Dictionnaire universel françois et latin [communément dénommé Dictionnaire de Trévoux]
contenant la signification et la définition tant des mots de l'une et l'autre langue, avec leurs différens usages ; que des termes propres de chaque Etat & de chaque procession : la description de toutes les choses naturelles & artificielles ; leurs figures, leurs especes, leurs usages, & leurs propriétez : l'explication de tout ce que renferment les Sciences & les Arts, soit libéraux ou méchaniques. Avec des remarques d'érudition et de critique. Le tout tiré des plus excellens auteurs, des meilleurs lexicographes, etymologistes & glossaires, qui ont paru jusqu'icy en différentes langues. Imprimé par ordre de S.A.S. Monseigneur prince souverain de Dombes
Auteur(s) : TREVOUX (collectif)
Plus d'informations sur cet ouvrage :
La genèse de cet ouvrage important du XVIIIe siècle, communément dénommé Dictionnaire de Trévoux, est à rechercher dans une véritable ‹ querelle des dictionnaires › opposant lexicographes, journalistes et écrivains protestants d’une part, défenseurs de la papauté et de la foi catholique menés par les jésuites d’autre part. Alors que la seconde édition du Dictionnaire universel de Nicolas FURETIÈRE (sur Dicopathe) est remaniée, augmentée et ‹ révisée › dans une optique très calviniste par Henri BASNAGE de BEAUVAL, au point que les jésuites parleront d’une version « où l’on fait parler Mr l’abbé Furetière en ministre protestant », les membres de la Compagnie de Jésus réagissent en proposant leur propre dictionnaire.
Placé sous la protection du prince Louis-Auguste de BOURBON, un groupe de jésuites installé à Trévoux, siège du parlement de la principauté semi-autonome de Dombes, édite depuis 1701 une gazette connue sous le nom de Journal de Trévoux ou Mémoires de Trévoux. Traitant de sujets variés, allant de la critique littéraire à la science et à l’histoire, en passant, bien sûr, par les questions religieuses, ce journal a pour but précis de contrecarrer les nombreuses et dynamiques publications protestantes le plus souvent rédigées par des huguenots français réfugiés aux Pays-Bas ou en Suisse. C’est ainsi qu’au sein de cette ‹ équipe de rédaction › préexistante naît l’idée d’un nouveau dictionnaire universel purement catholique.
La première édition, en trois volumes, voit le jour en 1704 à Trévoux sans que les jésuites n’en revendiquent officiellement la paternité. La préface précise même qu’en matière de religion « on n’attend pas de lui [ce dictionnaire] qu’il s’érige en controversiste ». Mais cela ne trompe personne, et les ennemis de l’ordre religieux assimileront toujours le Trévoux à un dictionnaire jésuite. On peut noter que l’épître dédicatoire au prince souverain de Dombes prête l’initiative de l’ouvrage à ce dernier : « C’est elle [Son Altesse] qui en a conçu le dessein, c’est par ses ordres qu’il a été entrepris, c’est sur le plan qu’elle a bien voulu en tracer elle-même, qu’on s’est réglé dans l’exécution. » Les jésuites ayant ajouté les mots latins, le dictionnaire prend le titre de Dictionnaire universel françois et latin, ce qui est trompeur car ce livre ne se résume pas du tout à un lexique plurilingue.
Les rédacteurs de cet ouvrage collectif sont demeurés quasi anonymes, même si la préface cite quand même deux noms : Antoine de JUSSIEU et Philibert-Bernard MOREAU de MAUTOUR. Des spécialistes mettent aussi en avant le rôle de l’érudit jésuite Richard SIMON et de ses condisciples, les pères Claude BUFFIER, Louis-Bertrand CASTEL, Jean-Antoine du CERCEAU, René-Joseph de TOURNEMINE.
Sans que cela soit clairement précisé dans l’ouvrage, le dictionnaire de Furetière sert de base au Trévoux. Plus exactement, c’est même la version ‹ huguenote › de BASNAGE de BEAUVAL dont les rédacteurs s’inspirent, ce qui justifie que ce dernier se répandra en libelles et articles pour dénoncer un plagiat, accusation qui n’est pas sans fondement si on compare les ouvrages. Le père NICERON parle ainsi de la première édition du Trévoux : « Tout y est semblable. Méthode, orthographe, exemples… On y a laissé jusqu’aux fautes d’impression. » Mais les éditions suivantes du Trévoux, sans cesse corrigées et amendées, ne justifieront plus cette accusation. Entre-temps, le dictionnaire universel, version huguenote, est réédité en 1708.
Composée de cinq volumes, la seconde édition est publiée en 1721. Elle apparaît considérablement augmentée par rapport à celle d’origine, en particulier en ce qui concerne les noms de lieux et de personnes, ainsi que le vocabulaire technique et scientifique. Le rôle des frères Étienne et Jean SOUCIET et du père BOUGEANT semble y avoir été déterminant.
Face à cette publication et à son succès, les lexicographes huguenots ne désarment pas, comme en témoigne la nouvelle édition du Furetière, datée de 1727, revue par Jean-Baptiste BRUTEL de la RIVIÈRE. Pour autant, le Trévoux devient, au fur et à mesure de ses éditions, un ouvrage de référence, et il surpasse bientôt son ‹ rival › protestant qui finit par tomber dans un oubli relatif.
Malgré la très nette hostilité de DIDEROT et de ses collaborateurs envers les jésuites, le dictionnaire de Trévoux constituera à son tour, par sa qualité et son érudition, une base de travail pour les Encyclopédistes. Ironie du sort, en 1751, par l’intermédiaire du père BERTHIER, les jésuites accusent l’Encyclopédie d’être un plagiat du Trévoux. Si on y relève effectivement beaucoup de similitudes, le dictionnaire de Trévoux présente quant à lui la particularité d’avoir introduit le latin dans les définitions car, comme l’indique la préface : « Il est d’un agrément & d’un grand secours de trouver en même temps & d’un même coup d’œil le mot latin & le mot françois qui se répondent… on ne peut disconvenir que le mot latin ne serve beaucoup à l’intelligence parfaite du mot françois, non seulement pour les étrangers, mais encore pour les naturels mêmes. » Chaque mot est donc accompagné de son équivalent latin et du vocabulaire associé ; par exemple, pour cheval, sont indiqués ‹ equus › mais également les noms en latin des différentes espèces de chevaux.
À la suite de la préface du premier tome figure la liste des auteurs et des livres en français utilisés pour la composition de l’ouvrage. En fin du cinquième tome se trouve un Dictionnarium universale latino-gallicum en deux parties.
Le dictionnaire universel de Trévoux (ENCCRE)
La série des éditions du Trévoux par Isabelle TURCAN
Quand le Dictionnaire de Trévoux rayonne sur l'Europe des lumières par Christian ALBERTAN
Les libraires parisiens et le Dictionnaire de Trévoux par Françoise WEIL
DIDEROT, les Encyclopédistes et le Dictionnaire de Trévoux par Robert MORIN
L'esprit des langues dans le Dictionnaire de Trévoux par Chantal WIONET
Etienne GANEAU, imprimeur-libraire
Florentin DELAULNE, libraire-imprimeur
Nicolas GOSSELIN, libraire-imprimeur
Jean-Geoffroy NYON, imprimeur-libraire
Tout cela est détaillé dans un ouvrage dont je suis l’auteur : Marie Leca-Tsiomis : Écrire l’«Encyclopédie ». Diderot : de l’usage des dictionnaires à la grammaire philosophique, Oxford, 1999, 2nde édition 2008. https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_2000_num_32_1_2384_t1_0705_0000_2