Erotisme, Antiquité gréco-romaine

Glossarium eroticum linguæ latinæ

sive theogoniae, legum et morum nuptialium apud Romanos explanatio nova ex interpretatione propria et impropria et differentiis in significatu fere duorum millium sermonum, ad intellegentiam poetarum et ethologorum tam antiquae quam integrae infimaeque latinitatis

Auteur(s) : PIERRUGUES Pierre-Emmanuel

 

baron SCHONEN, JOUHANNEAU Éloi

 Parisiis, apud Aug.-Fr. et Pr. DONDÉ-DUPREY, bibliopolas, via dicta Saint-Louis, n°46, necnon via dicta Richelieu, n°6 (Paris, chez Auguste-François et Prosper DONDÉ-DUPREY, rue Saint-Louis, n°46, et rue Richelieu, n°6)
 édition originale
  1826
 1 vol. (518 p.)
 In-octavo
 demi-chagrin brun signé J. PERNOT


Plus d'informations sur cet ouvrage :

Les informations biographiques sur Pierre-Emmanuel PIERRUGUES sont rares et souvent contradictoires. Il serait né en 1760 à la Martinique, où son père exerçait la fonction de procureur au conseil général. Au terme de ses études à l’Ecole des ponts et chaussées, il est nommé ingénieur ordinaire dans le Var, alors que d’autres sources en font un avocat et un conseiller général dans ce même département. À partir de 1814, nous retrouvons sa trace de manière certaine à Bordeaux où, appelé par le préfet de la Gironde, ex-préfet du Var, il occupe l’office d’ingénieur-vérificateur en chef du cadastre.

Auteur d’ouvrages techniques, il est également considéré comme le rédacteur d’un livre qui fait figure d’anomalie dans sa bibliographie : un dictionnaire érotique publié en 1826 à Paris par la maison DONDÉ-DRUPREY, sous le titre de Glossarium eroticum linguae latinae. Il s’agit de l’ouvrage présenté ici. Les simples initiales « P.P. », qui figurent sur la page de titre, ne permettent pas de lever le doute quant à la paternité de PIERRUGUES. Selon certaines sources, c’est en collaboration avec le baron de SCHONEN, non cité dans le dictionnaire, qu’aurait été élaboré ce livre, lequel aurait par ailleurs été mis en ordre par Éloi JOUHANNEAU. À moins d’être un latiniste confirmé, il est difficile d’apprécier le côté “croustillant” de cet ouvrage puisque, de la préface au dernier article intitulé Vulva, en passant par la page de titre, il est intégralement rédigé en latin. Par le passé, nous avons eu l’occasion de croiser certains auteurs qui recouraient ponctuellement au latin pour réserver aux seuls initiés les passages un peu lestes ou osés, mais dans ce cas d’espèce nous ignorons si c’est ce souci qui a dicté le choix de la langue, ou la simple volonté de ne s’adresser qu’à un public forcément élitiste. Comme son titre l’indique, il s’agit ici d’un glossaire érotique de la langue latine, basé sur les écrits des auteurs latins de l’Antiquité, et parfois des écrivains du Moyen Âge. Il en résulte que les lettres K, S, X, Y, W et Z sont absentes du dictionnaire, contrairement au J  qui, d’invention tardive, y a été introduit par commodité.

En réalité, le terme “érotique” utilisé par l’auteur apparaît très exagéré. Il tend à induire en erreur le lecteur quant au contenu réel du dictionnaire. Certes, le sujet central est bien le désir et le plaisir sexuels, mais l’ouvrage s’intéresse de fait à tout ce qui a une connotation obscène, au sens très large du terme, ou du moins indécente aux yeux du lecteur du XIXe siècle. Son champ d’étude est beaucoup plus large que celui du sexe proprement dit. Bien avant la domination culturelle judéo-chrétienne, synonyme de pudibonderie, les Romains appréciaient la grivoiserie sans faux-semblants, même s’ils s’efforçaient de respecter certaines convenances sociales, l’excès dans la débauche étant toujours jugé comme hautement condamnable.

PIERRUGUES se propose ici d’éclairer le lecteur sur certains aspects méconnus de la société romaine et de ses mœurs. Longtemps jugées insolites, triviales et même “inconvenantes”, ces particularités pouvaient choquer dans une culture classique magnifiée et idéalisée, qui faisait de l’Antiquité gréco-romaine la mère de la civilisation, de la culture et de la vertu, expliquant ainsi que tout un pan de l’histoire ait longtemps été occulté par de doctes et prudes professeurs. À côté de ce qui relève de la sexualité et de l’érotisme tels que nous les concevons aujourd’hui, l’auteur traite ici aussi bien de termes médicaux, de termes argotiques et d’expressions populaires que de textes juridiques ou de coutumes relatives au mariage, à la vie conjugale, aux loisirs, aux fêtes religieuses et à l’anatomie humaine.

Dans cet inventaire assez bigarré, nous trouvons aussi bien Acidalia, un des surnoms de VÉNUS, la déesse de l’amour, que Mentula, l’une des appellations du membre viril, ou les Tabulae matrimoniales, tablettes qui scellaient un contrat de mariage et se trouvaient symboliquement brisées au moment du divorce. Pêle-mêle nous rencontrons les termes Meretrix, qualifiant une courtisane ou une prostituée, Ornatrix, une femme de chambre esclave faisant office de coiffeuse, le dieu mineur JUGANITUS, invoqué la nuit de noces pour présider au premier acte charnel des nouveaux époux, ou encore les Cotyttia, des mystères célébrant en Grèce la déesse COTYS, qui avaient la réputation de se conclure par des orgies. Évoquons enfin l’étrange Campanus morbus, une maladie vénérienne éruptive qui aurait eu pour foyer initial la région de Capoue (est-ce un hasard si, par ailleurs, cette ville est connue pour ses fameux délices ?).

Dépourvu de la verve grivoise et du sens comique qui caractérisent généralement un dictionnaire érotique, cet ouvrage s’apparente finalement plutôt à un guide destiné à faire découvrir la face cachée de la civilisation romaine et à bien comprendre les auteurs latins dans le texte.

Les définitions, plutôt courtes, sont largement illustrées de citations tirées des meilleurs auteurs antiques, en particulier OVIDE, PÉTRONE, SUÉTONE, PLAUTE, JUVÉNAL, HORACE, SÉNÈQUE, MARTIAL et CATULLE.

Si nous nous fions à la date de son décès le plus souvent admise, PIERRUGUES serait mort moins d’un an après la parution de ce livre. Il est néanmoins crédité de la rédaction des notes d’une édition de 1833 de l’Erotika Biblion, rédigée par MIRABEAU en 1783. À cette même date, un auteur allemand, Karl RAMBACH, publiait un Thesaurus eroticus linguae latinae, simple reprise, pour ne pas dire plagiat, du livre de PIERRUGUES.

Ex-libris au nom du bibliophile gantois Théodore de VALENZI.



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