Perse (langue), Lexicographie

Gazophylacium linguae persarum

triplici linguarum clavi italicae, latinae, gallicae nec non specialibus praeciptis eiusdem linguae reseratum Opus missionariis orientalibus, linguarum professoribus, sacrorum bibliorum scrutatoribus ... perutile, ac necessarium.

Auteur(s) : SAINT JOSEPH Ange (LA BROSSE Joseph de)

 à Amsterdam, chez JANSSON-WAESBERGE (Amstelodami, ex officina Janffonio-Waesbergiana)
 édition originale
  1684
 1 vol. (18-473 p.)
 In-folio
 veau havane, dps à six nerfs, caissons ornés de motifs floraux dorés, titre en lettres dorées
 gravure allégorique en frontispice représentant l'auteur remettant son livre à la papauté, en dessous de l'image figure le blason de l'ordre du carmel, culs-de-lampe


Plus d'informations sur cet ouvrage :

Joseph de LA BROSSE, natif de Toulouse, entre à la fin de ses études dans l’ordre des Carmes déchaux où il prend le nom d’Ange de SAINT JOSEPH. Souhaitant devenir missionnaire, il se rend à Rome pour y apprendre l’arabe. En 1663, il est envoyé en Orient avec trois autres religieux et, après un passage par Smyrne, il rejoint Ispahan en novembre 1664. Cette ville, capitale de l’empire perse des Safavides, est également le siège d’un diocèse catholique depuis 1629. SAINT JOSEPH y apprend le persan auprès d’un carme portugais et, au bout de quelques années, devient prieur du couvent de Bassora. Quand les troupes ottomanes s’emparent de la ville, il est désigné par les missionnaires pour se rendre à Constantinople afin de solliciter la protection du souverain sur les établissements catholiques. Il obtient gain de cause avant d’être appelé à Rome par le pape en mars 1679. Fort de son expérience et de sa parfaite maîtrise de la langue, il est alors choisi par les autorités pontificales pour rédiger des ouvrages sur la civilisation persane.

Curieusement le premier livre qu’il publie à Paris en 1681 est un traité de pharmacologie traduit d’un ouvrage persan qui répond au titre de Pharmacopœa persica ex idiomate persico in latinum conversa. Par la suite, il sera avancé que SAINT JOSEPH n’était pas le véritable auteur de cette traduction, qui se trouvait plutôt être un certain père MATHIEU. À la même époque, le général de l’ordre du Carmel l’appelle à Bruxelles pour le nommer visiteur des couvents installés en Hollande, ceci expliquant que son second ouvrage sera publié à Amsterdam en 1684. Il s’agit du Gazophylacium linguae persarum, ici présenté, consacré par SAINT JOSEPH à l’étude et la lexicographie du persan.

Peu usité, le terme “Gazophylacium” désigne à l’origine — si on suit la définition proposée dans le Littré — le « lieu où l’on déposait celles des offrandes des fidèles que les canons défendaient de placer sur l’autel et qui étaient portées directement dans la maison de l’évêque ». Par extension, il constitue un synonyme du mot “thrésor”, lui-même souvent utilisé au XVIe et au XVIIe en lieu et place du mot “dictionnaire”.

Les pages du Gazophylacium sont divisées en quatre colonnes : sur la partie droite, le texte en persan, langue qui s’écrit de droite à gauche ; puis, en partant du côté gauche de la page, la traduction en italien, en latin et en français. La langue de référence à partir de laquelle s’organise l’ordre alphabétique des entrées est l’italien, caractéristique nécessitant que des index latins et français soient placés en fin d’ouvrage. SAINT JOSEPH privilégie une langue parlée et usuelle, choix qui lui sera par la suite reproché par certains critiques qui n’hésiteront pas à souligner la relative ignorance de l’auteur pour les arts et la littérature de la Perse.

Si la plupart des articles sont succincts, certains font l’objet d’un plus long développement comme par exemple celui consacré au riz dans lequel il détaille ses différents types de cuisson et décrit les plats typiques dans lesquels il sert d’ingrédient. Les digressions encyclopédiques sont l’un des points forts du dictionnaire, car elles donnent à l’auteur l’occasion d’évoquer des souvenirs personnels et de mettre en avant non seulement la civilisation persane mais aussi les cultures du Proche-Orient et de l’Arabie. Ces régions demeuraient encore méconnues en Occident, même si les récits de voyage de Jean-Baptiste TAVERNIER avaient commencé à faire connaître cette partie du monde.

Loin de se résumer à un dictionnaire de langue, ce livre contient des descriptions de la Perse et de ses habitants. Il en décrit les institutions, la botanique, la zoologie, la religion, l’économie, les métiers, et reprend même certains proverbes. Bien sûr, SAINT JOSEPH ne cesse jamais de demeurer un catholique fervent, certain de la supériorité de sa foi et de la civilisation européenne, mais pour autant il démontre un bon esprit d’observation et une curiosité “ethnologique” qui témoignent d’une vraie fascination pour le pays. Soulignons enfin que SAINT JOSEPH n’hésite pas à se mettre lui-même en scène pour appuyer son propos, sans faire mystère de ses opinions.

Entre autres anecdotes, l’auteur raconte qu’« au jour de l’équinoxe de printemps, appelé Nou-Rouz, je vis par trois fois les lions foulés aux pieds par des bœufs et même une vache fort maigre, dans un combat qui se fasoit devant le roi SOLEIMON, mais en ce cas on lâche deux lions contre un pauvre bœuf & en même tems qu’ils l’ont jeté à terre, on luy coupe la gorge, car l’on prendroit pour un mauvais augure que le roy des animaux restât vaincu ». On apprend également que « la loy des Perses ne permet le divorce sans le consentement du mari & de la femme & sans la restitution de la dot ».

Il décrit aussi l’usage du khôl qu’il appelle « collire noir pour les yeux » pour les hommes comme pour les femmes, les rites de mariage, les ravages des nuées de sauterelles, les superstitions populaires, l’huile d’eau de rose de Shiraz, l’organisation administrative du royaume et même les effets de l’opium : « Je connois une personne digne de soy qui, ayant pris une pilule de l’opiate de Perse appelé Hachem beghi, fut forcée pendant plusieurs heures de rire & de dire malgré elle plusieurs sottises : elle voyoit passer des petits phantomes, ou lutins fors grotesques, & sentit plusieurs autres effets extraordinaires sans aucune mauvaise suite. »

La religion est omniprésente dans l’ouvrage et constitue le sujet central de nombreux articles. Outre le christianisme et l’islam, l’auteur traite du mandéisme et de l’hindouisme, religions également représentées dans le pays. Évoquant à plusieurs reprises les églises orientales, SAINT JOSEPH ne montre aucune estime particulière à leur égard, les considérant comme secondaires. En revanche il est très prolixe sur l’islam et sur les spécificités du chiisme, majoritaire en Perse et religion officielle du pouvoir safavide. Selon certains spécialistes, dans ses propos l’auteur aurait également camouflé des attaques déguisées contre les protestants.

Si l’on en croit les linguistes, le contenu des articles diffère fréquemment entre la version persane et celles en langues européennes, au point que les exégètes ont pu parler de “narrations parallèles” autour d’un thème commun. Le livre étant destiné à accompagner des voyageurs, des commerçants et des missionnaires dans ces contrées, il est vraisemblable que l’auteur a voulu faire preuve de prudence sur le traitement des sujets moraux et religieux, pour le cas où le livre tomberait entre les mains des autorités du pays.

Après un passage agité par l’Angleterre et l’Irlande, SAINT JOSEPH est rappelé en France pour assumer plusieurs charges dans le Languedoc et le Roussillon avant de décéder à Perpignan en décembre 1697. Bien que le dictionnaire ait été contesté de son vivant, il a joué un rôle non négligeable dans la diffusion d’une certaine idée de l’Orient en général et de la Perse en particulier. Sa renommée sera pourtant rapidement éclipsée par les ouvrages de Jean CHARDIN qui publie ses récits de voyages en Turquie, en Perse et en Inde deux ans seulement après la sortie du Gazophylacium. Les œuvres de cet auteur auront une grande influence sur les intellectuels des Lumières, notamment MONTESQUIEU, auteur des Lettres persanes.

Le dictionnaire est précédé par une dédicace au pape INNOCENT XI et une petite présentation de la grammaire du persan.



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