Libérée de l’occupation japonaise, le Corée pouvait espérer voir s’épanouir une langue et une culture communes. Malheureusement la division brutale du pays entre deux régimes politiques antagonistes et deux modèles de société différents va peu à peu entraîner une véritable scission linguistique. Le Nord communiste, dirigé d’une main de fer par une dynastie totalitaire, marquée par une mégalomanie et une paranoïa hors du commun, tend à se couper du monde extérieur, alors que le Sud, adoptant sans réserve le modèle capitaliste et libéral, devient un acteur important de la mondialisation économique. En définitive ces deux régimes partagent peu de chose, si ce n’est la volonté affichée, mais non dénuée d’arrière-pensées, de réunifier la péninsule.
En Corée du Sud la langue va évoluer rapidement, avec l’intégration de nombreux néologismes et de mots étrangers, pendant qu’en Corée du Nord, en retrait du monde extérieur, le lexique va se “fossiliser” et s’appauvrir sous la pression d’une idéologie qui cherche à le rendre conforme à la pensée officielle. Par exemple le mot Agassi, qui signifie jeune femme en Corée du Sud, devient Esclave d’une société féodale en Corée du Nord. Souhaitant officiellement rendre la langue conforme au parler des “masses populaires”, KIM IL-SUNG cherche à imposer un standard linguistique différent de celui du Sud, notamment en l’épurant de tous ses apports étrangers. Les réformes orthographiques et grammaticales engagées de chaque côté de la frontière depuis 1948 vont accentuer le fossé linguistique entre les deux pays. Un linguiste contemporain estime que le vocabulaire est aux deux tiers identique, mais que la différence entre les deux pays est particulièrement criante dans le domaine des termes professionnels et économiques. Ce décalage ne facilite pas la communication dès qu’elle devient un peu technique, la difficulté étant encore accrue en ce qui concerne les mots empruntés à l’anglais, lequel n’est pas enseigné dans le Nord. Ceci explique que certains réfugiés nord-coréens soient surpris à leur arrivée d’avoir à réapprendre le coréen comme une langue étrangère.
Si ce tableau peut sembler déprimant et désespéré, l’espoir reste pourtant de mise car, sur ce sujet au moins, les deux pays ont réussi à dialoguer. En 1989, un pasteur sud-coréen, MOON IK-HWAN, militant activiste de la réunification de la péninsule, se rend à titre personnel à Pyongyang et, reçu par KIM IL-SUN, évoque dans les médias la nécessité de réaliser un dictionnaire commun et une langue unifiée ; mais, l’heure n’étant pas encore au dégel, il est emprisonné au retour de son escapade illégale. Malgré cet échec, l’idée fait son chemin et bénéficie du réchauffement des relations diplomatiques au début des années 2000. Le contexte semble désormais favorable et, par l’entremise de la Chine, des rencontres sont organisées entre des linguistes des deux pays. Elles aboutissent à un accord de principe sur la création, le 20 février 2005, d’un comité mixte associant des universitaires et les linguistes du Nord et du Sud. Entérinée par la loi en 2007, cette organisation devient la première institution officielle inter-coréenne.
Son objectif déclaré est « de collecter et de rechercher le vocabulaire coréen tel qu’il est utilisé en Corée du Nord, en Corée du Sud et à l’étranger, et de le publier dans un dictionnaire commun ». Ce dictionnaire doit prendre le nom de Gyeoremal-keunsajeon, c’est-à-dire le « dictionnaire de tout le peuple coréen », dont on estime qu’il devrait contenir à terme 330 000 mots.
Dans le cadre de réunions mixtes, de petites équipes planchent sur différents mots, tâche qui bien sûr n’est pas dépourvue d’aléas, même si l’amour de la langue est sincère des deux côtés de la frontière. Les différents sens sont passés au crible, comme les différences de prononciation voire même d’orthographe, sans oublier les versions dialectales qui doivent également être prises en compte. Ce processus complexe a pour but d’aboutir à la rédaction de définitions acceptées par les deux parties ; mais, dès que l’accord est impossible, ce sont deux versions différentes qui seront indiquées. Le vocabulaire trop idéologiquement marqué et les mots étrangers sont, sauf quelques exceptions, bannis de la sélection. La rédaction du lexique progresse à un rythme de 10 000 à 20 000 mots au cours de chaque session d’une semaine.
Son objectif déclaré est « de collecter et de rechercher le vocabulaire coréen tel qu’il est utilisé en Corée du Nord, en Corée du Sud et à l’étranger, et de le publier dans un dictionnaire commun ». Ce dictionnaire doit prendre le nom de Gyeoremal-keunsajeon, c’est-à-dire le « dictionnaire de tout le peuple coréen », dont on estime qu’il devrait contenir à terme 330 000 mots.
Dans le cadre de réunions mixtes, de petites équipes planchent sur différents mots, tâche qui bien sûr n’est pas dépourvue d’aléas, même si l’amour de la langue est sincère des deux côtés de la frontière. Les différents sens sont passés au crible, comme les différences de prononciation voire même d’orthographe, sans oublier les versions dialectales qui doivent également être prises en compte. Ce processus complexe a pour but d’aboutir à la rédaction de définitions acceptées par les deux parties ; mais, dès que l’accord est impossible, ce sont deux versions différentes qui seront indiquées. Le vocabulaire trop idéologiquement marqué et les mots étrangers sont, sauf quelques exceptions, bannis de la sélection. La rédaction du lexique progresse à un rythme de 10 000 à 20 000 mots au cours de chaque session d’une semaine.
Écrivain très célèbre dans son pays et reconnu à l’étranger, partisan de la paix et du dialogue entre les deux Corée, cet écrivain a même été pressenti à plusieurs reprises pour se voir attribuer le prix Nobel de littérature. Alors que le monde est récemment agité par les polémiques nées dans le sillage du mouvement me too, il se voit directement accusé par une poétesse de harcèlement et d’agressions sexuelles et doit démissionner le 8 mars 2018, ce qui génère une nouvelle difficulté car tous ses textes doivent être retirés des manuels scolaires.
Bon an mal an le projet avance et, dans l’attente de son aboutissement, un autre outil technologique a été développé pour pallier l’absence d’un lexique commun dans la vie quotidienne. Depuis 2015, une application Smartphone vient au secours des 28 000 réfugiés nord-coréens pour faciliter leur vie en Corée du Sud, tandis qu’un dictionnaire “consolidé” coréen se trouve désormais disponible sur le marché (ci-dessous).
Ci-dessous, ce petit film retrace les grandes lignes de cette épopée lexicographique.
Un commentaire