Plusieurs religions ont entretenu le culte de divinités protectrices dédiées aux lettrés et aux écrivains, telles que GANESHA dans l’hindouisme ou THOT dans l’Égypte antique. La religion chrétienne dispose pour sa part d’une sainte dévouée à la protection des livres et des bibliothèques : sainte WIBORADA dont le patronyme, en version “francisée”, est orthographié WIBORADE, GUIBORADE ou VILBORADE. Plus largement, elle est reconnue comme la sainte patronne des bibliothèques et des amateurs de livres.
La vie de cette martyre chrétienne nous est connue par deux sources, dont la principale est une biographie rédigée par le moine EKKEHARD qui s’est appuyé sur des témoignages de contemporains de la sainte.
Née, à une date indéterminée autour de l’an 900, près du lac de Constance, elle manifeste une grande piété dès son plus jeune âge, menant une vie simple et quasi ascétique. Elle encourage son frère HITTO à devenir moine dans l’abbaye bénédictine de Saint-Gall, qui est alors le siège de l’une des plus grandes et des plus belles bibliothèques de la chrétienté. Bien qu’extérieure au monastère, WIBORADE porte assistance à son frère dans l’entretien de la bibliothèque et la fabrique d’étoffes destinées à protéger la reliure des livres.
Au retour d’un pèlerinage à Rome, elle se retire dans un ermitage à Constance, puis en périphérie de Saint-Gall. Avec l’accord de l’évêque, elle se fait enfermer dans une cellule, ne communiquant avec le monde extérieur qu’à travers une simple petite fenêtre. De nombreux personnages, dont des princes et des dignitaires ecclésiastiques, viennent alors lui rendre visite et la consulter.
En 926, les Hongrois mènent leurs raids en Suisse orientale. Ayant prophétisé le saccage de l’abbaye par ces hordes destructrices, elle conseille à l’abbé ENGELIBERT de mettre en lieu sûr le “trésor” du monastère, c’est-à-dire les précieux ouvrages qu’il abrite. Grâce à la vision de WIBORADA, les livres sont transférés dans le monastère de Reichenau. Demeurant sourde aux supplications du père abbé, la recluse refuse de rompre son vœu de claustration et de quitter sa cellule. Les Hongrois l’y trouveront peu de temps après et la tueront de trois coups de hache. Après sa mort, elle fera l’objet d’un culte populaire, avant d’être, en 1047, la première femme de la chrétienté officiellement canonisée par un pape. Elle est représentée revêtue de l’habit bénédictin, tenant un livre dans une main et dans l’autre une hache-hallebarde, instrument de son martyre. Le jour de sa fête est fixé au 2 mai.
Sainte WIBORADE est également reconnue comme la sainte patronne des femmes au foyer, et par extension des femmes de ménage et des cuisinières ; cette affectation est sans doute en relation avec son nom d’origine germanique qui signifie “conseillère des femmes”. Placer les femmes sous la protection d’une recluse qui a vécu emmurée une partie de sa vie, voilà qui apparaît bien symptomatique de la condition féminine de l’époque !