Le commandant Cousteau, l’homme au bonnet rouge
Pour des générations de téléspectateurs du siècle dernier, la silhouette de Jacques-Yves COUSTEAU, dit le “commandant” ou le “pacha”, est familière depuis longtemps. Affublé de son iconique bonnet rouge de scaphandrier, avec souvent la bouffarde au bec, cet ancien officier de la marine nationale a eu le mérite de faire découvrir au grand public un univers dont la diversité, l’étrangeté et la beauté lui restaient encore en grande partie inconnu : le monde sous-marin. Encore essentiellement célèbre pour ses films documentaires, il a également signé de nombreux ouvrages, dont une encyclopédie en 21 volumes intitulée L’Encyclopédie Cousteau, qui fait la synthèse de plusieurs décennies d’explorations océanographiques.
C’est d’abord en tant qu‘inventeur que COUSTEAU va se faire connaître. Avec l’aide de l’ingénieur Émile GAGNAN, il met au point le détendeur moderne, qui permet la création du premier véritable scaphandre autonome, dont le brevet est déposé en 1943. Cette invention, qui va révolutionner la plongée sous-marine, lui permet de réaliser un autre de ses grands objectifs : perfectionner les techniques de tournage sous l’eau pour filmer des documentaires spectaculaires. Après le documentaire Par 18 mètres de fond, tourné en 1942 lors de plongées en apnée, il réalise l’année suivante un film plus ambitieux, intitulé Épaves, qui convainc sa hiérarchie de lui confier la création du Groupement de recherches sous-marines de Toulon.
Après avoir quitté la marine, COUSTEAU crée en 1950 la société Campagnes océanographiques françaises (COF). Il acquiert, avec l’aide d’un mécène, un ancien dragueur de mines bien vite reconverti en navire d’exploration ; il s’agit de la fameuse Calypso. Entouré d’une équipe de plongeurs aguerris et dotés d’équipements technologiques de pointe, il multiplie les expéditions et les expérimentations. Sorti en salles en mai 1956, le film-documentaire Le Monde du silence – coréalisé avec Louis MALLE et filmé par des caméras imaginées par un collaborateur de l’océanographe – est récompensé par un Oscar et une palme d’or à Cannes. Ces succès rendent mondialement célèbres l’équipe de la Calypso et son “commandant” qui, nommé directeur du musée océanographique de Monaco, accède au statut de personnage éminemment médiatique.
Charismatique mais non dépourvu d’un solide sens de la communication et des affaires, COUSTEAU est sollicité par un producteur américain pour réaliser une série de documentaires – The Undersea World of Jacques Cousteau –, dans laquelle il raconte les expéditions et les aventures de la Calypso et de son équipage. Entre janvier 1968 et mai 1976, 36 épisodes sont présentés sur la chaîne ABC avant d’être diffusés en France. Ces petits films – dont La Jungle de corail, La Vie sous la glace, Les Requins dormeurs, Le Lagon des navires perdus et Les Dernières Sirènes – feront rêver des millions de personnes et susciteront bien des vocations. Des requins de la mer Rouge aux baleines de Californie et aux récifs coralliens de l’océan Indien, de l’Alaska aux Galapagos en passant par le Yucatan, les Caraïbes, la Terre de Feu, la Méditerranée, l’Antarctique et la Micronésie, les téléspectateurs vont enfin pouvoir découvrir les beautés cachées dans les profondeurs des mers et des océans.
Ces documentaires, d’une incontestable valeur scientifique et éducative, sont également très centrés sur la personnalité de COUSTEAU qui, en qualité de narrateur, adopte volontiers une posture de “grand sage” parfois un peu sentencieux. Devenu une véritable star, il ne se prive pas d’utiliser son aura pour promouvoir la Cousteau Society, créée aux États-Unis en 1973. Cette association à but non lucratif s’est fixé pour objectif de développer des missions d’exploration et de conservation des écosystèmes à travers le monde. Après avoir été parfois jugé ambigu sur le sujet au tournant des années 1970, COUSTEAU se mue en véritable ambassadeur de l’environnement et en défenseur résolu des océans.
Comme tout combat de longue haleine, il comprend qu’il faut le mener d’abord auprès de l’opinion publique avant de convaincre les gouvernements et les instances internationales. Il estime que le meilleur moyen de sensibiliser les populations reste la pédagogie : “Les gens protègent et respectent ce qu’ils aiment et pour leur faire aimer la mer, il faut les émerveiller autant que les informer.” Pour compléter son œuvre filmée et valoriser le travail accompli depuis plus de vingt ans par l’équipe de la Calypso, l’idée d’une encyclopédie, parrainée par le commandant lui-même, finit par s’imposer.
Une encyclopédie labellisée COUSTEAU
Les 21 volumes – le dernier étant un hors-série consacré à la Calypso – de la série The Ocean World of Jacques Cousteau sont publiés par une maison d’édition américaine entre 1973 et 1978. Ci-dessous, nous vous présentons deux volumes : le tome 1, Oasis in space, où il revient sur l’idée que, l’eau étant “essence de vie”, mettre les océans en danger équivaut à mettre en péril la survie de l’humanité ; le tome 12, intitulé Man re-enters Sea (“L’Homme retourne à la mer”), qui retrace l’histoire et l’évolution des techniques et des engins permettant l’exploration sous-marine. Dans ce volume, le commandant présente également les fameuses maisons submersibles du projet Précontinents, une expérience scientifique à laquelle, en 1964, il avait consacré un film intitulé Le Monde sans soleil.
L’édition française en 20 volumes, publiée en 1976 par la maison Robert Laffont, va, comme sa version anglophone, connaître un grand succès public. Ci-dessous, nous vous présentons la couverture des tomes 6, 9 et 15 de la série
L’encyclopédie est composée d’une série de tomes thématiques : Mythes et légendes de la mer ; Attaque et défense ; Instinct et intelligence ; L’acte de vie ; etc. Ces volumes, qu’il est possible de lire indépendamment les uns des autres, donnent une vision d’ensemble de la vie marine dans toute sa diversité, tout en permettant de comprendre les interactions des êtres humains avec les écosystèmes. Homme de lettres, élu à l’Académie française en 1988, COUSTEAU tempère un peu ici son lyrisme habituel pour rester dans le rôle d’un pédagogue qui s’appuie sur une riche iconographie en couleurs : photographies, planches, dessins, tableaux, etc. (Ci-dessous quelques exemples)
Les océans, un écosystème en danger
Dans son encyclopédie, COUSTEAU s’émerveille de la grande ingéniosité déployée par les animaux et les végétaux au sein d’un écosystème à la fois complexe, harmonieux et majestueux. Mais en pointant l’action destructrice de l’homme, il dénonce aussi avec vigueur la surexploitation des ressources halieutiques, la chasse intensive de certaines espèces menacées comme les baleines, la pollution, les aménagements et les constructions qui perturbent “l’équilibre écologique des mers” ; autant de dysfonctionnements qu’il attribue à une démographie mondiale non maîtrisée. En 1991, il résume ainsi sa pensée : “Les ressources de notre planète ne sont pas illimitées, il y a un plafond à ne pas dépasser, un seuil d’habitabilité à ne pas franchir.” Mais si COUSTEAU décrit des situations dramatiques et inquiétantes, il reste optimiste sur les capacités de l’humanité à se ressaisir sous peine de voir sa propre espèce anéantie. Dans le seizième tome dédié aux mers polaires, il interroge à travers le lecteur les instances politiques et économiques : faut-il “piller ou respecter les pôles” ? Il fait de la protection de l’Antarctique un de ses grands combats et contribue à la mise en place du Protocole de Madrid qui, signé en 1991, entérine un moratoire de 50 ans sur l’exploitation des ressources minérales du continent blanc.
Alors même que l’encyclopédie est en cours de parution, Cousteau et l’équipage du Calypso poursuivent leurs explorations, le commandant collaborant de plus en plus étroitement avec son fils Philippe puis, après le décès accidentel de celui-ci en 1979, avec son second fils Jean-Michel. Ces campagnes donnent matière à de nouvelles séries de documentaires allant de l’Île de Pâques à Clipperton, du Nil au Danube, de l’Australie à l’Amazone, en passant par le Mississippi, Bornéo, Nauru, le Mékong et les Bahamas. Dans les années 1980 et 1990, un nouveau cycle, baptisé “La Redécouverte du monde“, réunit régulièrement devant le petit écran un public fidèle et fasciné par la beauté des images. Parallèlement, paraît une série de livres, dont des bandes dessinées et des albums thématiques, comme La Planète des baleines, publié en 1988 et co-écrit avec Yves PACCALET.
Décédé en juin 1997, COUSTEAU aura été un pionnier et un des grands vulgarisateurs de l’océanographie, avant de s’affirmer comme l’un des premiers porte-paroles de la cause écologiste et de la protection du monde marin. Sa personnalité, parfois difficile et cassante, sa tendance égocentrique à se mettre en scène pour cultiver son personnage, certaines méthodes bien peu “respectueuses” de la faune marine employées au cours de ses premières expéditions, lui valent, hier comme aujourd’hui, d’être la cible de critiques peu amènes et de réquisitoires souvent à charge. Quoi qu’il en soit, par ses films et ses livres, dont la fameuse encyclopédie, il a permis à des générations de découvrir le monde des océans – dont nous n’avons encore exploré que moins de 5% de la partie sous-marine – et de sensibiliser l’opinion au respect de l’environnement et à la gestion des ressources naturelles, bien avant que ces thématiques ne deviennent des priorités pour les États, le monde économique et la société civile.
COUSTEAU, qui a laissé une autobiographie – L’Homme, la pieuvre et l’orchidée -, publiée peu après sa mort, a fait l’objet d’un “biopic” en 2016. Citons également pour terminer un documentaire produit par National Geographic en 2021: Becoming Cousteau, en version originale, et Cousteau : de l’homme à la légende (ci-dessous), en version française.