Extrait d’un dictionnaire inutile
composé par une société en commandite, & rédigé par un homme seul
Auteur(s) : GALLAIS Jean-Pierre
Plus d'informations sur cet ouvrage :
Entré très jeune chez les Bénédictins. Jean-Pierre GALLAIS est professeur dans un collège lorsque survient la Révolution. La Constituante ayant décrété, en novembre 1789, la suppression des ordres religieux et la nationalisation des biens de l’Église, il se trouve contraint de quitter son monastère et son état ecclésiastique. Rendu à la vie civile, il rejoint résolument les rangs des contre-révolutionnaires, consacrant désormais son énergie à brocarder le camp adverse par des libelles et des ouvrages satiriques. C’est ainsi qu’en 1790 il publie sous le pseudonyme “un homme seul”, avec pour seule indication de lieu d’édition “à 500 lieues de l’Assemblée nationale”, l’ouvrage parodique intitulé Extrait d’un dictionnaire inutile. Il s’agit du livre présenté ici.
Pour mieux tourner en dérision la fièvre révolutionnaire qui agite le pays, GALLAIS adopte ici la posture d’un quidam d’attitude plutôt dilettante : “J’avoue que j’écris sans but, sans motif, & souvent sans m’entendre moi-même. Je défie le plus déterminé partisan des causes finales d’en trouver une à mon ouvrage inutile. Je suis le torrent qui m’entraîne.” Ce dernier, qui donne l’impression d’être enthousiasmé par le nouveau visage du pays et l’exemple qu’il donne à toute l’Europe, s’exprime de la sorte : “On viendra, de tous les coins de l’univers, visiter la France comme on alloit autrefois visiter Lacédémone. On viendra étudier notre gouvernement & nos mœurs, entendre les orateurs du forum, des clubs, des cafés, de l’Académie, boire nos vins, lire nos brochures, admirer enfin la haute sagesse de nos représentants, l’étonnante harmonie de nos délibérations, la profonde hardiesse de nos journalistes, la bravoure éclatante de nos milices nationales, la soumission respectueuse des peuples & l’infatigable modération du roi.” Pour autant le personnage ne possède pas un esprit très affûté et une conscience politique très claire. Adoptant avant tout une attitude de suiveur, il pioche dans des opinions souvent contradictoires et finit par se conformer maladroitement à la voie majoritaire.
Par le biais de son personnage, GALLAIS dresse, à travers ses descriptions emphatiques et faussement élogieuses, un portrait peu flatteur et souvent amer du nouveau régime et de la nouvelle société : “Jamais on n’a montré tant d’aristocratie dans la pensée, tant de despotisme dans la conduite, tant de tyrannie dans les actions les plus indifférentes, que depuis que nous sommes libres, ou depuis qu’on a voué à l’exécration les tyrans, les despotes & les aristocrates.”
S’il ne rejette pas toutes les mesures en bloc, comme par exemple la création des départements et la disparition des intendants, il se montre plus que sceptique sur la nature même du nouveau régime, dont il relève en permanence le parti pris antinobiliaire et anticlérical, qui lui semble confiner à la paranoïa et servir de dérivatif commode aux rancœurs et aux griefs du peuple. Pour GALLAIS, le nouveau pouvoir et ses défenseurs ont avant tout besoin de boucs émissaires. Il en résulte une multiplication de dénonciations, de complots et de conjurations : “Les 600 000 conspirations, par exemple, dont nous sommes investis depuis 18 mois, sont évidemment le produit d’une coalition coupable entre la loi, la noblesse & le clergé.”
Prolixe et parfois confus dans ses démonstrations, GALLAIS recourt à des procédés littéraires qui lui permettent de dévoiler sans fard le fond de sa pensée : témoignages, dont on ne sait s’ils sont réels ou inventés pour la circonstance, citations, dialogues imaginaires mettant parfois en scène de lointains spectateurs de la Révolution, comme par exemple l’empereur de Chine, extraits de libelles, de journaux et de brochures, ou encore des digressions historiques très alambiquées. Dans un long chapitre consacré aux orateurs, GALLAIS passe rapidement en revue les figures marquantes du début de la Révolution, qui se répartissent en “côté droit” et “côté gauche”. C’est ainsi que MOUNIER, MIRABEAU, BARNAVE, LAMETH, l’abbé MAURY, CHAPELIER ou SIEYÈS ont droit à une brève notice. Remarquons celle consacrée à un député qui, plus tard, deviendra la cible privilégiée de notre écrivain : “ROBESPIERRE s’épuise à marcher dans une carrière dont il ne connoit ni le terme, ni les dangers.”
GALLAIS, particulièrement hostile aux mesures prises contre le clergé et la religion, nourrit une sévère rancune envers MIRABEAU et TALLEYRAND, qu’il considère comme les principaux artisans de la loi du 2 novembre 1789. Pour lui, ce qui se passe en France, à l’image de ce qui s’est passé en Angleterre au XVIe siècle, constitue une spoliation qui n’a rien de désintéressé, une “opération violente d’un gouvernement ruinéʺ : “On a donc bien fait de tuer le clergé puisque c’étoit un monstre & qu’il avoit une riche dépouille. Cette dépouille estimée à cinq milliards par les plus modestes calculateurs va rentrer dans la circulation par les mains des traitans, des croquans, des capitalistes, des Juifs & des usuriers, & ne manquera pas d’enrichir nos campagnes ainsi qu’autrefois la suppression des moines en Angleterre enrichit le monarque & la nation comme chacun sait.”
Le livre est bien évidemment un ouvrage à charge, mais l’auteur y demeure relativement modéré et très prudent dans ses propos. Le ton se durcira par la suite, au fur et à mesure que la Révolution prendra un tour plus radical. Après la condamnation à mort de Louis XVI, GALLAIS rédigera un opuscule intitulé Appel à la postérité sur le jugement du roi, qui, publié le 18 janvier 1793, sera réédité trois fois en trois jours par le libraire WEBERT. Ce dernier, arrêté, sera condamné à mort et exécuté. Non dénoncé par son libraire, GALLAIS réussira à s’enfuir de Paris. Incarcéré quelques mois plus tard, il passera sept mois en prison et réussira le tour de force d’échapper à la guillotine, avant d’être libéré en pleine Terreur malgré son cursus d’ancien ecclésiastique, de journaliste et d’écrivain ouvertement antirévolutionnaire. C’est pourtant lui qui avait rédigé une satire très violente sur ROBESPIERRE et les Jacobins dans son livre Le Club infernal.
Après Thermidor, il deviendra rédacteur de plusieurs journaux royalistes, mais devra se cacher à nouveau pendant deux années à la suite de la répression qui suivra le coup d’État du 18 fructidor. Jusqu’à sa mort en 1820, il rédigera plusieurs livres, qui ne brilleront pas par leur impartialité, sur l’histoire de la Révolution, et il produira des articles pour la Biographie universelle ancienne et moderne.