
L’Albert moderne ou Nouveaux secrets éprouvés et licites
recueillis d'après les découvertes les plus récentes : les uns ayant pour objet de remédier à un grand nombre d'accidens qui intéressent la santé : les autres, quantité de choses utiles à sc̜avoir pour les différens besoins de la vie : d'autres enfin, tout ce qui concerne le pur agrément, tant aux champs qu'à la ville
Auteur(s) : ALLETZ Pons Augustin
Plus d'informations sur cet ouvrage :
Avocat de formation, Pons-Augustin ALLETZ quitte sa ville natale de Montpellier pour se consacrer à l’écriture. Il se spécialise dans des dictionnaires et des synthèses où il traite les sujets les plus variés. Il devient un compilateur très prolifique qui abordera aussi bien l’histoire grecque que la zoologie, la philosophie, la poésie, l’agriculture ou l’éloquence. Sa longue bibliographie va de l’Histoire des singes et autres animaux curieux à un Abrégé de l’histoire grecque, en passant par un Dictionnaire portatif des conciles. Un de ses plus grands succès sera L’Agronome, ou Dictionnaire portatif du cultivateur, qui sera réimprimé à plusieurs reprises, y compris au siècle suivant.
En 1768, il propose un ouvrage pratique sur ce qui s’appelait alors “l’économie domestique“. Il y prodigue une série de conseils sur la santé, les tâches ménagères, la cuisine, la conservation des aliments, toutes sortes de recettes et d’astuces destinées à faciliter la vie quotidienne. Il traite également les techniques de premiers secours en cas d’accident, de blessures ou de maladie. Publié pour la première fois en 1768, le livre s’intitule L’Albert moderne, ou Nouveaux secrets éprouvés & licites. Le titre se réfère à un célèbre ouvrage de l’Europe médiévale intitulé Le Grand Albert. Attribué à tort au philosophe ALBERT le Grand, ce grimoire dispensait des notions d’anatomie et d’histoire naturelle. Il contenait également une pharmacopée bien singulière, au croisement de la superstition, de la magie et de l’alchimie.
Se présentant lui-même comme homme de raison, ami de la modernité, ALLETZ s’oppose à ces “prétendus enchantements qui choquent le bon sens, & qui sont défendus par des lois respectables”. Il fait appel à des sources fiables, scientifiquement validées : “L’ouvrage que nous offrons au public contient une collection de différents secrets qui ont été communiqués par la voie des ouvrages périodiques depuis plus de vingt ans, & par des périodiques qui, après avoir fait une heureuse découverte, confirmée par plusieurs expériences, en ont fait part au public, y étant excités par le seul amour de l’humanité & pour être utiles à leurs semblables.” Ce manuel, qui connaîtra de bonnes ventes, débute par un avant-propos qui met les lecteurs en garde contre une bonne dizaine de contrefaçons circulant dans le pays. Il sera réédité avec quelques ajouts l’année suivante ; il s’agit de l’édition présentée ici.
ALLETZ a divisé son livre en trois parties. La première est consacrée à la santé. Comme dans les autres ouvrages de ce genre, l’auteur cible les “maux qui ne demandent pas absolument la venue d’un médecin”. Il s’adresse tout particulièrement aux personnes vivant isolées à la campagne et dans l’obligation de se soigner par leurs propres moyens. C’est ainsi que le manuel propose des remèdes naturels aux ingrédients a priori faciles à se procurer ou disponibles dans une maison “bien tenue“, afin de lutter contre les fièvres, les maux de ventre ou de poitrine, la gale, les migraines, les morsures de vipères, la maladie de la pierre, les plaies, les poux, les entorses, la petite vérole, la goutte et les verrues.
La deuxième partie “renferme des secrets qui ont pour objet l’utilité. Sous ce terme général, nous entendons ceux qui peuvent être utiles aux agriculteurs, aux administrateurs des biens de campagne, à tous ceux qui aiment l’économie”. Dans un style “fourre-tout”, cette section rassemble des renseignements sur l’alimentation, différents types de culture et d’élevage, ainsi que de nombreuses recettes de cuisine, comme celle de la confiture de carottes et de la crème au chocolat.
Enfin, la troisième partie révèle les “secrets qui ont pour objet les choses de pur agrément”. Nous y trouvons les moyens de réaliser diverses liqueurs, comme le ratafia d’œillet à la provençale ou à la noix, le vin de groseille, mais aussi des conseils pratiques d’horticulture ornementale. ALLETZ détaille également des techniques qui permettent d’obtenir des teintures et autres produits de droguerie, comme les vernis, destinés à la pratique de ce qu’on appellerait aujourd’hui des “arts créatifs”.
Malgré une sévère concurrence entre les ouvrages traitant de l’économie domestique, le livre d’ALLETZ connaîtra une belle carrière et survivra à son auteur, qui décèdera en 1785. En 1793 paraîtra une édition augmentée en trois volumes. L’exemplaire que nous présentons ici comporte un ex-libris avec blason de R. AMEIL
Extraits
Entorses : Pour empêcher que les os ne sortent de leur situation naturelle par la distension subite des tendons, ce qui pourrait arriver, le plus court remède est de plonger le pied nu dans un seau d’eau fraîche. Ensuite, on met un cataplasme adoucissant. Que si l’entorse vient des reins qui ont souffert un effort extraordinaire, on doit appliquer dessus un peu d’eau-de-vie camphrée, ou un peu de poix de Bourgogne mêlée avec du baume du Pérou. Mais, si l’entorse est considérable, il faut saigner le malade, le mettre à la diète, lui donner des lavements & prendre toutes les précautions nécessaires en pareils cas.
Piège pour prendre les loups : On fait deux enceintes de pieux l’une dans l’autre, & dont l’espace entre elles n’a de largeur que pour que le loup puisse y marcher. Les pieux doivent n’avoir entre eux qu’un pouce de distance, & être élevés de terre de quatre pieds. On doit les affermir en les entrelaçant avec de l’osier. L’enceinte intérieure doit avoir huit à dix pieds de diamètre ou de largeur. Dans le centre, on place une espèce de cage ou l’on enferme une vieille brebis ou une oie ; & l’on choisit ces animaux préférablement à d’autres, parce qu’ils ne cessent point de crier, lorsqu’ils se trouvent seuls, & puis, leurs cris sont très propres à attirer les loups. Chacune de ces enceintes a sa porte ; celle de l’enceinte intérieure est fermée de façon que le loup ne la puisse ouvrir […]. Il entrera par l’espace que laissera la porte qui est ouverte. Il tournera dans l’enceinte & viendra rencontrer le derrière de la porte ; alors, comme il ne pourra ni reculer, ni se retourner, il heurtera cette porte qui, n’étant arrêtée que faiblement, se fermera d’elle-même au moyen d’un cliquet dont on aura eu soin de la garnir. Ainsi, le loup se trouvant enfermé, tournera sans cesse entre les deux enceintes sans pouvoir jamais franchir ni l’une ni l’autre.
Manière de faire cuire une volaille sans broche & sans feu : Commencez par apprêter & larder votre volaille comme à l’ordinaire. Ensuite, farcissez-la de bon beurre avec de la sauge, passez au travers un morceau d’acier rougi au feu, de la longueur de la volaille, & de la forme à peu près d’un rouleau de pâtissier. Mettez après cela votre volaille dans une boîte en fer-blanc bien fermée ; au bout de deux heures elle sera cuite. Cette méthode peut être fort commode pour des officiers en route, qui pourront, par ce moyen, porter avec eux leur dîner tout cuit.
Liqueur vineuse : Manière de faire une telle liqueur fort agréable. Prenez du cidre nouveau au sortir de la presse, mêlez-y une suffisante quantité de miel jusqu’à ce qu’un œuf puisse s’y soutenir. Faîtes bouillir le tout pendant un quart d’heure, mais non pas dans un vaisseau de fer, écumez-le à mesure que l’écume monte dessus. Laissez-le refroidir, ensuite versez-le dans un vaisseau convenable, de manière qu’il ne soit pas tout à fait plein. Au mois de mars suivant, on peut le mettre en bouteille, il sera bon à boire un mois ou six semaines après. Vous boirez une liqueur vineuse très agréable, fort spiritueuse, & aussi forte que le vin de Madère. Le miel qu’on ajoute au cidre est un très bon ingrédient pour lui ôter ce goût dur & austère qu’il aurait sans cela.
Maniaques ou gens atteints de folie : Secret pour les guérir. Il faut purger les malades par haut & par bas ; ensuite leur faire tremper les pieds & les mains dans l’eau & rester dans cette situation jusqu’à ce qu’ils s’endorment. La plupart se trouvent guéris à leur réveil. On doit encore leur appliquer sur la tête rasée des feuilles pilées de chardon à foulon. Ce remède aussi prompt que simple a été communiqué par un curé de campagne (le curé de Gagny), qui a guéri plusieurs personnes maniaques par cette voie.