Mémoires pour servir à l’Histoire des égarements de l’esprit humain par rapport à la religion chrétienne, ou Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des schismes
Précédé d'un Discours dans lequel on recherche quelle a été la religion primitive des hommes, les changemens qu'elle a soufferts jusqu'à la naissance du Christianisme, les causes générales, les liaisons et les effets des hérésies qui ont divisé les chrétiens
Auteur(s) : PLUQUET François-André-Adrien
PETIT (éditeur scientifique, prénom inconnu)
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Formé en théologie à la Sorbonne, François-André-Adrien PLUQUET est doté d’une solide culture en philosophie et en histoire. Publié en 1757, son ouvrage historico-philosophique L’examen du fatalisme, issu d’un considérable travail personnel de recherche et de synthèse, lui vaut l’estime du milieu intellectuel de son temps. L’abbé de CHOISEUL le nomme percepteur, assurant à PLUQUET une situation enviable et une bonne rente qui lui permet de se consacrer à plein temps à l’étude et à l’écriture. Reconnaissant, il dédie d’ailleurs le Dictionnaire des hérésies à son protecteur et ami qui deviendra archevêque d’Albi puis de Cambrai et ne manquera jamais par la suite de le nommer à des postes bien rémunérés.
Ami de FONTENELLE et de MONTESQUIEU, il est sollicité pour écrire des articles de l’Encyclopédie. Versé dans l’esprit philosophique et la recherche critique, il ne place pas malgré tout la raison au-dessus de la foi et demeure un défenseur inconditionnel de la religion chrétienne et de l’Église catholique. Il se rattache ainsi au pendant catholique des Lumières : le renouveau de l’apologétique chrétienne. Il consacre désormais toute son énergie à « éclairer les hommes sur les erreurs qui attaquent la religion et sur les moyens propres à prévenir les effets de leur attachement à ces erreurs ».
Pour autant, lorsqu’il entreprend la rédaction de son ouvrage de synthèse sur les hérésies, il apparaît dépourvu d’esprit imprécateur ou inquisiteur. Aucune trace d’intervention diabolique ne figure dans le livre, et les hérétiques n’y sont pas définis comme des créatures sataniques. Il évoque plutôt l’ignorance et le fanatisme (« zèle ardent mais aveugle »). Le discours est modéré et se veut argumenté et pédagogique. C’est à travers une démarche quasi scientifique, basée sur un argumentaire historique, philosophique et moral, qu’il entend dresser l’inventaire des “erreurs”.
Le fondement de son analyse consiste à considérer l’homme comme un être sans cesse animé par le désir d’acquérir et d’accroître ses connaissances. Si cette pulsion première a engendré les sociétés, les arts, les sciences, elle enfante également à la fois toutes les vertus et tous les vices et « crée [un] labyrinthe de vérités et d’erreurs » dont seul le christianisme peut aider à triompher. Cependant, si les dogmes chrétiens sont révélés, beaucoup restent des mystères et vont à l’encontre des pulsions humaines.
Lucide et pragmatique, PLUQUET affirme que la religion chrétienne « ne détruit ni l’activité de l’âme, ni l’inquiétude de l’esprit, ni la source des passions, ni l’empire des sens », et l’homme est donc porté à déduire des dogmes, en cherchant à les rendre intelligibles, « des principes d’illusions, de désordre et d’erreurs ». Proche d’une conception psychologique et anthropologique, il dénonce, comme source de l’hérésie, le désir “inconscient” de l’homme de substituer ses idées et ses principes aux mystères : « Ces hérésies… ont leurs sources dans des imperfections, ou dans des passions attachées à la nature humaine”,
Publié en 1762, le Dictionnaire des hérésies se présente sous la forme d’un ouvrage double, comme le laisse entendre son long titre. Jusqu’à la page 274 du premier volume, PLUQUET rédige, sous la forme d’un « discours préliminaire », un long exposé historique et philosophique sur le fait religieux. Suivant une logique chronologique, sa démonstration débute par l’étude de la « religion primitive des hommes », s’attarde sur l’avènement du christianisme et se poursuit jusqu’au XVIe siècle. Dans sa démonstration, il n’oublie pas d’analyser longuement les cultes païens de l’Antiquité, sans oublier le judaïsme et les religions orientales (hindouisme, zoroastriens, Islam…). Il tente à chaque étape de reconstituer l’histoire des croyances et des dogmes pour définir l’origine des déviances et démontrer “scientifiquement” les erreurs. Son discours n’hésite pas à se référer ponctuellement à des philosophes comme PLATON ou HUME.
À la suite de ce long essai, dense et très argumenté, est placé le dictionnaire proprement dit. La matière traitée y est vaste. On y trouve de nombreux portraits détaillés et parfois indulgents (HUS, ABÉLARD, MANES), la description des Églises chrétiennes orientales (abyssins, nestoriens), et de très nombreux schismes, souvent d’une portée très locale, tel le schisme luciférien. Les différentes branches du protestantisme ne sont pas oubliées (presbytériens, calvinistes), de même que la cabale hébraïque.
La description et l’histoire des nombreuses sectes chrétiennes occupent bien évidemment la plus grande partie de l’ouvrage. À côté d’hérésies très éphémères et peu suivies, on peut distinguer celles liées à un mouvement de contestation sociale (hussites, lollards, anabaptistes) et celles qui ont engendré de véritables Églises “parallèles” (ariens, albigeois, bogomiles, vaudois). Certains de ces mouvements hérétiques peuvent aujourd’hui sembler insolites, tels les adamites qui vivaient nus, les caïnites qui vénéraient JUDAS, les valésiens qui se faisaient eunuques ou les messaliens qui, dotés de la faculté de voir les démons qui environnent les hommes, faisaient des bonds pour les écraser.
Preuve de son succès public, le Dictionnaire des hérésies connaît une douzaine de rééditions jusqu’en 1853. Dans la version de 1817, ici présentée, l’éditeur PETIT ajoute cinq articles de sa main : BÉRENGER, Constitutionnels, Edmond RICHER, Jansénistes, Pasquier QUESNEL. Ces très longs ajouts sont polémiques, voire agressifs et sans nuances, envers le jansénisme, l’esprit des Lumières et la Révolution. Ces nouveaux articles suscitent de virulentes critiques, en particulier celles du neveu de PLUQUET. Nombreux sont ceux qui, même issus des milieux catholiques, estiment que PETIT dénature l’ouvrage aussi bien dans la forme que dans le fond. En effet sa version est beaucoup plus volumineuse du fait de ses additions (l’article QUESNEL fait 250 pages à lui seul) et, d’autre part, le ton modéré et conciliant de l’abbé PLUQUET n’est plus du tout de mise dans les nouveaux articles rédigés par PETIT.