Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercés dans Paris depuis le treizième siècle
Auteur(s) : FRANKLIN Alfred, POUX Alfred Louis Auguste
LEVASSEUR Émile
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De son vrai nom Alfred Louis Auguste Franklin POUX, Alfred FRANKLIN débute sa carrière littéraire dans des périodiques comme L’Abeille impériale, où il publie des feuilletons, des critiques de théâtre ainsi que des anecdotes historiques. Sur l’amicale recommandation de LORÉDAN-LARCHEY, il intègre en 1856 la bibliothèque Mazarine comme surnuméraire. À force de motivation et d’assiduité, il gravit les échelons, devenant successivement sous-bibliothécaire, bibliothécaire puis conservateur adjoint. En 1879, il accède au poste d’administrateur adjoint, avant de devenir administrateur en titre en janvier 1885, à la mort de Frédéric BAUDRY.
Son poste à la bibliothèque lui donnant accès à une incommensurable documentation, FRANKLIN occupe la majeure partie de son temps libre à rédiger des articles et des essais, avec une prédilection pour l’histoire, la bibliographie et les bibliothèques parisiennes. Entre 1887 et 1902, il publie les 27 volumes de La Vie privée d’autrefois : arts et métiers, modes, mœurs, usages des Parisiens du XIIe au XVIIIe siècle, d’après des documents originaux ou inédits. Cette œuvre de vulgarisation présente l’originalité de s’intéresser à l’histoire de la culture matérielle, c’est-à-dire aux événements ordinaires et aux objets courants de la vie quotidienne, comme les jouets, la cuisine ou « la réclame ». Mis à la retraite en 1906, après cinquante années de bons et loyaux services, il trouve encore le temps de publier un Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercées dans Paris depuis le XIIIe siècle ; il s’agit de l’ouvrage présenté ici.
Dans une longue préface, où il revient en détail sur l’histoire des métiers et des corporations dans la capitale, ainsi que sur l’évolution de l’hygiène publique, Pierre Émile LEVASSEUR, administrateur du Collège de France et professeur au Conservatoire national des arts et métiers, résume ainsi le travail de son ami : “Un voyage à travers les âges dans la vie intime du peuple parisien, pénétrant successivement, d’article en article, dans les détails de son organisation professionnelle, de son travail, de son ménage, de sa condition sociale, et on le fait sous la conduite d’un savant d’une érudition vaste et sûre, doublé d’un aimable conteur, qui est depuis longtemps un des maîtres les plus autorisés de l’histoire économique de la vieille France.”
L’auteur, qui rédige son ouvrage dans un style très vivant, privilégie la pédagogie à une érudition excessive, tout en ayant soin de ne jamais s’éloigner de ses sources. FRANKLIN nous livre le portrait d’un monde qui s’apprête à disparaître à la veille des grands bouleversements sociaux, économiques et urbains du XIXe siècle. Il nous dépeint la capitale et sa région environnante peuplées de personnages hauts en couleur : des Savoyardes montreuses de marmottes, des bahutiers, des coches d’eau, des chapeliers de paon, des phaétons et des peinsoteuses, “femmes qui, dans les manufactures de toiles peintes, font au pinceau des dessins si petits qu’il serait très difficile de les exécuter à la planche”. Nous découvrons qu’il existe alors des langueyeurs, c’est-à-dire des “officiers jurés qui examinaient la langue des porcs, pour s’assurer s’ils n’étaient pas atteints de ladrerie, et marquaient à l’oreille les animaux malades”. Nous apprenons aussi que, rue de la Grande-Truanderie, une école de boulangerie, créée par PARMENTIER, a ouvert ses portes gratuitement en 1780, et qu’à la veille de la Révolution ce sont 20 000 porteurs d’eau qui parcourent journellement la ville de Paris tant les fontaines publiques y sont rares.
Fidèle au titre de son livre, l’auteur concentre son propos sur les innombrables métiers qui existent dans Paris. FRANKLIN semble avoir mis un point d’honneur de n’en oublier aucun, des libraires aux marchands de cannes, des vidangeurs aux atourneresses, aux porteurs de foin et aux caleçonniers, en passant par les chanevaciers, les faiseurs de mouches, les nieuliers, les prestidigitateurs, sans oublier les fameuses harengères. Il s’efforce également de guider le lecteur dans le monde parfois complexe des corporations, des juridictions et de la fiscalité de l’Ancien Régime. Fruit d’un travail considérable, son dictionnaire, qui constitue une véritable mine d’informations, fourmille d’anecdotes souvent réjouissantes. Il présente également l’avantage d’être assorti d’une table des matières particulièrement bien détaillée, détail dans lequel nous reconnaissons le zèle tout professionnel d’un habitué du travail des archives et des recherches bibliographiques. Deux ans après la sortie de ce livre, FRANKLIN sort de manière assez confidentielle un ouvrage très étrange, Les Ruines de Paris en 4908, qui lui vaut aujourd’hui de figurer parmi les auteurs français pionniers dans le genre de la science-fiction. Célébré pour ses indéniables qualités de bibliothécaire et son apport précieux à l’histoire des Parisiens, cette personnalité du monde de l’érudition, que l’on rapproche souvent de son collègue et contemporain Léopold DELISLE, décèdera en 1917 dans sa maison de Viroflay.
Quelques extraits
*Bouchonniers : Ils avaient la spécialité des objets en liège. Ils vendaient, au cent ou au millier, des bouchons qui, presque tous, venaient des Landes où on les fabriquait au couteau. Ceux d’Angleterre étaient beaucoup moins estimés. On ne se servit que fort tard de bouchons de liège pour les bouteilles. Pendant longtemps on se borna à verser sur le liquide une légère couche d’huile qui surnageait à l’entrée du vase. De cette coutume est venue l’habitude de verser dans son propre verre les premières gouttes d’une bouteille avant d’en offrir. Parfois aussi, on employait un bouchon de chanvre tordu et imbibé d’huile.
*Blanc (spécialité de) : L’usage du mouchoir remonte très haut ; mais, jusqu’au treizième siècle, les poches n’existant pas, on ne put le mettre dans la poche. On l’attachait au bras gauche, comme les prêtres font encore de la bande d’étoffe appelée manipule, et qui dans l’origine était destinée à leur servir de mouchoir durant les offices. Les évêques portaient un mouchoir attaché à leur crosse, les chantres à leur bâton, etc. Cet usage subsistait au dix-huitième siècle dans l’église de Saint-Denis et dans plusieurs églises de campagne. Chez les laïques, le mouchoir était, paraît-il, fréquemment oublié, et en son absence la manche le remplaçait. Deux expressions proverbiales sont nées de cette coutume. On dit : « Du temps qu’on se mouchait sur sa manche », pour rappeler un temps où les mœurs étaient d’une grande simplicité, et, dans un sens opposé : « Ne pas se moucher sur sa manche ». Toutefois, je ne dois pas dissimuler que, longtemps encore, bourgeois et plébéiens surent très bien se passer de mouchoir.
*Latrines publiques : Les terrasses des Tuileries étaient inabordables et répandaient au loin une odeur révoltante. À l’abri de haies d’ifs, délicate prévenance d’un architecte ami du public, une multitude de gens se succédaient sans relâche, trouvant avec peine une place pour poser les pieds. Le comte d’Angiviller, directeur général des bâtiments du roi, fit abattre les ifs et établir en cet endroit des latrines dont l’entrée coûtait deux sous. Cette mesure fut sévèrement jugée. Les habitués des Tuileries trouvèrent le prix exagéré et se transportèrent au Palais-Royal. Le duc d’Orléans se hâta d’y construire douze cabinets d’aisances qui eurent plus de vogue que ceux des Tuileries, et dont la réputation dure encore. En 1798, ils rapportaient douze mille livres par an.
*Coupeurs de têtes : Ouvriers qui préparaient les têtes des épingles. Ils donnaient 70 coups de ciseaux par minute, et pouvaient couper ainsi en une heure 50 400 têtes.
*Guenons (Gouvernantes des) : Au dix-septième siècle, on s’engoua à Paris des singes et surtout des guenons. Il y eut, à la cour, une gouvernante des guenons de la chambre du roi. Mazarin raffolait de ces bêtes ; il tenait le Conseil dans sa chambre et y donnait des audiences tandis qu’on le rasait, qu’on l’habillait, qu’il jouait avec sa fauvette et son singe préféré.
*Quéreurs de pardons : Les chrétiens, pressés de remords ou à qui un pèlerinage avait été imposé pour l’expiation d’une faute, pouvaient, en payant, éviter ces voyages si longs et si pleins de dangers. Il existait des gens, hommes et femmes, dont la profession consistait à aller dans les saints lieux chercher le pardon des péchés d’autrui.
*Barilleurs et Barilliers : Ce n’est guère avant le dix-huitième siècle que l’on s’est décidé à placer sur la table à manger les flacons contenant les boissons. Jusque-là, les pauvres allaient durant le repas remplir leur gobelet, leur tasse ou leur écuelle à un tonneau installé dans un coin de la pièce. Chez les riches et chez les grands, on faisait signe à un échanson, un valet ou un page ; celui-ci prenait une coupe sur le dressoir, la remplissait aux barils qui y étaient à demeure, l’apportait au convive, attendait qu’il l’eût vidée, puis la remettait où il l’avait prise.