Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne
Auteur(s) : OGÉE Jean-Baptiste, GRELIER Pierre, MARTEVILLE Alphonse-Edmond, VARIN Pierre
GUÉPIN Ange, DUCREST de VILLENEUVE Émile, BLOIS de LA CALANDE Aymar de, LE HUÉROU Julien-Marie, HABASQUE, CUNAT, de FRANCHEVILLE
Plus d'informations sur cet ouvrage :
Fils d’un capitaine d’infanterie, le Champenois Jean-Baptiste OGÉE commence par embrasser une carrière militaire, en servant plusieurs années dans la gendarmerie royale et en participant à la campagne de Flandres. Libéré en 1748, il s’oriente ensuite vers des études d’architecte et d’ingénieur. En 1753, il devient inspecteur voyer pour l’administration des Ponts et Chaussées de la province de Bretagne, dont le chef-lieu se trouve alors être Nantes. Grimpant les échelons, il est promu sous-ingénieur, la province étant alors engagée dans d’importants travaux de voirie.
Auteur de cartes et d’atlas de la Bretagne, réalisés grâce aux connaissances collectées dans l’exercice de sa fonction, OGÉE se consacre alors à l’étude de l’histoire de sa province d’adoption. Ayant accumulé les données sur l’histoire et les monuments des localités reproduites sur ses plans, il utilise cette abondante matière pour réaliser un Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, s’engageant ainsi dans un projet semblable à celui entamé des années plus tôt par le président de ROBIEN, et qui était resté inachevé. Aidé dans la rédaction du livre par Pierre GRELIER, OGÉE publie entre 1778 et 1780 les quatre tomes de son dictionnaire, qui contient en préambule un copieux Abrégé de l’histoire de Bretagne.
Mais avant même sa parution, l’ouvrage doit affronter bien des critiques. En 1776, OGÉE avait pris soin de soumettre son projet aux États de Bretagne, et il en avait déduit qu’il était implicitement approuvé par cette institution. Or, quand il vient présenter son premier volume en novembre 1778 à la session qui se tient à Vannes, l’assemblée manifeste clairement et officiellement sa désapprobation. À la sortie du quatrième tome, l’institution décide même d’écrire au garde des Sceaux pour obtenir l’annulation du privilège d’impression. Il semble que cette hostilité soit due au fait qu’une part importante de la noblesse bretonne se considère desservie par un ouvrage qui met à mal les titres et les honneurs revendiqués par certaines maisons. Il lui est également reproché de s’attarder sur certains faits peu glorieux ou blâmables, commis par les ancêtres de plusieurs grandes familles.
En outre, des érudits pointent de nombreuses erreurs et des imprécisions dans le contenu. C’est ainsi que l’ancien militaire Charles-Gaspard TOUSTAIN de RICHEBOURG fait part de ses critiques par le biais d’articles publiés dans le Journal encyclopédique, auxquels répond GRELIER dans les Affiches générales de la Bretagne. Un des points de divergence entre eux porte sur l’évaluation de la population bretonne, TOUSTAIN de RICHEBOURG l’estimant à 847 000 âmes, alors qu’OGÉE avance le chiffre de 2 200 000.
Par ailleurs l’auteur insiste sur le recul de la population bretonne et en donne quatre raisons. Outre à la misère et aux épidémies, OGÉE, volontiers moraliste, attribue cette baisse au goût du luxe (les jeunes hommes “effrayés des dépenses du sexe et de l’attirail de toute une toilette, ils craignent que tout le fruit de leurs travaux ne puisse suffire pour satisfaire le goût inné d’une femme pour ces ajustements”) et au libertinage (“Tout ce qui peut faire aimer le célibat, détruire la santé, affaiblir la constitution, nuit à la propagation de l’espèce. Or tel est l’effet du libertinage.”). Nullement découragé par ses déboires, OGÉE commençait à travailler sur une Histoire de Nantes quand, rattrapé par la maladie, il décède dans cette ville en janvier 1789.
Critiqué et déprécié en dépit de la masse d’informations qu’il contient, ce dictionnaire connaîtra une seconde carrière quelques décennies plus tard, grâce au journaliste érudit Alphonse-Edmond MARTEVILLE, qui reprend l’ouvrage pour le corriger et l’amender. Il est secondé dans sa tâche par Pierre VARIN, doyen de la faculté de lettres de Rennes, entouré par un groupe de collaborateurs, dont les principaux sont Aymar de BLOIS de LA CALANDE, Émile DUCREST de VILLENEUVE, Ange GUÉPIN, et Julien-Marie LE HUÉROU. Après un long travail, le premier tome de cette nouvelle version, annotée et augmentée de nombreux articles, est publié à Rennes en 1843 ; mais il ne faut pas moins de dix ans pour mener le travail à son terme, le deuxième tome n’étant publié qu’en 1853, alors que le supplément prévu à l’origine ne verra finalement pas le jour. Cette édition actualisée, présentée ici, est d’emblée saluée pas les érudits et les historiens de la Bretagne.
Les articles de cette nouvelle version sont dédoublés. Ceux d’origine rédigés par OGÉE sont immédiatement suivis, dans une police de caractères plus petite, par ceux élaborés par MARTEVILLE et son équipe. Après des informations géographiques et administratives sur chaque ville de Bretagne, les auteurs s’attardent sur son patrimoine remarquable, sur son histoire et sur les familles nobles qui lui sont attachées. Leur généalogie, détaillée et commentée, s’étale parfois sur plusieurs pages, comme c’est le cas pour les familles MATIGNON, MONTAUBAN et JOSSELIN. Le contenu de l’ensemble est dense et érudit, les notes et les ajouts prenant le plus souvent plus de place que l’article d’origine.
OGÉE n’a pas hésité à exprimer ses opinions personnelles, en particulier lorsqu’il s’agit de brocarder certaines coutumes et superstitions : “Nous n’avons attaqué personne en particulier, et si nous avons dit quelquefois des vérités dures, ce n’est point la malignité ni l’esprit de satyre qui nous les ont inspirées. Nous avons cru qu’il était de notre devoir de blâmer les abus et de tourner en ridicule les usages nuisibles au bonheur de la société. Nous n’avons pu approuver des superstitions avilissantes, un respect mal fondé pour des opinions dangereuses.” Ainsi, au chapitre « Plérin » (près de Saint-Brieuc), il écrit : “On remarque encore en beaucoup d’endroits de Bretagne, et surtout en Basse-Bretagne, des pardons superstitieux, des fêtes inutiles et dangereuses, où les gens de la campagne vont s’enivrer, dépenser leur argent, perdre leur temps, se battre, et souvent commencer un procès ruineux.” Au chapitre « Quimper », il énumère les pratiques superstitieuses et magiques suivantes : “Les femmes qui avaient leur mari en mer allaient balayer la chapelle voisine, et en jetaient la poussière en l’air, dans l’espérance que cette cérémonie leur procurerait un vent favorable… Ceux qui n’avaient pas obtenu des saints qu’ils invoquaient l’assistance qu’ils en espéraient, prenaient leur figure, les fouettaient et les jetaient dans l’eau suivant leur caprice… Les autres avaient soin de vider l’eau de tous les vases d’une maison où quelqu’un venait de mourir, de crainte que l’âme du défunt n’allât s’y noyer.”
La préface d’origine est adressée à la “nation bretonne”, et non aux États de Bretagne, pour les raisons évoquées plus haut.