Théologie portative ou Dictionnaire abrégé de la religion chrétienne
Auteur(s) : BERNIER abbé (HOLBACH Paul Henri Thiry baron d')
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Né en Allemagne, celui qui passera à la postérité sous le nom de baron d’HOLBACH s’installe à l’âge de douze ans chez un oncle à Paris. Placé très tôt à la tête d’une grande fortune, il s’engage dans des études de sciences naturelles, de chimie et de physique. Grâce au salon qu’il tient le jeudi et le dimanche, d’HOLBACH devient rapidement une figure du Tout-Paris littéraire et intellectuel. Autour d’une table ouverte, il réunit régulièrement un grand nombre de convives, souvent plus d’une trentaine au total, de sorte qu’on évoquera régulièrement la “coterie” ou le cercle du baron d’HOLBACH.
L’assemblée se compose d’écrivains, d’artistes, de scientifiques, de personnalités françaises et étrangères, tels que HUME, LA CONDAMINE, SMITH, madame GEOFFRIN, BUFFON ou encore DUCLOS. Ami personnel de DIDEROT, d’HOLBACH transforme son salon en un repaire d’Encyclopédistes. C’est ainsi qu’on y retrouve habituellement D’ALEMBERT, ROUSSEAU, HELVÉTIUS, MARMONTEL, JAUCOURT et DUMARSAIS.
Ne se contentant pas de réunir amis et connaissances dans son salon, d’HOLBACH s’engage personnellement dans l’aventure de l’Encyclopédie pour laquelle il signe près de 367 articles, essentiellement consacrés à la métallurgie, la minéralogie, la chimie et la médecine. Au XIXe siècle, BARBIER l’identifie comme l’auteur d’articles non signés sur la religion tels que, par exemple, les articles théocratie et prêtres.
Anticlérical et même ouvertement athéiste, il défend une philosophie basée sur le matérialisme et le sensualisme. Rejetant toute forme de déisme et d’agnosticisme, il se révèle proche des positions les plus extrémistes de son ami HELVÉTIUS et mène une véritable campagne antireligieuse, essentiellement tournée contre le christianisme, dans une série de livres qui ne manquent pas de faire scandale. Parmi ces ouvrages, signés sous des noms d’emprunt, il faut citer Le christianisme dévoilé (1767), le Tableau des saints (1770), la Politique naturelle (1773), et bien sûr, édité pour la première fois en 1768, notre Théologie portative, ou Dictionnaire abrégé de la religion chrétienne.
Afin d’échapper à l’inévitable déchaînement des autorités religieuses et de la justice du roi, l’ouvrage est imprimé à l’étranger, censément à Londres, mais en fait à Amsterdam, sous le faux nom d’un certain abbé BERNIER, « licencié en théologie ». Le nom de l’éditeur n’est pas indiqué, mais il s’agit sans doute de REY, un des imprimeurs de l’Encyclopédie.
Le discours préliminaire et le préambule pastichent le style ecclésiastique, mais l’ironie mordante de l’auteur pointe rapidement dans un propos faussement sérieux : « En un mot, on s’apercevra sans peine que les théologiens font la religion & que la religion n’a jamais que les théologiens pour objet. Système vraiment céleste & dont jamais rien sur terre ne peut altérer la solidité ! », « Que l’on cesse de reprocher à l’Église ses persécutions, ses exils, ses prisons, ses lettres de cachet, ses tortures, ses bûchers. Plaignons-nous au contraire en voyant que toutes ces saintes rigueurs, employées dans tous les siècles, n’ont point eu l’effet désiré. »
Le livre se présente sous la forme d’un petit dictionnaire, renfermant environ 580 entrées qui vont d’Aaron à zèle avec, pour chaque article, une charge en règle, caustique et humoristique, contre la religion en général, le clergé et les superstitions en particulier. Le catholicisme constitue la cible privilégiée de l’auteur, mais les autres religions ne sont pas pour autant épargnées…
On y lit ainsi, à propos de l’enfer, que c’est « le foyer de la cuisine sacerdotale qui fait bouillir en ce monde la marmite sacerdotale », que la Sainte Vierge est « la belle-mère de l’Église » ou que les apôtres sont « douze gredins fort ignorans & gueux comme des rats d’église ». D’autres exemples sont présentés ci-dessous. Un an après la sortie de la nouvelle édition de 1775 présentée ici, prétendument éditée à Rome, ce qui est plus que douteux vu l’impiété du contenu, la Théologie portative est condamnée par le parlement de Paris à être lacérée et brûlée comme œuvre blasphématoire.
A noter la petite vengeance que réserve d’HOLBACH aux adversaires des philosophes. C’est ainsi que certaines définitions sont attribuées ironiquement à de faux auteurs, connus comme des adversaires des Encyclopédistes et des Lumières. Par exemple, la paternité de l’article ânes est dévolue à FRÉRON, l’article jésuites au père CROUST, et celle de l’article hypocrisie au marquis de POMPIGNAN.
Exemples de définitions
*Abnégation : Vertu chrétienne qui est l’effet d’une grâce surnaturelle ; elle consiste à se haïr soi-même, à détester le plaisir, à craindre comme la peste tout ce qui nous est agréable ; ce qui devient très facile pour peu qu’on ait une dose de grâce efficace ou suffisante pour entrer en démence.
*Laïques : Animaux profanes ou immondes qui n’ont pas l’honneur de manger au râtelier sacré. Ce sont les bêtes de somme ou les montures du clergé, avec cette différence que c’est communément le cavalier qui nourrit sa monture, au lieu que, dans l’église de Dieu, l’usage veut que la monture nourrisse le cavalier. Voyez Ânes, Sots, &c.
*Fripons : Voyez Prêtres, Jongleurs, Voleurs, Comédiens, &c.
*Apparitions : Visions merveilleuses qu’ont l’avantage de voir ceux ou celles à qui Dieu fait grâce d’avoir le cerveau timbré, des vapeurs hystériques, de mauvaises digestions, & de mentir effrontément.
*Yeux : Organes très inutiles à tout bon chrétien, qui doit fermer les yeux pour marcher plus sûrement dans la voie du salut, ou même les arracher quand le clergé le scandalise.
*Balaam : Faux prophète dont avoit, dit-on, la faculté de parler ; ce qui est regardé par les esprits forts comme un compte (sic) à dormir debout. Cependant, ce miracle se perpétue dans l’Église, où rien n’est plus ordinaire que de voir des ânes & des ânesses parler, & même raisonner sur la théologie.
*Séminaires : Maisons sacrées où, sous les yeux d’un évêque, l’on fait pulluler la race du Seigneur, & où ils apprennent de bonne heure à connoître le prix des marchandises célestes qu’ils auront un jour à débiter.
*Matérialisme : opinion absurde, c’est-à-dire contraire à la théologie, que soutiennent les impies qui n’ont point assez d’esprit pour savoir ce qu’est un esprit, ou une substance qui n’a aucune des qualités que nous ponvons connoître. Les premiers docteurs de l’Église étoient un peu matérialistes ; les grivois croyoient Dieu & l’âme matérielle. Mais la théologie a changé tout cela, & si les Pères de l’Église revenoient aujourd’hui, la Sorbonne pourroit bien les faire cuire pour leur apprendre le dogme de la spiritualité.