Guide théorique et pratique de l’amateur de tableaux
études sur les imitateurs et les copistes des maîtres de toutes les écoles dont les oeuvres forment la base ordinaire des galeries
Auteur(s) : LEJEUNE Théodore Michel
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Théodore Michel LEJEUNE, aujourd’hui méconnu, était un artiste très apprécié des institutions académiques pendant le Second Empire. Distingué lors d’un concours, il devient “peintre attaché aux Musées impériaux”, spécialisé dans la restauration de peintures monumentales. Il est notamment l’auteur de la restauration, en 1852, des fresques très dégradées du dôme de l’église Saint-Louis des Invalides puis, deux ans plus tard, il est chargé de reprendre les peintures murales de Martin FRÉMINET qui décorent la chapelle de la Trinité au château de Fontainebleau. Bien que très apprécié de l’architecte Hector-Martin LEFUEL, son travail est beaucoup plus critiqué de nos jours. Bien établi et apprécié des autorités et de ses pairs de l’art “officiel”, il est décrit comme “restaurateur des tableaux, par suite de concours, des Musées impériaux, du ministère d’État, et de la Maison de l’Empereur ; conservateur des galeries Duchâtel, B. Fould, de Mornay, Soult de Dalmatie, etc.”. C’est donc fort de sa renommée que LEJEUNE se lance dans la rédaction d’un ouvrage destiné à guider les particuliers dans leurs achats de peintures.
Objet de prestige par excellence, les tableaux, d’abord réalisés sur bois puis quasi exclusivement sur toile, sont, pour qui les détient, la marque d’un niveau social supérieur. Réservés à l’origine à une clientèle aristocratique ou ecclésiastique, les portraits, les allégories, les représentations bibliques ou mythologiques, les paysages ou les natures mortes sont désormais prisés par une bourgeoisie aisée soucieuse de faire étalage de son goût pour les arts, mais aussi d’afficher sa richesse matérielle.
Au XIXe siècle, grâce à l’essor économique, émerge une nouvelle bourgeoisie qui cherche à affirmer sa proximité avec les classes supérieures de la société ; phénomène qui renforce la demande pour des œuvres attribuées à des maîtres reconnus, dans un marché de l’art où le meilleur côtoie le pire. Les acheteurs potentiels s’exposent, avec d’autant plus de facilité qu’ils ne possèdent souvent qu’une culture artistique superficielle voire inexistante, aux fautes de goût mais aussi à la filouterie de vendeurs sans scrupules et de faussaires habiles.
LEJEUNE considère que les outils existants susceptibles de guider les amateurs dans leurs recherches et leurs achats, tel le livre de DESCAMPS intitulé Guide des amateurs de peinture dans les collections générales et particulières, les magasins et les ventes, publié par Pierre-Marie GAULT de SAINT-GERMAIN en 1818, sont le plus souvent datés, incomplets et peu pratiques à utiliser. C’est ainsi, qu’après avoir travaillé à son livre pendant dix-neuf années, il propose son Guide théorique et pratique de l’amateur de tableaux, dont les trois volumes sont publiés entre 1863 et 1865. Il s’agit de l’ouvrage présenté ici.
Dans sa préface, il précise son objectif : “J’ai souvent entendu regretter l’absence d’un livre donnant la classification exacte des bons, des véritables peintres en tous genres et de toutes les écoles, accompagnée d’une énumération de leurs copistes et imitateurs ; classification qui viendrait en aide aux amateurs et faciliterait les recherches nécessaires à la constatation, aussi irrécusable que possible, de ce qu’on nomme les attributions et les provenances.”
Il entame son ouvrage par un long exposé mêlant des considérations et des expériences personnelles, des démonstrations très techniques dans lesquelles se sent l’expertise du restaurateur en œuvres d’art. Il poursuit par une attaque en règle, tantôt emphatique, tantôt ironique, du milieu du marché de l’art, dénonçant en particulier les faussaires et les “maquilleurs” de tableaux, qu’il appelle “fabricants de tableaux à tournure et patineurs d’analogues”. Il passe en revue ce “commerce déshonnête” qui “s’opère de deux manières : la première consiste à faire copier un original, le plus adroitement possible, sur un vieux panneau ou sur une vieille toile parfaitement identique. La seconde, la plus généralement adoptée par les contrefacteurs, s’exécute par le patinage des tableaux à tournure, c’est-à-dire en retouchant habilement les tableaux qui offrent une certaine analogie avec les œuvres d’un chef d’école ou de genre”. Il s’intéresse essentiellement aux tableaux résultant de cette seconde méthode, qui, selon lui, piège un très grand nombre d’amateurs et de marchands de bonne foi.
LEJEUNE prend soin de décrire en détail la contrefaçon, donnant au passage des conseils et des astuces pour la déceler. Il réserve ses mots les plus durs aux brocanteurs filous, aux “experts appréciateurs” vénaux et sous-qualifiés, aux marchands escrocs et autres magouilleurs qui, en truquant les estimations, faussent les ventes. Le chapitre VII, intitulé “Les ruses de la Tableaumanie”, livre un portrait au vitriol d’un monde peu reluisant.
Après une présentation générale de différentes écoles de peinture européennes (France, Angleterre, Pays-Bas, Italie, etc.), l’auteur, qui dans son livre ne s’intéresse qu’à la peinture ancienne et occidentale, présente, par zone géographique, les peintres “dont l’œuvre a été copiée ou dont on trouve des analogies”. Il ne s’agit donc pas d’une biographie détaillée de chaque artiste, mais d’une présentation de son style, de ses œuvres majeures, des musées où elles sont présentes, et enfin de ses “copistes” les plus connus.
Par exemple, l’article concernant LE TITIEN se décompose ainsi : une rapide présentation qui précise que beaucoup d’œuvres peintes par ses élèves lui sont abusivement attribuées ; les œuvres visibles, que ce soit dans des musées, des églises ou des collections privées ; un tableau récapitulatif de ventes avec les prix d’acquisition ; et enfin de courtes notices sur les artistes qui ont copié, pastiché ou adopté un style très proche de celui du maître, comme NADALINO DA MURANO ou GIROLAMO di TIZIANO.
Bien qu’il ait déclaré dans sa préface que : “Mon but, dans cet ouvrage, est d’établir un classement analytique d’où seront exclus tous les peintres inférieurs, traditionnellement proscrits des cabinets”, LEJEUNE revoit sa position, précisant plus tard “qu’en prévision d’un revirement dans le goût ou l’opinion publique, je n’ai cru ne devoir faire aucune exclusion“. Enfin, il consacre une grande partie du troisième tome à une Table analytique des peintres de toutes les écoles depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, qui contient près de 9 000 noms.
Pour LEJEUNE, il importe surtout à l’amateur de pouvoir identifier une signature authentique. Dans ce but, il reproduit près de 2 500 fac-similés de signatures et de monogrammes “des maîtres de toutes les écoles, c’est-à-dire dix fois plus que n’en contiennent les dictionnaires existants”. L’auteur précise qu’il est parvenu à ce résultat grâce à une annonce par voie de presse, qu’il a fait publier en France et à l’étranger pour solliciter des reproductions d’autographes.
À sa sortie, le livre connaîtra un certain retentissement mais, après cette publication, nous ne trouvons plus trace de son auteur, qui serait décédé vers 1868.