Audiard, un auteur populaire
Michel AUDIARD, avec plus d’une centaine de films à son actif comme dialoguiste, adaptateur, réalisateur et scénariste, demeure, près de 35 ans après sa disparition, une figure à la fois singulière et attachante du cinéma français. Son nom, toujours placé bien en évidence sur les affiches de l’époque, est resté associé au cinéma populaire des Trente Glorieuses. Dans sa filmographie impressionnante, mais inégale, nous retrouvons nombre d’acteurs célèbres : Jean GABIN, Michel SERRAULT, Jean-Paul BELMONDO, Lino VENTURA, Annie GIRARDOT, Mireille DARC et, bien sûr, Bernard BLIER, interprète de la fameuse tirade reprise dans le titre de notre billet.
Celui qui déclarait, avec une lucidité désabusée, cynique mais prémonitoire, “l’idéal quand on veut être admiré, c’est d’être mort”, a pourtant été en son temps la bête noire de toute une génération de cinéastes et de critiques, qui voyaient dans ses films la quintessence d’un cinéma franchouillard, commercial et “bas de plafond”. La nouvelle vague s’est montrée particulièrement féroce à son encontre, ne voulant voir dans son œuvre que du cinéma “à la papa” et du “théâtre filmé” dépourvu de tout ambition artistique et culturelle. En 1957, François TRUFFAUT, alors journaliste aux Cahiers du cinéma, avait eu ces mots bien peu amènes : “Les dialogues de Michel AUDIARD dépassent en vulgarité ce qu’on peut écrire de plus bas dans le genre.”
Les années passant, les critiques parlent désormais, souvent avec admiration, d’un “style Audiard” qui se caractérise par un langage incisif, très imagé, mélange d’argot et de gouaille de titi parisien (ci-dessous, un échantillon). AUDIARD est célébré de nos jours pour ses dialogues ciselés avec soin et riches de “friandises stylistiques”, pour reprendre l’expression du romancier Sébastien LAPAQUE, le tout porté par un jeu d’acteur “pince-sans-rire” de qualité. Persuadé de bien servir le français, notre dialoguiste déclarait sans ambages : “La langue de la rue, c’est la seule, la nouvelle, en perpétuelle évolution et qui apporte quelque chose ! La langue de la rue a plus fait pour l’évolution de la langue que la Sorbonne !”
Le culte des « Tontons »
Conséquence logique de cette renommée posthume, AUDIARD fait de nos jours l’objet de toute une production lexicographique, comme par exemple L’Encyclopédie AUDIARD : du primus, du brutal et de l’harmonie, datée de 2012, écrite par Stéphane GERMAIN et illustrée par GEGA.
Devenu un des grands spécialistes de notre touche-à-tout cinématographique, GERMAIN s’est lancé dans l’étude exhaustive de l’œuvre d’AUDIARD, rappelant par ailleurs qu’il a également été romancier. Grand amoureux de la verve et du style si particulier des dialogues de son maître, il ne laisse pourtant pas son admiration obscurcir son jugement, n’hésitant pas au besoin à brocarder les nombreux nanars de son idole.
Certains films dont il a écrit le scénario et/ou les dialogues sont devenus des classiques, comme Un Taxi pour Tobrouk, Mortelle Randonnée, Un singe en hiver, Garde à vue et Ne nous fâchons pas !, mais la notoriété actuelle d’AUDIARD repose en grande partie sur un film précis, auquel est désormais accolé le qualificatif, souvent galvaudé mais en l’occurrence réellement justifié dans ce cas, de “film culte” : Les Tontons flingueurs.
Diffusé en 1963, ce pastiche de film noir, tourné par Georges LAUTNER dans une ambiance assez décontractée, rencontre déjà à sa sortie un beau succès populaire, restant un an à l’affiche au grand dam des membres de la nouvelle vague. Grâce à ses nombreuses rediffusions à la télévision – une vingtaine recensée à ce jour -, les personnages et les dialogues du film vont peu à peu devenir un élément de la culture populaire, au point de servir de référence commune à plusieurs générations.
De nombreuses répliques, et en particulier la fameuse scène dite “de la cuisine” sont désormais connues de tous. Ressorties à la moindre occasion, ces pépites font la joie des anthologies en tous genres. En voici quelques exemples : “Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît”, “l’homme de la pampa, parfois rude, reste toujours courtois, mais la vérité m’oblige à te le dire : ton Antoine commence à me les briser menu !”, “C’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases !”, “J’ai connu une Polonaise qui en prenait au petit-déjeuner”, “Je vais le renvoyer tout droit à la maison mère… au terminus des prétentieux”, “C’est du brutal !”, “Je vous préviens qu’on a la puissance de feu d’un croiseur et des flingues de concours”, et bien sûr l’inévitable “Aux quatre coins de Paris qu’on va le retrouver, éparpillé par petits bouts façon puzzle !”.
De nombreux livres sont sortis sur le sujet, aussi bien sous forme d’analyse critique, d’album, que d’étude sociologique, littéraire ou linguistique. À l’approche du cinquantième anniversaire du film, les publications d’ouvrages, dont des dictionnaires, se sont faites plus nombreuses.
En 2011, GERMAIN et GEGA ont récidivé en proposant cette fois un Dico flingueur des Tontons (ci-dessous).
L’ouvrage, qui tient plus du “beau livre” et reprend des éléments de l’Encyclopédie Audiard déjà citée, regorge d’anecdotes (le doublage de certains acteurs, les mésaventures de LAUTNER avec Gaumont, les incohérences du scénario, etc.) et multiplie les clins d’œil adressés aux fans. Deux ans plus tard, une nouvelle version augmentée est publiée à l’occasion du cinquantenaire : Le Dico flingueur des Tontons et des Barbouzes (ci-dessous).
Les auteurs ont choisi d’associer aux Tontons flingueurs son film “jumeau”, Les Barbouzes, qui est sorti l’année suivante, toujours réalisé par LAUTNER et interprété par le même trio d’acteurs. Mais ce film, beaucoup plus parodique dans la forme, malgré des entrées très honorables, ne partagera pas la même renommée que celle de son prédécesseur.
En 2012, Marc LEMONIER publie chez deux éditeurs différents deux ouvrages consacrés à AUDIARD : L’Intégrale Michel AUDIARD, tout ses films de A à Z, et surtout Le monde des Tontons flingueurs et l’univers d’AUDIARD : petit dictionnaire “façon puzzle” .
Cet auteur, qui a également écrit sur Jean GABIN et Louis DE FUNÈS, témoigne lui aussi de son admiration pour ce long métrage qui rassemble depuis un demi-siècle un public hilare à chaque rediffusion. LEMONIER s’attarde sur tout ce qui tourne autour du film, les faits moins connus et les anecdotes qui éclairent certaines scènes. Les acteurs, aussi bien les “vedettes” que les seconds couteaux, ont droit à leur fiche dédiée. La maison du Mexicain, telle qu’elle apparaît à l’écran, se trouve étudiée en détail, de même que le cursus scolaire chaotique de la nièce, l’univers musical du film, le passé mystérieux de Fernand NAUDIN et l’alcool “bizarre” servi dans la cuisine…
En préambule, il est rappelé ce que le propre directeur de production avait déclaré au réalisateur : “Nous pouvons entreprendre ce triste film à la condition que ce soit avec de très sérieuses économies. Sinon, ce serait peut-être plus simple de ne pas le faire, car il vaut mieux perdre 100 millions de suite plutôt que d’en perdre beaucoup plus après le tournage avec un scénario pareil.”
On aurait pu penser qu’ayant généré une littérature abondante, Les Tontons flingueurs se feraient plus discrets, les années passant, dans les catalogues des éditeurs, mais l’actualité récente nous prouve que ce film continue à être un thème porteur et conserve un nombre important d’aficionados.
GERMAIN et GEGA – encore eux ! – ont publié le 4 octobre 2019 une nouvelle version, enrichie de textes et de dessins inédits, de leur livre publié en 2011, rebaptisé pour l’occasion : l’Abécédaire des Tontons flingueurs (ci-dessous).
Un dico pour « totonophiles »
Le 20 décembre suivant, c’est au tour d’un autre livre d’être publié : Dictionnaire insolite des Tontons flingueurs.
Historien du cinéma, Philippe DURANT, auteur de biographies de BELMONDO et VENTURA, avait déjà réalisé en 2011 Le petit AUDIARD illustré par l’exemple, réédité en 2015. Pour rédiger ce livre, il avait eu accès aux archives personnelles du dialoguiste et aux scénarios originaux. DURANT en avait retiré une considérable masse d’informations inédites, comme des scènes, des répliques ou des personnages supprimés du script final.
Approfondissant ses recherches, il publie des photos inédites prises lors du tournage, rapporte des anecdotes et nous fait découvrir des documents recueillis auprès des survivants de l’équipe, en particulier les techniciens. Son livre fait figure de véritable encyclopédie, puisque aucun détail ne semble avoir échappé à son auteur : salaires des acteurs, noms des doublures, critiques de l’époque, scènes non tournées, décors, versions étrangères, conditions insolites du tournage de la fameuse scène réalisée dans une cuisine authentique et très exiguë, dossier de presse de l’époque, interview inédite de LAUTNER, etc.
La carrière des Tontons flingueurs et la postérité de Michel AUDIARD ne semblent donc pas devoir tomber dans l’oubli de sitôt !
Pour terminer, nous vous proposons de visionner cette interview donnée par Michel AUDIARD en 1976 sur la RTS.
Merci pour le partage