Dictionnaire néologique à l’usage des beaux esprits du siècle
Avec l'Éloge historique de Pantalon-Phoebus
Auteur(s) : GUYOT-DESFONTAINES Pierre-François, BEL Jean-Jacques
Plus d'informations sur cet ouvrage :
Fils d’un conseiller du parlement de Rouen, Pierre-François GUYOT-DESFONTAINES étudie chez les jésuites. Devenu ecclésiastique et un temps professeur de rhétorique, il décide sur le tard, à l’âge de trente ans, de rentrer dans le monde, même si on le surnomme désormais l’abbé DESFONTAINES, et de se consacrer à l’écriture. En 1724, Jean-Paul BIGNON le convie à rejoindre l’équipe éditoriale du Journal des savans afin qu’il redonne du lustre à une publication alors en pleine décadence. Si son travail est salué, son passage est également marqué par une arrestation sous l’accusation de libertinage et de sodomie, et il passe un temps en exil. VOLTAIRE intervient pour le faire réhabiliter, et il peut regagner Paris. Critique littéraire impitoyable et polémiste volontiers excessif, il ne tarde pas à se faire de nombreux ennemis, dont son ancien bienfaiteur qu’il étrille dans ses écrits, et DIDEROT.
En 1726 il publie, sous le pseudonyme d’un “avocat de province” officiant en Basse-Bretagne, et sans indiquer l’éditeur sur la page de titre, son Dictionnaire néologique à l’usage des beaux esprits du siècle. S’ils se présente sous la forme d’un livre de petit format et peu épais, cet ouvrage connaît un certain retentissement, et une seconde édition corrigée et augmentée paraît dès l’année suivante. Témoignant de son succès en librairie, ce dictionnaire connaît sept éditions, dont la dernière voit le jour à Amsterdam en 1756.
La paternité de l’ouvrage reste pourtant contestée jusqu’à nos jours. Si la plupart des critiques reconnaissent que Jean-Jacques BEL a participé à sa rédaction, il est désormais difficile de savoir dans quelle mesure. Ce dernier avait-il commencé le dictionnaire et laissé ensuite GUYOT-DESFONTAINES le reprendre et le compléter ? Est-il l’auteur principal, sinon unique, du livre que se serait approprié ensuite son collègue ? GOUJET écrit que « la première idée du Dictionnaire néologique fut remplie par M.J.J. BEL… Il abandonna ensuite ce qu’il avait fait au sieur P.F. GUYOT des FONTAINES qui a mis cet ouvrage dans l’état où il a paru, et y a fait les additions qu’on lit dans la troisième édition [datée de 1728]. » Pour d’autres, l’abbé a repris le travail initial de BEL, publié les deux premières éditions, et ajouté les corrections et les augmentations de BEL pour la troisième édition. Bref, les combinaisons possibles sont nombreuses et impossibles à démêler.
Dans sa préface l’auteur présente ce dictionnaire comme un florilège, un recueil des « plus belles expressions que j’ay lues depuis quelques années dans les Livres nouveaux ». Il s’agit donc de présenter et d’analyser des termes et des tournures utilisées dans le monde littéraire de la capitale : « Ce n’est pas pour Paris que je publie mon Livre, mais pour la Province, où les belles manières de parler, en usage dans la capitale, n’ont pas encore pénétré. » En se focalisant sur les « ingénieuses nouveautés qui perfectionnent l’art de la parole », notre critique littéraire avisé entend passer en revue « les découvertes & les enrichissemens de la langue, les expressions saillantes & les constructions heureusement imaginées, dont d’illustres écrivains ont depuis peu décoré leur style ».
Le but déclaré est bien de contribuer à enrichir une langue française jugée ici « encore assés pauvre &.que son indigence invite toutes les plumes à lui faire la charité », tâche dévolue naturellement aux savants et aux gens de lettres qui se doivent de repousser « les bornes ingrates d’une langue stérile et scrupuleuse ». GUYOT-DESFONTAINES se livre donc à un véritable plaidoyer pour libérer la langue et favoriser la créativité : « Faites des mots, inventez des constructions : voilà les vers françois rendus aisés… Employez des figures hardies… Inventez des métaphores surprenantes », car « toutes ces admirables finesses de langage, & toutes ces charmantes combinaisons de termes sont infinies dans le détail, & par conséquent notre langue peut s’enrichir à l’infini sous la plume délicate d’un bel esprit ».
Pour chaque entrée GUYOT-DESFONTAINES indique une expression ou un usage, par exemple “se replier sur soi-même”, “Donner le ton”, “Politiquer” ou “Tirer avantage , en y joignant des commentaires, des explications et son opinion, le tout avec la mention précise de la source dans laquelle ces termes ont été employés. Ces “néologismes” ne sont paradoxalement pas forcément tous très “nouveaux”, puisque certains sont initialement issus des textes homériques et d’auteurs du XVIIe siècle.
Le dictionnaire proprement dit est très court — il doublera quasiment de volume dans les éditions suivantes — puisqu’il s’arrête à la page 105. Le reste du livre est occupé par un étrange essai intitulé Éloge historique de Pantalon-Phébus. Ce récit d’une quarantaine de pages retrace la vie d’un personnage imaginaire en utilisant toutes les expressions décrites dans le dictionnaire. Celles-ci sont signalées dans le texte par des caractères en italique et des renvois aux pages concernées.
Ce livre est reçu avec beaucoup d’humeur par une grande partie du monde littéraire, qui y pense y reconnaître un bon nombre d’attaques personnelles déguisées. VOLTAIRE, qui considère GUYOT-DESFONTAINES comme “son plus cruel ennemi”, écrit à ce sujet : « Il est bon qu’on sache que ce Dictionnaire néologique est une satire dans laquelle on prend la peine inutile de relever des fautes connues de tout le monde, et de critiquer de très belles choses à la faveur des mauvaises qu’on reprend. » Mais, a contrario, certains auteurs ne tarissent pas d’éloges. Ainsi Antoine SABATIER de CASTRES affirme que « personne ne connaissoit mieux que lui les règles & les raisons des règles ; personne ne les développoit avec plus de finesse, d’agrément & de clarté ; personne ne saisissoit avec autant de précision les différens degrés du beau, & les moindres nuances du ridicule ».
Ayant acquis une certaine célébrité, il poursuit une prolifique activité d’écrivain, de critique et de journaliste. Entre autres, il dirige la publication du Nouvelliste du Parnasse et des Observations sur les écrits modernes. Il est également l’auteur de traductions renommées et d’ouvrages historiques de vulgarisation. En 1738, en réponse au Préservatif, ou critique des Observations sur les écrits modernes, virulent pamphlet que lui a adressé VOLTAIRE, il répond avec une Voltairomanie non moins acide et polémique, qui lui vaudra une accusation de diffamation. Malgré une carrière bien remplie, il est vite oublié après sa mort survenue en 1745.
La collection Dicopathe comprend également l’édition de 1750 de ce même dictionnaire.