L’Arch Mission Foundation
En posant deux hommes sur la Lune le 21 juillet 1969, la mission Apollo 11 réalise un des plus vieux rêves de l’humanité. Mais par cet exploit, elle met également un terme à toutes les représentations romanesques et mythologiques de notre proche voisine, échafaudées au cours des siècles : l’astre n’offre qu’un vaste paysage accidenté, certes grandiose, mais stérile, monochrome et désolé.
Le sol de la Lune n’est composé que d’une fine poussière, et aucune trace de vie n’y est détectée. Après 1973, Américains et Soviétiques se détournent de l’exploration lunaire pour s’intéresser à d’autres planètes et à l’espace lointain.
Désormais intégralement cartographiée mais toujours inhabitée, la Lune ne semble pas l’endroit idéal pour y installer une bibliothèque, en premier lieu du fait de l’absence de lecteurs ! Pourtant, ce projet, qui a toutes les apparences d’un canular ou d’une “fake news” (bobard, en bon français…), est devenu une réalité concrétisée en cette année 2019.
À l’initiative de cette “bibliothèque lunaire”, nous trouvons l’Arch Mission Foundation, qui se trouve être à l’origine de l’idée du Billion Year Archive. Créé aux États-Unis en 2015 par Nova SPIVACK et Nick SLAVIN, cet organisme à but non lucratif entend prévenir les effets d’une catastrophe globale qui engloutirait le savoir, acquis de longue lutte par l’humanité. Son action vise à mettre en œuvre un “plan de secours pour l’humanité” consistant à installer cinq dépôts de données capables de survivre à un cataclysme. Et finalement, quel serait le meilleur abri pour les stocker en dehors de la Terre, sinon sur une autre planète ou dans l’espace ? Pour mener à bien cette ambitieuse mission, qui s’inspire directement de l’Encyclopedia Galactica décrite par Isaac ASIMOV, il est désormais possible de recourir à des techniques de stockage optique de données particulièrement pointues.
Le grand inconvénient des supports “traditionnels”, qu’ils soient anciens ou contemporains, réside dans le fait qu’ils sont le plus souvent périssables, qu’il s’agisse de papier, de papyrus, de parchemin, de pierre, de bois ou de métal, car tous condamnés à s’oxyder et à se dégrader, selon un processus plus ou moins long lié à leurs caractéristiques physiques et à leurs conditions de conservation. Si les microfilms et microfiches sont fragiles par nature, les disquettes, CD, DVD et autres disques amovibles sont également soumis à l’usure et deviennent instables avec le temps. Enfin, les outils informatiques et tous les appareils électroniques sont à la merci d’une simple panne de courant et du rayonnement électromagnétique. Dans le cas d’une tempête solaire d’ampleur exceptionnelle, d’une attaque EMP ou d’une explosion nucléaire, l’électronique non protégée par un blindage de niveau militaire, ne fonctionne plus et les données dont elle est porteuse se trouvent effacées.
L’Arch Mission Foundation commence par s’appuyer sur une technologie de pointe : la 5D optical memory crystal. Grâce à un laser femtoscope nanostructurant, il est possible de graver, en “cinq dimensions” d’information, de manière extrêmement précise et plus que microscopique, des supports de très grande résistance qui bénéficient d’une stabilité chimique durable, comme le quartz de silice. La durée de conservation théorique de l’objet et de son contenu passe alors à… 14 milliards d’années !
La technologie étant désormais au point, il reste à trouver le moyen d’expédier les disques dans l’espace. Pour son bonheur, l’organisme trouve à point nommé un soutien de poids dans la personne d’Elon MUSK, le flamboyant et extravagant PDG de Tesla. Depuis 2002, ce dernier investit dans le domaine du vol spatial par le biais de sa société SpaceX, qui a réussi à mettre au point des lanceurs moins coûteux que ceux de ses concurrents, rendant ainsi plus accessible la mise en orbite d’engins spatiaux.
En 2018, cinq exemplaires de la trilogie Fondation d’ASIMOV sont gravés sur des disques transparents d’une dizaine de centimètres de circonférence (ci-dessous).
Une bibliothèque dans une boite à gants
MUSK conserve un de ces exemplaires, tandis qu’un autre est choisi pour effectuer un voyage spatial dans le cadre du projet Solar Library. Le milliardaire, très porté sur la communication spectaculaire, a déjà programmé d’envoyer dans l’espace une de ses voitures, le Tesla Roadster, fabriqué en 2009. Lorsque, propulsé par une fusée Falcon Heavy, ce vaisseau spatial à quatre roues est placé en orbite elliptique héliocentrique, il emporte le disque dans sa boîte à gants. Sauf accident ou collision, l’étrange véhicule (ci-dessous), au volant duquel trône un mannequin revêtu d’une combinaison expérimentale, devrait se mouvoir dans le système solaire pendant des millions d’années, à moins que des impacts de météorites et les radiations solaires ne viennent progressivement le désintégrer.
Mais dans le prolongement de ce premier succès, un autre projet initié par Arch, baptisé l’Orbital Library, est déjà mis en œuvre en partenariat avec la société Spacechain. Fondée en 2017, cette plateforme communautaire a pour ambition de réaliser le premier réseau satellitaire à base de blockchain en open source, permettant ainsi aux utilisateurs de développer et exécuter des applications décentralisées dans l’espace. Un autre disque en quartz, contenant cette fois une copie de Wikipédia en anglais, est placé dans un compartiment protégé du premier satellite, qui est lancé en octobre 2018 de la base de Taiyuan en Chine.
Le succès de la mise en orbite est annoncé le 1er février 2019. L’optimisme est désormais de mise et SPIVACK peut déclarer avec des accents prophétiques que “cette bibliothèque est le début d’un anneau de sauvegarde de données en orbite autour de la Terre. Elle constitue la première archive extraterrestre et la première étape dans la création de davantage de bibliothèques Arch, qui préserveront la connaissance et la culture humaines. Grâce à une réplication massive autour du système solaire, nous pourrons garantir que les bibliothèques Arch ne seront jamais perdues, même dans des millions, voire des milliards d’années”.
Une bibliothèque sur la Lune !
Décidément infatigable, l’équipe de l’Arch Mission Foundation ne prend pas le temps de savourer cet exploit, car elle travaille à une autre bibliothèque, destinée cette fois à être hébergée sur la Lune en faisant appel à une nouvelle technologie : la nanofiche. Ce support constitué de nickel, matériau très résistant aux rayonnements électromagnétiques, à la chaleur et au froid extrêmes, dispose d’une capacité de stockage de qualité, soit 2 000 pages de texte analogique à 150 dpi par centimètre carré ; ce qui signifie qu’avec cette résolution, une page au format lettre de nanofiche pourrait contenir jusqu’à 1,2 million d’images analogiques et de pages de texte. Si, sur Terre, l’espérance de vie de ces fiches est évaluée à 10 000 ans en surface et plusieurs millions d’années en sous-sol, leur durabilité dépasse 50 millions d’années sur la Lune.
Chaque archive se compose d’un support nanotechnologique de 100 grammes, semblable à un DVD de 120 mm de diamètre (ci-dessous). Il est composé de 25 disques de nickel constitués de plusieurs couches, chacune d’une épaisseur de 40 microns, fabriqués par la société NanoArchival. Au total, ce sont 30 millions de pages sur l’histoire et les civilisations humaines qui se trouvent contenues dans ce petit boîtier.
La première couche analogique est une couverture visible à l’œil nu. Elle est suivie de 1 500 pages de texte et d’images ne pouvant être lues que grâce à un microscope optique à grossissement 100X. Les trois couches analogiques suivantes, qui contiennent chacune 20 000 images supplémentaires, nécessitent pour leur lecture un microscope légèrement plus puissant. Chaque lettre de ces couches a la taille d’une bactérie.
Au sein même des couches analogiques des disques, est placé un guide d’introduction qui contient plus d’un million de concepts d’images et de mots pour chaque langue. Une autre série de documents décrivent les formats de fichiers, les spécifications et les connaissances techniques nécessaires pour accéder, décoder et comprendre les informations numériques encodées au sein de la bibliothèque. Enfin, sur le disque Rosetta sont stockés des cours de linguistique pour 5 000 langues, complétés par 1,5 milliard de traductions.
Pour transporter la Lunar Library, Arch fait appel à la société israélienne SpaceIL, qui entreprend de mettre en orbite la sonde spatiale Beresheet (ci-dessous), programmée pour atterrir sur la surface lunaire.
LLe 22 février 2019, un propulseur Falcon 9 décolle de la base de Cap Canaveral. Une demi-heure après, l’engin est largué et se place sur une orbite de transfert géostationnaire, attendant le rendez-vous avec la Lune prévu 40 jours plus tard. La vidéo ci-dessous retrace le vol et l’atterrissage programmés
Le 11 avril 2019, Beresheet entame sa manœuvre d’approche, mais plusieurs problèmes techniques l’empêchent de ralentir et, arrivée à trop grande vitesse sur la Lune, la sonde finit par s’y écraser. Après une période de flou, le site exact du crash est localisé grâce à des photographies du satellite Lunar Reconnaissance Orbiter. Le 16 mai, la NASA fait une annonce officielle de l’incident. Parmi les débris éparpillés, outre les tardigrades qui, ayant probablement survécu, sont devenus les premiers colons de la Lune, se trouve la Lunar Library, construite pour être plus solide qu’une boîte noire d’avion. Du fait de sa petite taille, elle ne serait pas aisée à retrouver par un futur visiteur, mais l’espoir demeure qu’elle ait pu résister à la collision. La Lune a donc désormais sa bibliothèque qui contient, entre autres, une copie de Wikipédia.
Cette déconvenue ne met pas pour autant fin à cette étrange et stimulante aventure, même si elle constitue un contretemps majeur. En effet, d’autres projets sont en cours de réalisation, qui utiliseraient d’autres satellites géostationnaires (Spacechain et SpaceBelt). Signalons enfin qu’il existe un projet d’envoi d’une bibliothèque sur la planète Mars, avant d’aller encore plus loin dans le système solaire.
La fondation Arch est également à la recherche d’endroits sur Terre (grottes, souterrains, abris sous-marins, sommets de montagnes, bunkers, etc.) susceptibles d’accueillir pour une très longue durée des fonds d’archives qui, cette fois, resteraient sur notre vieille planète, à l’instar de la Réserve mondiale de semences du Spitzberg.
Les projets interstellaires de l’Arch Mission Foundation n’en sont encore qu’à leurs débuts et il nous faudra donc guetter avec attention l’avancement de cette belle utopie, qui consiste à transformer l’espace en une bibliothèque de l’humanité.
Pour mémoire, rappelons que les sondes Pioneer 10 et 11 et Voyager 1 et 2, lancées entre 1972 et 1977, poursuivent à ce jour leur voyage dans l’infini interstellaire, transportant avec elles des messages et des enregistrements destinés à d’éventuelles civilisations extraterrestres.
Mes remerciements pour la diffusion de vos articles.
C’est à chaque fois une belle découverte.