Petit dictionnaire de la cour et de la ville
Auteur(s) : CLÉMENT Jean Marie Bernard
Plus d'informations sur cet ouvrage :
Ayant abandonné des études juridiques dont il se désintéressait, Jean Marie Bernard CLÉMENT, parfois surnommé CLÉMENT de Dijon, devient professeur de lettres dans un collège de sa ville natale. Entré en conflit avec l’établissement, il lui adresse une lettre injurieuse qui lui vaut de sérieux ennuis avec les autorités locales. Il décide alors de partir s’installer à Paris, où il écrit de la poésie et du théâtre. Mais, de caractère exigeant voire même irascible, d’une franchise brusque frisant l’indélicatesse, c’est finalement à la critique littéraire qu’il va se consacrer.
Considérant comme insurpassables les grands auteurs du XVIIe siècle, il se fait particulièrement remarquer par ses attaques répétées contre VOLTAIRE, dont autrefois il avait pourtant été un admirateur déclaré. Celui-ci va désormais l’affubler du sobriquet d’“inclément”, qui le poursuivra toute sa vie et même au-delà. Jean-François de SAINT-LAMBERT, dont il avait vertement critiqué Les Saisons, fait jouer ses relations pour faire saisir son pamphlet et le faire emprisonner au Fort-l’Évêque par lettre de cachet. Bien que le polémiste ne soit guère populaire et qu’il soit en butte à de solides inimitiés, le monde des lettres, ROUSSEAU en tête, s’émeut de cette sanction. Libéré au bout de quelques jours, c’est un CLÉMENT encore plus acerbe qu’avant, mais désormais auréolé d’un regain de célébrité, qui reprend sa carrière d’écrivain avec le même entrain.
Dans sa bibliographie où dominent des essais sur l’art littéraire et des articles publiés dans des périodiques, se distingue un petit ouvrage publié en 1788 sous le titre Petit Dictionnaire de la cour et de la ville ; il s’agit du livre présenté ici. Par le titre de l’ouvrage, il semble bien que l’auteur veuille parodier un de ces multiples abrégés qui compilent les bons mots et les citations. Ce genre de livre est censé permettre à quiconque de se doter d’un vernis de culture générale pour pouvoir opportunément faire preuve d’esprit. Dans la très courte préface, nous pouvons apprécier l’ironie mordante d’un auteur apparemment peu soucieux de ménager son public : “Nous n’avons pas fait de ce Dictionnaire une entreprise volumineuse, parce que les gens du monde lisent très peu ; nous avons eu soin que les articles fussent courts parce que l’attention de ces lecteurs si délicats ne va guère au-delà de deux ou trois idées, & pour les engager à lire une préface jusqu’au bout nous ne ferons pas celle-ci plus longue.”
Plus que de définitions, nous avons ici un recueil de pensées et de maximes, dans lesquelles l’auteur déverse à longueur de pages sa misanthropie et son mépris pour la société de son temps et les travers de ses contemporains. Il se fait souvent moralisateur et désabusé, à la manière d’un LA BRUYÈRE dont il s’est vraisemblablement inspiré. À l’occasion, il serait possible de rapprocher ses cibles de celles des philosophes de son siècle, en particulier quand il montre son peu d’estime pour le clergé ; mais, refusant ostensiblement tout rapprochement avec eux, il les brocarde vertement : “Un philosophe, qui prêche contre la servitude & qui intrigue sans cesse dans les antichambres des grands & des gens en place, peut être comparé à un charlatan enrhumé qui vendroit un remède infaillible contre la toux.” Parfois rédigés en vers, ces petits textes le plus souvent sarcastiques et péremptoires sont l’occasion pour l’auteur de “régler son compte ” à ce siècle qu’il juge excessif et surévalué car, dit-il, “il fait bon naître en un siècle fort dépravé car, par comparaison d’autrui, vous êtes estimé vertueux à bon marché. Quiconque n’est aujourd’hui que faussaire & sacrilège, est homme de bien & d’honneur”.
Pendant la Révolution, CLÉMENT se tiendra prudemment à l’écart des partis, mais il trouvera néanmoins le moyen de s’attirer les foudres de son ex-ami LEBRUN-PINDARE, poète quasi officiel de la nouvelle République. À l’avènement du Consulat, il recommencera à publier des traductions ainsi que des ouvrages de critique et d’histoire littéraire, dont un Tableau annuel de la littérature qui sera édité en 1801. Il mourra à Paris en février 1812.
Notre exemplaire comporte un ex-libris de Edmond de LA GERMONIÈRE, grand amateur normand de livres rares et précieux dont les ouvrages furent dispersés lors d’une grande vente à l’hôtel Drouot en 1966.
Quelques exemples de définitions
*Abbaye : Riche & grasse récompense d’un homme dont on ne sait que faire, & qui n’est bon ni à l’épée, ni à la plume, ni aux négociations, ni au conseil, ni même à l’évêché.
*Écrivain : La gloire de certains écrivains est d’avoir des récompenses, & la gloire de quelques autres est de les mériter.
*Ami : Ami. Foule de courtisans, solitude d’amis. Avoir des gens qui vous visitent assidûment à la ville parce que vous tenez une bonne table, qui passent des mois entiers à votre maison de campagne pour se dispenser d’en avoir une, qui empruntent votre argent par préférence & ne vous le rendent point par reconnoissance, qui s’emparent de votre femme & de votre fille pour leur faire la cour ; cela s’appelle avoir des amis.
*Tolérance : Nous sommes tous pétris de foiblesses, d’erreurs & de sottises ; pardonnons-nous réciproquement nos fautes ; voilà la tolérance. Mais si cette indulgence nous accoutume à faire beaucoup plus de fautes sans honte & sans remords, à nous glorifier de nos foiblesses, de nos erreurs & de nos sottises, voilà la corruption.
*Volupté : La volupté est la fleur du vrai plaisir. Les siècles de luxe ne sont pas ceux de la volupté, mais d’une satiété crapuleuse. Il y a beaucoup de débauchés, mais peu de gens voluptueux. De même nous avons beaucoup d’auteurs cyniques & bien peu qui sachent peindre une volupté délicate & tendre. On reconnoîtra sans peine que le tableau dont on va voir la copie n’est pas d’une main moderne.