Traité théorique et pratique des explosifs modernes et dictionnaire des poudres et explosifs
Auteur(s) : CHALON Paul Frédéric
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Pendant des siècles la poudre noire a été le seul explosif utilisé par l’humanité. Inventée en Chine vers le IXe siècle, son utilisation se répand progressivement en Occident à partir du XIIIe siècle. Mélange de soufre, de nitrate de potassium (salpêtre) et de charbon de bois, cet explosif déflagrant est facile à fabriquer, mais il pose de sérieux problèmes quant à sa manipulation et à sa conservation. En effet, l’humidité amenuise ses facultés alors que la moindre étincelle peut déclencher son explosion de manière prématurée, causant des accidents meurtriers. De surcroît, le produit présente le défaut de dégager une fumée épaisse. L’usage de cette poudre est principalement réservé à des fins militaires, mais elle est également utilisée dans l’industrie minière et dans les carrières.
Des recherches et des expériences sont engagées pour améliorer les propriétés de la poudre noire, mais celles-ci échouent, engendrant parfois des drames, comme en 1788 à la poudrerie d’Essonnes où LAVOISIER et BERTOLLET, tentant de remplacer le salpêtre par du chlorate de potassium, déclenchent une importante déflagration qui tue le directeur de l’établissement. Il faut attendre le XIXe siècle pour constater les premières vraies avancées dans ce domaine, avec l’aide de la chimie. Le sujet est d’autant plus important qu’avec l’avènement de l’âge industriel et l’ère des grands travaux d’équipement, les ingénieurs sont à la recherche d’un explosif efficace, de qualité homogène, simple à élaborer et surtout facile à doser.
En 1846, la nitrocellulose est mise au point, mais le produit s’avère instable et sa fabrication très dangereuse. L’année suivante, c’est au tour de la nitroglycérine d’être découverte, mais elle aussi présente plusieurs inconvénients car elle est très toxique à fabriquer et sa sensibilité aux chocs mécaniques et thermiques la rend délicate à manipuler. C’est ce matériau puissant mais très dangereux que parviennent à perfectionner l’ingénieur Immanuel NOBEL et sa famille. En 1866, son fils Alfred découvre qu’en mélangeant la nitroglycérine à un composant solide inerte, le kieselguhr, l’explosif devient d’emploi fiable, son déclenchement étant lié à l’utilisation d’un détonateur. C’est ainsi que, conditionné dans des tubes en carton, un nouvel explosif fait son apparition : la dynamite. Produite industriellement, celle-ci s’avère à l’usage trois fois plus puissante que la poudre à canon.
Dès lors, en quelques décennies, les inventions vont se succéder, aussi bien dans le domaine civil que militaire. Ingénieurs, architectes, exploitants miniers et entrepreneurs de grands travaux apprennent à se familiariser avec des produits dangereux par nature et d’utilisation délicate. C’est à leur intention qu’un ingénieur de l’École des arts et manufactures, Paul Frédéric CHALON, publie en 1886 un traité général sur ce sujet alors méconnu mais promis à une rapide évolution : Les explosifs modernes, traité théorique et pratique à l’usage des ingénieurs civils et militaires, des entrepreneurs de travaux publics, des mineurs, etc. Il s’agit de l’ouvrage présenté ici.
Pour réaliser son traité, CHALON s’appuie sur une abondante “littérature” scientifique dont, entre autres, les travaux de Marcellin BERTHELOT, Henry Sturgis DRINKER, Paul VIEILLE, inventeur quelques années auparavant de la poudre sans fumée, Émile SARRAU, Manuel EISSLER, Louis ROUX, Isidore TRAUZL, Eugène TURPIN, concepteur de la mélinite accusé par la suite d’avoir vendu son invention à l’Allemagne, et, bien sûr, les membres de la famille NOBEL. En 1876, avait déjà paru un précédent ouvrage intitulé Les explosifs modernes : mémoires, composé des écrits de NOBEL, SARRAU et ROUX. Mais le sujet évoluant rapidement, l’ouvrage de CHALON arrive à point nommé pour prendre en compte les dernières évolutions dans le domaine.
Comme indiqué dans le titre, le livre se divise en deux parties. La première est constituée d’un manuel technique très bien documenté, qui traite de la composition des explosifs, de la manière de les employer dans les mines et de toutes les autres applications auxquelles ils peuvent se prêter. L’auteur consacre un chapitre à la législation en cours dans plusieurs pays car, il va sans dire, la fabrication, le transport, le stockage, la commercialisation et l’utilisation de ces produits font l’objet de l’étroite surveillance des autorités et demeurent soumis à de nombreuses contraintes juridiques. L’auteur ne s’attarde pas sur les applications militaires souvent soumises au secret, se concentrant sur les exploitations minières, les travaux publics, les chemins de fer, les tunnels et les explosions sous-marines.
La seconde partie, consacrée à un dictionnaire proprement dit, n’occupe qu’une centaine de pages. Plutôt que de suivre un plan purement alphabétique, CHALON le divise en sept classes principales : les poudres nitratées, les poudres chloratées, les poudres picratées, les explosifs à base de nitrocellulose, ceux à base de nitroglycérine, un composé organique nitré le Sprengel et enfin une catégorie “fourre-tout” comprenant, entre autres, les Bichel, chlorures et fulminates. À l’intérieur de ces classes, il passe en revue les différents types existants, indiquant leur composition et leurs principales caractéristiques. Cet inventaire nous permet de découvrir une liste impressionnante d’explosifs nouveaux mis au point en seulement quelques décennies : Haloxyline, Bolton, Fulmicoton, Pyrolite, Espir, papier poudre Melland, Pyrocoton, Vigorite, Nitrogélatine, etc.
Le livre de CHALON sera rendu obsolète, dès 1902, par la parution d’un dictionnaire de 815 pages – intitulé Poudres et explosifs : dictionnaire des matières explosives -, œuvre d’un certain J. DANIEL, un ingénieur des Arts et Manufactures qui se trouve être l’ancien directeur de la compagnie des explosifs de la marque Sécurité.
Portés par la course aux armements, de nouveaux explosifs, de plus en plus perfectionnés, destructeurs et faciles à manipuler grâce à de nouvelles générations de détonateurs, seront élaborés jusqu’à nos jours, comme le TNT, le tétryl et le plastic.
À la fin de l’ouvrage, l’auteur a placé un très utile Index alphabétique des poudres et explosifs modernes.