Nouveau dictionnaire géographique de la France
imprimé par ordre de l'Assemblée nationale constituante
Auteur(s) : PINTEVILLE de CERNON Jean-Baptiste
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À l’ouverture des états généraux de 1789, les députés se font l’écho d’une revendication présente dans de très nombreux cahiers de doléances : la réforme de l’organisation administrative de la France. En effet, à la fin de l’Ancien Régime, celle-ci est devenue très complexe, les administrations créées par la monarchie s’étant souvent superposées, au cours des siècles, à des institutions et des entités locales plus anciennes. Les juridictions, qu’elles soient administratives, militaires, judiciaires ou financières, n’ont pas les mêmes limites territoriales, voire les mêmes attributions, et cette situation confuse crée une grande inégalité entre les régions. De plus, beaucoup de fonctionnaires, propriétaires de leur charge, en cherchent la rentabilité sur le dos des administrés. Quant aux intendants, représentants directs du roi, ils sont considérés comme de véritables tyrans carriéristes qui ne tiennent aucun compte des traditions, des privilèges et autres particularismes locaux.
L’Assemblée constituante clarifie la situation en supprimant les provinces, les généralités et les gouvernements, et adopte un nouveau découpage rationnel du territoire, basé sur le département. La création de cette nouvelle entité administrative, subdivisée en districts, cantons et communes, est votée les 14 et 22 décembre 1789. En janvier et en février 1790, des décrets en arrêtent le nombre à 83, et les départements entrent en service le 4 mars suivant. Le projet retenu renonce à un découpage purement géométrique, envisagé dans un premier temps et, le plus souvent, leurs limites épousent celles des anciennes provinces, comme c’est la cas en Bretagne et en Normandie, chacune divisée en cinq départements. En théorie, la superficie de chacun d’entre eux est calculée de façon à ce que chaque citoyen puisse accéder à son chef-lieu en une journée de cheval au maximum. Reste à l’Assemblée à faire accepter à la population et à l’administration la nouvelle organisation du pays, et à bien la faire fonctionner pour éviter les dérives et les gaspillages d’autrefois.
Député de la noblesse aux États généraux, l’avocat et ancien administrateur provincial à Châlons-sur-Marne Jean-Baptiste de PINTEVILLE de CERNON se fait d’abord remarquer au Comité des finances en proposant un audacieux Plan général de libération des finances, destiné à épurer la dette. Mais c’est également en tant qu’ancien adjoint au Comité de constitution pour la division du royaume, qu’il présente, le 28 juillet 1791 à l’Assemblée, deux manuscrits. Le premier est un dictionnaire qui référence les villes, villages et cantons du pays, le second est un recueil de 83 tableaux “contenant chacun l’étendue territoriale d’un département divisé en districts, sa population divisée en districts & cantons, le nombre des juges de paix & de districts, & leurs traitemens ; le nombre des administrateurs de districts & de départemens, & leurs traitemens, & les dépenses du tribunal criminel”. Cette synthèse est particulièrement utile pour voir “sous un seul point de vue toute la dépense ordinaire de justice & administration de chaque départemens, & les bases de proportion de ces dépenses”.
Le travail de PINTEVILLE de CERNON reçoit un accueil enthousiaste, et l’Assemblée, qui en reconnaît “l’utilité publique”, ordonne qu’il soit imprimé pour être diffusé sur tout le territoire. Mais, malgré cette proclamation, seul le premier manuscrit est effectivement édité en 1792 sous le titre de Nouveau dictionnaire géographique de la France. L’auteur se plaint, dans sa préface, que les tableaux généraux aient été “confisqués” par le Comité de division pour “y puiser quelques renseignemens”. Afin de pallier ce manque, et dans l’attente de la restitution de son manuscrit, il joint, à la fin de son dictionnaire, quelques tableaux récapitulatifs extraits des notes de travail qu’il a conservées.
Le contenu de ce livre, initialement prévu pour être complété par des tableaux, est donc assez sommaire. Seuls figurent le nom de la localité, son importance (ville, bourg, village, etc.), ainsi que le district, le département et le nom de l’ancienne province à laquelle elle est rattachée. Selon les cas, on y signale la présence d’un tribunal et d’un évêché, ainsi que des données géographiques, comme la présence d’un fleuve, la distance par rapport aux autres grandes villes, et sa localisation en latitude et en longitude. Par exemple, la ville de Limoges a le droit à la notice suivante : “Ville considérable, chef-lieu du dist. du même nom, dép. de la Haute-Vienne, a év., trib. crim. de dist. & de com. Elle est sur la Vienne à 20 l. N.E. de Périgueux, 28 S.E. de Poitiers, 55 N.E. de Bordeaux, 93 S.p.E. de Paris ; long. 18d 55′, lat. 45d 50′. Limousin.”
Ce long catalogue austère, qui s’apparente à un outil de travail et à un pense-bête, est utilement complété par un long tableau de synthèse adjoint par l’auteur, qui précise, département par département, sa superficie, le nombre de ses cantons et de ses municipalités, la population totale, mais aussi le nombre de ses citoyens actifs et de ses électeurs. En effet, le régime électoral reste censitaire et, par exemple, dans la Sarthe, qui compte 385 155 habitants, seuls sont recensés 551 électeurs, eux-mêmes désignés par 54 109 citoyens actifs.
PINTEVILLE de CERNON ne verra jamais la publication de son second manuscrit, qui semble s’être perdu. Après avoir été brièvement maire de Châlons, il se retire des affaires et passe sans dommage à travers la Terreur, bien que son frère François soit un officier émigré. En 1795, il devient juge de paix, puis il revient en politique lors du Consulat, siégeant au Tribunat puis à la Cour des comptes, avant de mourir à Toul en 1837. Son dictionnaire deviendra vite obsolète car, sous la Révolution et l’Empire, les départements vont se multiplier. C’est ainsi que l’année même de la publication de ce livre, la Savoie est annexée et devient le département du Mont-Blanc. L’année suivante voit la création du Vaucluse et des Alpes-Maritimes, et en 1811, la France comptera 130 départements répartis sur une grande partie de l’Europe occidentale conquise par Napoléon.