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Marguerites françoyses, ou Fleurs de bien dire (Les )

Auteur(s) : DESRUES François

 à Rouen, chez Théodore REINSART, près le Palais, à l'Homme armé
 nouvelle édition (la première date de 1603)
  1606-1612 (environ)
 1 vol (546, 248 p.), 2 tomes regroupés en un seul livre
 In-douze
 vélin
 2 gravures en frontispice, bandeaux décoratifs, lettrines ornées


Plus d'informations sur cet ouvrage :

Nous ne savons que bien peu de choses sur la vie de François DESRUES, parfois orthographié DES RUES. Né vers 1575, il aurait été receveur général des finances à Soissons en 1602. Ce personnage quasi anonyme a pourtant été l’auteur de deux véritables “best-sellers” parus au début du XVIIe siècle. Le premier, présenté comme un véritable guide touristique et culturel de la France, était intitulé : Les antiquités, fondations et singularités des plus célèbres villes, chasteaux et places remarquables du Royaume de France avec les choses les plus mémorables advenues en iceluy. Le second, celui sur lequel nous allons nous pencher, est un recueil qui, à sa parution, porte le titre : Les Fleurs du bien-dire.

Publié pour la première fois en 1598, ce livre connaîtra un beau succès de librairie sur plusieurs décennies. Initialement rédigé sous forme de lettres, le livre change de forme à partir de 1605 pour devenir un recueil thématique de “traits d’esprit”, qui sera réédité et amendé à plusieurs reprises par DESRUES lui-même. La version présentée ici est une nouvelle édition due à un imprimeur-libraire de Rouen, Théodore REINSART. Si le livre n’est pas daté, les exégètes estiment que sa publication se situerait entre 1606 et 1612. Le titre de l’ouvrage est modifié pour devenir Les Marguerites françoyses, ou Fleurs de bien-dire, changement motivé par le désir de l’auteur de rendre hommage à Marguerite de ROHAN, marquise d’EPINAY, à qui l’ouvrage est dédié.

Le livre prend désormais la forme d’un abécédaire qui regroupe, sous chaque entrée, une série de phrases de tailles inégales, généralement alambiquées. Il s’agit de citations destinées à être placées dans une conversation ou un courrier pour faire montre d’un langage recherché, élégant et élitiste. Si dans ses premières éditions DESRUES avait confessé avoir “pillé” autrui pour réaliser son “bouquet”, dans la version présentée ici il ne cite aucun nom, nous laissant ainsi présumer qu’il serait le seul auteur du contenu du recueil.

Depuis le règne de FRANÇOIS Ier, la Cour de France respecte un code de conduite qui encadre la vie du monarque, de sa famille et d’un entourage constitué par une foule de courtisans désireux de s’attirer la faveur royale. En 1528, Baldassare CASTIGLIONE publie le Livre du courtisan, qui érige en modèle de savoir-vivre le courtisan cultivé, policé, ami des arts et des lettres. Dès lors, l’art de la conversation et la sophistication du langage deviennent des marqueurs sociaux pour tous ceux qui veulent faire étalage de la noblesse de leurs manières et de leur élévation d’esprit. Sous HENRI IV,  dont le portrait figure sur la page de titre de notre livre, une nouvelle “rhétorique” de Cour va s’enraciner dans la haute société. Il est paradoxal de constater que c’est pendant le règne d’un souverain aux manières et au parler particulièrement frustes qu’apparaîtra un langage riche en circonvolutions, en allégories et en hyperboles et ce, en grande partie grâce au livre de DESRUES.

Cet ouvrage ambitionne d’être un outil pour briller en société, même si son contenu littéraire reste très limité. Ce guide du “bien-dire” propose donc des “phrases toutes faites” adaptées à presque toutes les circonstances de la vie de Cour. Par exemple, sous le mot Absence, nous trouvons les locutions suivantes : “Le souvenir de tous les honneurs du monde ne me sçauroit servir que d’affliction, estant séparé de vostre douce conversation” ; “Il faut donc que l’astre de vos perfections s’éclipse de nous, pour nous faire lever un nouvel Orient, où il tourne ses rayons, & que, nous laissant une éternelle nuit, il soit le jour d’une autre province ; “Comme votre présence me tenoit lieu de lumière, & de vie : ainsi votre absence me couvre de ténèbres, & me cause mille morts douloureuses”, etc.

Comme nous le constatons, la sobriété n’est guère de mise dans le recueil. Dans des phrases de qualité poétique discutable domine le goût pour l’emphase, les images romanesques et les allégories tarabiscotées, ce que nous confirme ce petit florilège : “Si pour le bien que je prétends, je n’ay que du refus, mon esprit demy mort, s’éteignant peu à peu, ne sera pas longtemps sans esteindre sa vie” ; “Le soleil ne possède pas plus de qualité pour échauffer les corps, que vos yeux en ont pour consommer mon âme” ; “Tout mon heur [bonheur] dépend de vous, ces lettres en sont des tesmoins irréprochables escrites par mon martyre, qui en estant le sujet & l’auteur s’est servi de mes larmes pour encre, & pour papier de la candeur de mon âme”. La grandiloquence du style et la richesse des images s’épanouissent particulièrement dans l’expression des sentiments et les affaires de cœur. Par bien des côtés, ce petit livre s’apparente à un véritable guide du marivaudage et de la séduction. La première édition portait d’ailleurs un sous-titre très explicite, indiquant que le recueil avait été rédigé “pour exprimer les passions amoureuses, tant de l’un comme de l’autre sexe”.

D’autres épigrammes, plus concises et moins ampoulées, ressemblent davantage à des proverbes ou des sentences morales : “Nul ne peut être bon par la volonté d’autruy, mais bien par la sienne” ; “Il faut plutôt offencer avec les choses vrayes, que plaire en flattantʺ ; “La prudence ne s’emploie pas seulement pour nous faire avoir le bien, mais aussi pour nous éviter le mal” ; “La plus honteuse perte qui nous puisse arriver, c’est le temps mal employé par notre négligence” ; “Tant que nos espérances durent, nous ne voulons point quitter nos désirs” ; autant de maximes dans le style de LA BRUYÈRE ou CHAMFORT, qui contrastent avec les déclarations enflammées qui constituent la plus grande partie du livre.

Le succès est tel qu’un nouvel opus voit le jour sous la forme d’une Suite des marguerites françoises, ou Second thrésor du bien-dire, qui sera publié à Rouen en 1611, toujours par REINSART. Après DESRUES, qui serait décédé vers 1633, d’autres guides d’éloquence et de bons mots verront le jour dans la lignée de ses Marguerites françoises, tels Les compliments de la langue françoise et le Secrétaire à la mode. Le goût pour le “beau langage” et l’art de la conversation va prendre de plus en plus d’ampleur, pour trouver sa réalisation dans le mouvement littéraire de la préciosité.

Notre exemplaire porte un ex-libris du baron LAMBERT.



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