histoire naturelle, Théologie

Spectacle de la nature (Le)

ou Entretiens sur les particularités de l'Histoire naturelle qui ont paru les plus propres à rendre les jeunes gens curieux et à leur former l'esprit

Auteur(s) : PLUCHE Noël-Antoine

 à Paris, chez les frères ESTIENNE, rue St. Jacques, à la Vertu
 nouvelle édition (la première date de 1732-1750)
  1764-1770
 9 vol.
 In-douze
 veau marbré, dos lisse orné, pièces de titre et de tomaison en maroquin rouge, gardes marbrées, tranches rouges, coupes ornées
 frontispice gravé en taille-douce par ROUVIÈRE au début de chaque volume, planches gravées par Jacques-philippe LE BAS


Plus d'informations sur cet ouvrage :

Le siècle des Lumières se présente comme une période d’effervescence scientifique et technique caractérisée par la volonté de vouloir étendre le champ des connaissances humaines en s’appuyant sur la raison et la logique. Une des sciences les plus fondamentales alors en plein développement est l’histoire naturelle, domaine dont les implications philosophiques sont importantes et suscitent les débats les plus passionnés. Avec des personnalités comme BUFFON, RÉAUMUR, CUVIER et LAMARCK, la France apporte une contribution essentielle au XVIIIe siècle en érigeant les sciences naturelles en une véritable discipline scientifique et en faisant progresser la recherche. Moins connu que ces célèbres scientifiques, un véritable pionnier de la discipline reste le plus souvent oublié dans les résumés et les synthèses sur l’histoire naturelle : il s’agit de l’abbé Noël-Antoine PLUCHE.

Nommé à vingt-deux ans professeur d’humanités au collège de sa ville natale de Reims, PLUCHE embrasse l’état ecclésiastique. Appelé par l’évêque de Laon, il occupe la direction du collège de la cité. En dépit de ses mérites, il se voit bientôt inquiété pour ses sympathies jansénistes et il démissionne pour ne pas avoir à reconnaître la bulle Unigenitus. Soucieux d’éviter l’emprisonnement, et grâce à l’entremise de Charles ROLLIN, il se réfugie chez l’intendant de Normandie qui lui confie l’éducation de son fils avant de s’installer à Paris où il dispense des cours d’histoire et de géographie.

Mais rapidement, renonçant à toute activité d’enseignement, il se consacre pleinement au projet qu’il caressait depuis son séjour à Rouen : rédiger une vaste synthèse sur l’histoire naturelle. Faisant l’éloge de la “saine” curiosité, le sujet semble lui tenir à cœur : « La nature est le plus savant et le plus parfait de tous les livres propres à cultiver notre raison, puisqu’il renferme à la fois les objets de toutes les sciences, et que l’intelligence n’en est bornée ni à aucune langue, ni à aucune personne. » Au terme d’un travail considérable, son Spectacle de la nature, qui compte au final huit tomes répartis en neuf volumes, est publié, entre 1732 et 1750, par la veuve ESTIENNE et Jean DESAINT. Le succès de l’ouvrage, immédiat et considérable, le consacre comme un des best-sellers de son temps, faisant l’objet de dix-sept éditions “officielles” avant la Révolution, sans compter les nombreuses traductions en italien, en allemand, en anglais, en néerlandais et en espagnol. La version présentée ici est une édition posthume publiée à partir de 1764 et réalisée par les frères ESTIENNE. L’année suivante, les mêmes éditeurs sortiront un texte inédit de l’auteur, Concorde de la géographie des différents âges.

L’une des grandes originalités du livre est d’être constitué de dialogues, forme qui rappelle le principe adopté pour la rédaction de nombreuses fables philosophiques. PLUCHE estime particulièrement pédagogique un procédé qui emprunte directement à la fiction romanesque : « Ce qu’ils peuvent dire de curieux et de nouveau semble même toucher davantage. Nous nous trouvons flattés de l’apprendre de nos semblables : en les entendant on se croit capable de penser et de s’occuper aussi raisonnablement qu’eux. » Se déroulant au cours de différents loisirs champêtres (promenades, chasse, pêche, repas, visites, etc.), les dialogues mettent en scène le chevalier du BREUIL, « un jeune homme de qualité », hébergé dans le domaine campagnard du comte JONVAL, ainsi que la comtesse et le prieur du lieu. Des lettres étant échangées entre les protagonistes, ce livre constitue également en partie un roman épistolaire. PLUCHE donne à son encyclopédie le caractère d’une “conversation libre” faite de digressions et de longs développements scientifiques, comme par exemple sur l’éducation et les arts mécaniques. Ce parti-pris confère à l’ensemble une dimension un peu artificielle, ce que ne manqueront pas de souligner les détracteurs de l’ouvrage.

Chaque volume est consacré à un sujet précis. L’ensemble se décompose ainsi : Ce qui regarde les animaux et les plantes ; Ce qui regarde les dehors et l’intérieur de la terre ; Ce qui regarde le ciel et les liaisons des différentes parties de l’univers avec les besoins de l’homme ; Ce qui regarde l’homme considéré en lui-même ; Ce qui regarde l’homme en société ; Ce qui regarde l’homme en société avec Dieu.

Comme le laissent deviner certains intitulés de parties, PLUCHE reste avant tout un croyant attaché à une vision apologétique de la nature conciliant foi et raison. Par là même il pose les limites de son propos en renonçant à expliquer en profondeur les “secrets” de la nature. Il préfère en montrer la variété, l’organisation et les principes généraux qui la régissent, considérant que Dieu est l’origine et l’aboutissement de toute chose. Le terme de Spectacle choisi pour le titre n’est pas anecdotique, car PLUCHE privilégie la contemplation de la nature à une analyse en profondeur. Comme l’a écrit un universitaire contemporain : « Le spectacle semble une fiction à vocation apologétique dans laquelle la science n’est qu’un instrument et le discours scientifique un truchement qui permet de comprendre la finalité de la nature. »

L’auteur résume ainsi sa démarche : « Prétendre pénétrer le fond même de la Nature ; vouloir rappeler les effets à leurs causes spéciales ; vouloir comprendre l’artifice et le jeu des ressorts et les plus petits éléments dont ces ressorts sont composés, c’est une entreprise hardie et d’un succès trop incertain. Nous la laissons à ces génies d’un ordre supérieur, à qui il peut avoir été donné d’entrer dans ces mystères et devoir nous en tenir à la décoration extérieure de ce monde, et à l’effet des machines qui forment le spectacle. Nous y sommes admis. On voit bien même qu’il n’a été rendu si brillant que pour piquer notre curiosité, mais, contents d’une représentation qui remplit suffisamment nos sens et notre esprit, il n’est pas nécessaire de demander que la salle des machines nous soit ouverte. » Si la rédaction de l’ouvrage constitue bien une entreprise scientifique, elle reste toujours placée sous le signe de la religion. En cela, PLUCHE semble se rattacher au courant de la théologie naturelle, suivi par des intellectuels comme John RAY et William DERHAM.

Autre conséquence logique de sa vision scientifico-religieuse, la nature, perfection et finalité de sa création, est pour l’auteur assignée par Dieu au service de l’humanité. PLUCHE souligne donc en permanence à quel point la nature est au service de l’homme. Il ne cesse de démontrer que tout a été prévu pour sa subsistance et son bien-être, le rôle de la science étant réduit à constater l’intervention de la Providence dans tous les domaines. Ce “finalisme” est poussé très loin car « les plus petites choses avaient dans la nature une destination, et une fin toute particulière, et qu’on trouve Dieu dans la structure de la patte d’une mouche comme dans la structure du soleil même ». Les affirmations de PLUCHE, qui soutient par exemple que « les marées avaient été faites en vue de faciliter l’entrée des bateaux dans les ports et pour empêcher que l’eau de mer ne se corrompe », deviendront rapidement la cible des philosophes et des Encyclopédistes qui, oubliant un peu facilement la valeur de ce premier grand travail de vulgarisation en français, railleront les “sottises” et les erreurs relayées par Le spectacle de la nature. VOLTAIRE en particulier est impitoyable : « Mes compliments à M. PLUCHE, qui continue si intrépidement à copier des livres pour étaler le spectacle de la nature, et qui s’est fait le charlatan des ignorants. On ne peut être plus content que je le suis de voir une préparation et même une démonstration évangélique à côté de la manière d’élever des vers à soie… En vain dirait-il que les jambes sont faites pour être bottées et le nez pour porter des lunettes. »

Ces jugements sévères expliquent sans doute le relatif oubli dont souffre un auteur à qui revient pourtant le mérite d’avoir en son temps relancé en France l’étude de l’histoire naturelle et influencé, même s’ils s’en défendirent, plusieurs scientifiques comme BUFFON. Avant son décès, survenu en 1761, PLUCHE continuera à écrire sur des sujets divers, comme en témoignent son Histoire du ciel considéré selon les idées des poètes, des philosophes et de Moïse et sa Mécanique des langues et l’art de les enseigner.



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