trouve par ailleurs être l’auteur d’almanachs, dont six éditions publiées au Royaume-Uni entre 2006 et 2010, et trois aux États-Unis et en Allemagne entre 2006 et 2008. En 2013, il publie un beau livre intitulé Schottenfreude, consacré à d’étonnants mots-valises forgés à partir de la langue allemande, tels que Kaftfahrzeugsinnenausstattungsneugeruchsgenuss et Kinderhalbwahrheit, dont nous vous laissons tout loisir de deviner le sens.
Pour conclure, qu’il nous soit permis de rendre hommage à un écrivain qui a réussi le tour de force de redonner vie à un mot quasiment disparu, et de renouveler un genre moribond. Il a contribué à réveiller la curiosité encyclopédique chez de nombreux lecteurs, heureux de pouvoir associer érudition et plaisir ludique. Pour aller plus loin, nous vous proposons de visionner les deux vidéos ci-dessous : la première est une émission de France Inter, et la seconde une courte interview de SCHOTT réalisée en 2010, dans laquelle il évoque sa méthode de travail.