Les métiers et corporations de la ville de Paris
XIIIe siècle. Le livre des métiers.
Auteur(s) : BOILEAU Étienne, LESPINASSE René de, BONNARDOT François
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Issu d’une famille noble du pays d’Angers, Étienne BOILEAU, parfois orthographié BOYLEAUX, est nommé prévôt de Paris par LOUIS IX, qui apprécie son intégrité. Cette fonction, qu’il ne faut pas confondre avec celle de prévôt des marchands, fait de lui le superviseur de la fiscalité des revenus royaux, mais aussi le représentant direct du roi pour la justice et la police dans la capitale. Par sa fonction, il lui incombe d’intervenir dans les différentes confréries professionnelles de la capitale. Sous sa magistrature, les “corporations d’arts et métiers” seront réorganisées pendant que leurs règlements et coutumes se verront consignés par écrit sur un registre. De sa propre initiative, BOILEAU réunira ces documents dans un recueil daté de 1268 qui, intitulé Les Établissements des Métiers de Paris, est connu sous le titre de Livre des Métiers.
L’original de ce précieux témoignage sur l’organisation sociale et la vie quotidienne du Paris médiéval a, hélas, disparu dans l’incendie qui, en 1737, ravagea la Cour des comptes, mais une copie lui a survécu. Tel qu’il se présente, l’ouvrage est tronqué, une partie annoncée s’avérant manquante. Il faudra attendre 1837 pour que ce document, jusque-là connu des seuls érudits et des universitaires, soit publié pour la première fois in extenso par Georges-Bernard DEPPING dans la série Collection des Documents inédits sur l’histoire de France. En 1879, c’est au tour de l’historien René de LESPINASSE et du paléographe et archiviste François BONNARDOT, par ailleurs sous-directeur du Bureau des travaux historiques de la ville de Paris, de reprendre le texte de BOILEAU pour en publier une version critique et commentée qui paraît sous le titre Les métiers et corporations de la ville de Paris.
Avant de livrer au lecteur le livre de BOILEAU proprement dit, dont le texte écrit en vieux français a été reconstitué à partir de plusieurs manuscrits, LESPINASSE et BONNARDOT proposent un exposé historique, long de plus de 150 pages, sur le monde des artisans au Moyen Âge. Ils reviennent en détail sur le système corporatif qui régissait alors la vie professionnelle des artisans et des marchands. Dans une société “universellement hiérarchisée”, le monde des métiers s’était constitué comme une “vraie seigneurie collective”, insérée dans la société féodale. Ce système très contraignant, caractéristique qui lui vaudra d’être par la suite considéré comme une entrave au progrès et aboli par la loi Le Chapelier sous la Révolution, permettait d’assurer une forme de protection, de sécurité et d’assistance à ses membres. Les corporations, en fixant les droits et les devoirs de chacun, étaient habilitées à parler d’une seule voix avec les autorités.
À la suite de cette introduction, les deux auteurs classifient les divers métiers selon leur domaine d’activité, comme l’alimentation, les métiers d’art tels que l’orfèvrerie, la joaillerie et la sculpture, le travail du métal, les étoffes et l’habillement, le cuir et les peaux, le bâtiment, etc. Ils énoncent pour chaque groupe et sous-groupe les statuts et les règles qui régissent la profession. La description des techniques demeure assez sommaire, BOILEAU centrant son propos sur les droits et devoirs des travailleurs. C’est ainsi que nous retrouvons les infractions et les amendes correspondantes, de même que l’organisation juridique de la corporation ; sans oublier bien sûr l’élément essentiel que constituent les impôts, les taxes et l’exemption éventuelle de certaines redevances.
Mais, malgré ce côté très officiel et un peu austère, Le Livre des métiers demeure une source essentielle pour appréhender la vie quotidienne, l’organisation sociale et l’activité économique à Paris au Moyen Âge. Même s’ils ne sont pas tous cités, nous découvrons la multitude des métiers alors pratiqués, comme celui des talemeliers, liniers, foulons et blatiers, des patenôtriers (fabricants de chapelets), des batteurs d’or en feuille ou des lampiers ; en passant par celui des chapeliers de plumes de paon ou de fleurs, des lormiers, des maçons, des barilliers, des crépiniers, ou encore des “Tesserandes de queuvrechiers de soie”, des “fileresses” et des “estuveurs“. Le règlement du travail, qui fixait les jours travaillés, les jours chômés ainsi que les fêtes religieuses, y compris celle concernant le saint-patron de la confrérie, interdisait généralement le travail de nuit, propice aux malfaçons voire à une production clandestine.
Devenu un classique, le Livre des métiers a fait l’objet de nombreuses éditions.
Quelques extraits
– “Les criages étaient des annonces de prix et de marchandises publiées dans la ville, au nom des commerçants. On trouve à Paris, dès le Xe siècle, des crieurs de peaux et de cuir, des crieurs de gaufres et d’oublies. Toutefois, ces gens étaient en même temps fabricants, et se bornaient à crier leur marchandise. Les véritables crieurs étaient les Crieurs de vins, les seuls, d’ailleurs, qui soient enregistrés dans les statuts des métiers. Jean de Garlande parle de ces gens criant à gorge déployée, le vin exposé dans les tavernes, au prix de quatre, six, huit, douze deniers, et donnant à goûter de ce vin tiré dans un verre. Il est vraisemblable que les Taverniers ont commencé à se servir librement et gratuitement des crieurs, pour faciliter le débit de leurs vins, et qu’ils ont dû subir ensuite la réglementation, ainsi que la taxe du pouvoir royal, sur ce mode de procéder. Dès le commencement du XIe siècle, les criages de Paris constituaient déjà une source de revenus, qui fut donnée en fief à un certain Simon de Poissy. Ce fief ayant fait retour à Philippe-Auguste, le monarque l’abandonna, moyennant un fermage annuel de 320 livres à la Prévôté des Marchands, avec l’administration du métier, les impôts personnels et des mesures, la livraison de ces mesures et les amendes de basse justice. La puissante communauté des Taverniers se trouvait ainsi surveillée par les Crieurs, agents responsables, devant le Prévôt des Marchands, de la stricte exécution des règlements pour la vente des vins. La mesure pouvait paraître vexatoire ; mais elle était indispensable pour diminuer, autant que possible, les occasions de fraude et arrêter les mauvaises dispositions qui ont toujours été le fait des marchands de vins. Malheureusement cette surveillance, peu soucieuse de l’intérêt public dans la fraude sur les vins, ne tendait qu’à saisir les fausses mesures des Taverniers, pour leur infliger des amendes. On pouvait vendre du vin de toute espèce, trouble ou aigri ; mais il fallait se conformer strictement au tarif et aux mesures légales.”
– “Nul ymagier paintre ne doit et ne peut vendre chose pour dorée, de la quele li ors ne soit assis seur argent. Et se li ors est assis seur estaim et il le vent pour dorée sans dire, l’auvre est fause ; et doit li ors et li estains et toutes les autres couleurs estre gratées tout hors ; et cil qui tele ouevre aura vendu pour dorée le doit faire tot de nouvel bone et leal, et le doit amender au Roy par le leau jugement au prevost de Paris.” (Texte original de BOILEAU)
– “Le métier de Serrurier en cuivre était franc ; l’apprentissage durait sept ans avec Serruriers de cuivre vingt sous, huit ans sans argent. Le travail de la nuit était sévèrement réprimé. Quand il manquait quelque chose à la serrure, on la déclarait fausse, et pour lors “elle devoit estre arse” ou plutôt mise hors d’état de servir. Une prescription défendait aux serruriers de faire une réparation au compte des gaîniers ou des merciers, parce que ceux-ci prenaient, de leur côté, une grosse somme pour infractions aux règlements, ou pour contestations entre deux ouvriers, le maître Maréchal avait la totalité chez les Maréchaux, soit quatre deniers, parce que c’était le métier sur lequel il exerçait une plus grande autorité. Quant aux couteliers et serruriers, qui dépendaient aussi de lui, leurs infractions entraînant de plus grandes conséquences, l’amende s’élevait à cinq sous.”