Étonnantes opérations spontanées de sauvetage de livres ! À la fois simultanées et similaires dans deux endroits de la planète pourtant bien éloignés! L’une se passe en effet à Bogota en Colombie et l’autre à Ankara en Turquie. Dans les deux cas, de simples éboueurs ont pris l’initiative de sauver des livres des poubelles et d’en faire de vraies bibliothèques populaires ! Le Dicopathe, impressionné et ému, n’a pas résisté au plaisir de vous faire partager sa découverte.
À Bogota, l’initiative de José, “le seigneur des livres”
En 1997 José Alberto GUTIERREZ débute son travail d’éboueur pour le compte de l’entreprise de gestion des déchets de la ville de Bogota. Lors de ses ramassages nocturnes dans le quartier ouvrier de La Nueva Gloria, il est rapidement frappé par le nombre de livres jetés à la poubelle. Avec la complicité de son épouse, il prend alors l’initiative de les récupérer pour constituer une bibliothèque populaire qu’il organise….dans sa propre maison ! Aujourd’hui des milliers de livres ainsi sauvés des ordures ont entièrement envahi sa demeure….au point qu’il lui est presque impossible de s’y déplacer.
Mais non content de constituer une bibliothèque improvisée ouverte à tous, notre homme est parvenu, avec l’aide de ses proches, à mettre sur pied une fondation baptisée Foundation la fuerza de las palabras (Fondation la force des mots). Le mode de fonctionnement de cette institution est très simple et extrêmement efficace. Dès qu’un Colombien veut se débarrasser de livres qui l’encombrent, il les adresse à la Fondation qui les réceptionne et les trie. Après avoir sélectionné les ouvrages en fonction des besoins des différents types de destinataires répertoriés, la Fondation les réexpédie ensuite avec son propre véhicule dans des centaines de salles de lecture, de centres communautaires et d’écoles rurales du pays. Si le destinataire s’avère trop éloigné, la Fondation recherche aussitôt le moyen le plus rapide et le plus efficace de financer la livraison. À ce jour la Fondation a ainsi sauvé et distribué plus de 50 000 ouvrages dans plus de 500 localités colombiennes.
Mais José Alberto GUTTIERREZ, qui ne veut pas en rester là, déclare : « Le jour où j’aurai rempli la Colombie de livres, je me sentirai comme Ulysse après avoir sauvé Pénélope et éloigné la guerre d’Ithaque. » Un simple éboueur inspiré par Homère, avouez que cela peut étonner et émouvoir … Motivé par des idéaux de non-violence, José n’a pas hésité à livrer aussi des dizaines de livres à un groupe d’anciens combattants des FARC, l’organisation qui, après cinquante années de guérilla, a signé en 2016 un accord de paix avec le gouvernement colombien. Il justifie ainsi son geste : « La lecture symbolise la paix et notre espoir dans le pays. Si un livre a changé ma vie, imaginez l’impact qu’il pourrait avoir dans l’un de ces endroits qui ont été victimes d’un conflit armé et de l’abandon par l’État. »
Depuis que José a quitté le centre de recyclage qui l’employait et qu’il est devenu dans son pays une véritable célébrité, honoré du titre de “le seigneur des livres”, il est habité par une nouvelle ambition : construire une bibliothèque-musée à Bogota ! Ce bâtiment regrouperait un atelier de recyclage, une banque de livres et une collection de classiques littéraires. Selon les dernières estimations, la construction de l’établissement coûterait 800 millions de pesos colombiens soit 250 000 euros, somme que la Fondation espère pouvoir bientôt réunir grâce aux dons. José croit fermement à son projet : « Le monde a besoin de plus d’initiatives de ce genre. Dans une région privée d’accès à de nombreuses ressources, un livre devient symbole d’espoir ; si les humains se traitaient comme dans beaucoup de livres que j’ai lus, cette planète ne serait gouvernée que par l’amour. »
Ci-dessous, José découvrant l’une de ses trouvailles :
À Ankara, la mobilisation des éboueurs bibliophiles
En Turquie, ce n’est pas un seul homme, mais un collectif tout entier qui est à l’origine d’une initiative étonnamment semblable à celle qui s’est concrétisée en Colombie.
Un groupe d’éboueurs de la ville d’Ankara a décidé de récupérer tous les livres abandonnés dans les poubelles de la ville et de transformer en bibliothèque une usine désaffectée depuis 20 ans. Au départ le local de la bibliothèque, situé dans le quartier de Çankaya, était réservé aux seuls éboueurs qui venaient s’y détendre pendant leurs pauses, en lisant un bon livre ou en se livrant à une partie d’échecs.
Mais peu à peu les riverains du local ont été admis dans les lieux et fin 2017, les locaux ont fini par être définitivement ouverts au public et ce, pendant toute la journée. Aujourd’hui la bibliothèque compte plus de 6 000 livres dont des romans, des livres scientifiques, des bandes dessinées, des manuels et, bien entendu, des dictionnaires et des encyclopédie. Au fil des jours l’endroit s’est transformé en un véritable lieu de vie avec une échoppe de barbier, une cafétéria et des espaces de bureaux.
Ci-dessous un petit reportage retrace le beau travail accompli par ces éboueurs:
Le responsable de cette “bibliothèque sauvage”, Emirali Urtekin, étudie d’autres pistes pour réutiliser les livres abandonnés. Il envisage ainsi d’organiser, dès cette année, une bibliothèque mobile qui fera tous les 15 jours le tour complet des écoles d’Ankara. Il a même prévu que ces visites scolaires se fassent dans une ambiance musicale assurée par un groupe de 11 éboueurs qui joueront devant les élèves en utilisant comme instruments de musique ….des poubelles vides et de vieux bouts de métal. « Nous sommes heureux, explique le manager du groupe, cela nous a donné une nouvelle identité. »
Des livres, de la musique, de la vie et la transmission de l’amour de la lecture aux jeunes générations !
Et en France ?
Il semblerait que de telles initiatives soient plus difficiles à réaliser dans notre vieux pays. Un fait divers récent tendrait à nous le faire penser.
La scène se déroule à Espoey près de Pau dans les Pyrénées-Atlantiques. Christian se rend à la déchetterie pour y déposer certains matériaux et aperçoit un vétérinaire en retraite en train de déposer dans un bac-poubelle un paquet de livres relatifs à son ancien métier. Il dira plus tard : « J’ai récupéré une quinzaine d’ouvrages traitant des équidés, un sujet qui passionne ma compagne. » Mais l’employé municipal en charge de la déchetterie se jette aussitôt sur notre homme et tente de lui arracher les livres des mains, arguant qu’il est interdit de récupérer des objets après qu’ils ont été jetés au rebut. Christian se défend, prend le dessus et finit par emporter les volumes chez lui. L’affaire rebondit quelques jours plus tard quant le “receleur” reçoit un courrier du maire qui lui précise que « tout objet destiné en déchetterie devient la propriété de la collectivité » et que « le chiffonnage y est interdit, tout objet récupéré sans l’accord du propriétaire et dans l’enceinte de cette dernière étant considéré comme du vol ».
Ci-dessous, une photo de Christian, sûr de son bon droit, et manifestement satisfait d’avoir sauvé des livres de la destruction :
L’affaire n’en reste pas là et s’envenime au point d’être portée devant le procureur de la République de Pau qui, après réflexion, rappellera que « le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ; les déchets qui n’appartiennent à personne ne peuvent pas juridiquement être volés ». De son côté, le maire, qui défend fermement sa position, a demandé à ses services de lui faire un point juridique précis. Cette affaire, véritablement digne du village de Clochemerle, est toujours pendante à ce jour …
Observons simplement que dans notre beau pays de France il est manifestement plus difficile de faire revivre des livres condamnés à la destruction qu’en Amérique du Sud ou au Moyen-Orient. Sans doute un comportement d’Occidentaux, enfants gâtés inconscients der la chance à qu’ils ont de vivre dans un environnement rempli de livres accessibles à tous, ce qui n’est pas le cas de pays culturellement déshérités…