Dictionnaire historique, ou Mémoires critiques et littéraires
concernant la vie et les ouvrages de divers personnages distingués, particulièrement dans la République des lettres
Auteur(s) : MARCHAND Prosper
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Le dictionnaire historique et critique de BAYLE : un monument…
Le Dictionnaire historique et critique de Pierre BAYLE est considéré comme une œuvre majeure du siècle de LOUIS XIV et un jalon important de l’histoire de la lexicographie française. À l’origine, cet ouvrage était destiné à corriger les erreurs des grands dictionnaires précédemment parus, plus particulièrement le Grand dictionnaire historique de Louis MORÉRI. Alliage d’érudition et d’esprit critique, le livre de BAYLE, souvent surnommé « l’arsenal des Lumières », et considéré comme une proto-encyclopédie, marquera la vie intellectuelle française jusqu’au début du XIXe siècle. Une des caractéristiques du Dictionnaire historique et critique est son contenu très dense, pour ne pas dire foisonnant. En effet, la méthodologie critique adoptée par l’auteur le conduit à accumuler notes et annexes. De surcroît, une mise en page, qui divise le texte en quatre blocs distincts, peut dérouter et égarer le lecteur novice. Mine gigantesque d’informations, mais pour autant porteur d’erreurs et de lacunes, le dictionnaire de BAYLE a suscité la rédaction d’ouvrages destinés à le compléter, l’approfondir et l’expliciter ; c’est le cas du livre que nous allons vous présenter.
MARCHAND maître d’œuvre de la 3e édition
Décédé à Rotterdam en 1706, Pierre BAYLE lègue des ébauches d’articles rédigés pour un futur supplément à son éditeur Reinier LEERS ; lequel les cède aux libraires imprimeurs de ROTTERDAM, FRITSCH et BOHM. En 1714, ces derniers confient l’élaboration d’une nouvelle édition enrichie de l’œuvre de BAYLE à Prosper MARCHAND. Cet ancien libraire est un bibliophile reconnu ainsi qu’un correspondant de Nouvelles de la République des lettres, le journal créé par BAYLE. Ayant embrassé la foi protestante, MARCHAND quitte Paris en 1709 pour s’établir en Hollande comme libraire. Mais, après quelques années, se disant “dégoûté de ce négoce par le peu de bonne foi qu’il avoit trouvé“, il se contente de se mettre au service d’autres libraires. Installé à La Haye, il se consacre désormais à l’écriture, engageant ponctuellement sa plume et son expérience dans différentes entreprises éditoriales.
La tâche qui lui est confiée par FRITSCH et BOHM s’avère très ardue. En effet, BAYLE, qui ne reproduisait pas in extenso les citations reprises dans ses notes, se contentait d’indiquer les références des ouvrages de sa propre bibliothèque. Certains livres ayant disparu, MARCHAND ne sera pas en mesure de combler toutes les lacunes, qui seront alors signalées par la mention “Articles omis”. La reprise d’un texte incomplet incitera plus tard les critiques à soupçonner l’écrivain d’avoir amendé, voire inventé, le contenu de certains articles de BAYLE. Après six années de travail acharné, la troisième édition du Dictionnaire historique et critique voit le jour en 1720, mais la plupart des critiques le considéreront avec réserve et circonspection, malgré les efforts déployés par MARCHAND.
ALLAMAND en héritier de MARCHAND
Ayant achevé la mission qui lui avait été confiée, notre homme continuera à travailler sur le texte de BAYLE et accumulera un grand nombre de notes, en vue de composer un véritable supplément. Mort en 1756 sans avoir pu mener ce projet à bien, il lègue par testament ses documents à Jean-Nicolas-Sébastien ALLAMAND, avec la mission de poursuivre son œuvre. Ce dernier hérite d’un manuscrit très épars, désorganisé et souvent peu lisible. Dans sa préface, ALLAMAND reviendra longuement sur la difficulté de la tâche qui s’offre à lui : “Je me roidis donc contre les désagrémens qui accompagnoient un si pénible ouvrage, & enfin à force d’application je vins à bout d’arranger le tout ; mais la confusion de ces lambeaux de papier n’étoit pas la seule difficulté que j’eusse à surmonter, la petitesse du caractère en formoit une autre plus grande encore ; pour faire usage d’un morceau de papier de la grandeur quelques fois de l’ongle, M. MARCHAND a dû écrire très menu ; aussi, en certains endroits, fon écriture est-elle fi petite, que pour la lire j’ai dû me servir d’une forte loupe, & en fournir de telles aux Imprimeurs, qui fans ce secours n’auroient jamais pu se tirer de cet ouvrage : & c’est ici fans doute le premier Livre qui n’ait pu être imprimé sans le secours continuel du microscope. Une autre chose qui m’a donné encore beaucoup d’embarras, c’est qu’en bien des endroits M. MARCHAND s’étoit contenté d’indiquer les passages des Auteurs qu’il vouloit citer, se réservant de les transcrire en entier pendant le cours de l’impression. Il m’a fallu suppléer à ces omissions, & aller chercher ces Passages dans les Auteurs qui devoient les fournir.”
ALLAMAND entame alors un fastidieux travail de classement et de réorganisation du texte, qui prendra presque deux années. Fidèle à sa parole, il n’adoucit pas certains propos peu amènes et polémiques de son ami, prenant la précaution d’en avertir préalablement le lecteur : “L’auteur se livre quelques fois à une critique trop amère contre ceux qui sont tombés dans des erreurs, qui ne sont pas toujours de grande conséquence. J’en dis autant de quelques traits qu’il a lâchés en quelques endroits contre la religion catholique. Choqué de l’ignorance crasse, ou de la mauvaise foi, qu’il a trouvée dans divers Moines de cette Communion, il s’en est pris quelques fois avec trop d’aigreur à la religion qu’ils professoient ; quoique d’ailleurs personne n’ait porté la tolérance plus loin que lui, comme on s’en convaincra aisément par la lecture de ses écrits.” Finalement, ALLAMAND est en mesure de faire publier les deux tomes du Dictionnaire historique, ou Mémoires critiques et littéraires, qui sortent au cours des années 1758 et 1759. Il s’agit de l’ouvrage présenté ici.
Dans une mise en page plus classique que celle de BAYLE, ce dictionnaire présente pour chaque personnage une courte biographie, une critique de ses œuvres, une bibliographie et des anecdotes. MARCHAND puisera dans sa très riche bibliothèque – à sa mort, elle sera léguée à l’université de Leyde – pour y dénicher des faits et des textes peu connus voire oubliés. Comme l’indique son titre, il s’attarde sur les écrivains et les intellectuels qui, depuis la Renaissance, ont constitué de manière informelle ce que les historiens ont coutume de désigner sous le nom de République des lettres. Ce terme, issu de l’humanisme, désigne un ensemble ouvert de penseurs qui, transcendant nations, langues et frontières, se consacrent aux choses de l’esprit et animent une vie intellectuelle intense au niveau européen.
Mort « au champ d’honneur » de la bibliophilie !
Sur les plats des deux volumes en note possession, nous découvrons le magnifique blason du grand bibliophile Joaquim GOMEZ de LA CORTINA. Juriste et recteur de l’université de Madrid, ce dernier est mort “au champ d’honneur” de la bibliophilie, en tombant de l’échelle de sa bibliothèque en 1868. Sa belle collection sera ensuite dispersée, dont une grande partie se retrouvera en France.
Le livre débute par une dédicace au baron Frederik Hendrik van WASSENAER .