Dictionnaire des livres jansénistes ou qui favorisent le jansénisme
Auteur(s) : COLONIA Dominique de, PATOUILLET Louis
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Né à Aix-en-Provence en 1660, Dominique de COLONIA rejoint les Jésuites en 1673. Installé à Lyon, il y enseigne la rhétorique et la théologie. Il se fait connaître par ses talents d’orateur ainsi que par une œuvre littéraire prolifique. Éclectique, il rédige aussi bien de la poésie que du théâtre et des livres d’histoires, dont une remarquée : Histoire littéraire de la ville de Lyon. Plaçant la religion chrétienne au centre de ses préoccupations, il s’engage dans la longue querelle du jansénisme. Ce courant théologique est issu de la publication posthume, en 1640, de L’Augustinus, une œuvre de l’oratorien Cornélius JANSEN. Ce livre sème la discorde au sein de l’Église catholique, à un moment où, engagée dans une réforme interne, elle mène une vaste offensive contre le protestantisme. S’appuyant sur des écrits de saint AUGUSTIN, le jansénisme développe une vision pessimiste du salut de l’homme. Ce courant de pensée soutient que Dieu seul choisit les élus et que la grâce n’est pas accordée à tout le monde, théorie qui remet en cause la notion même de libre arbitre. Cette interprétation se rapproche du principe de prédestination, que Jean CALVIN avait autrefois placé au centre de ses conceptions théologiques.
Sans jamais devenir un mouvement de masse, le jansénisme rencontre un réel succès dans le haut clergé, la bourgeoisie urbaine, le milieu parlementaire et certaines congrégations religieuses, dont celle de Port-Royal-des-Champs. Le conflit avec la papauté ne manque pas d’éclater, de sorte qu’en 1641 L’Augustinus se trouve être visé par un décret de l’Inquisition. L’année suivante, c’est au tour du jansénisme dans son ensemble d’être condamné par une bulle papale. La querelle prend de l’ampleur en France où, en la personne de LOUIS XIV, le pouvoir royal intervient directement contre les tenants de la nouvelle doctrine. Les Jésuites se portent à la pointe du combat contre les Jansénistes, attitude qui leur vaut d’en devenir les ennemis déclarés. C’est à ce titre que Blaise PASCAL prend prioritairement leur congrégation pour cible dans les célèbres Provinciales, ouvrage qui sera rapidement mis à l’Index. Loin de se calmer avec le temps, le conflit s’envenime à l’occasion de la publication, en 1713, de la bulle papale Unigenitus qui, condamnant à nouveau les principes jansénistes, sera par la suite imposée de force comme loi de l’État. En tant que doctrine religieuse, le jansénisme décline au XVIIIe siècle, même si sa défense, assurée en particulier par les gallicans et les parlementaires, continue à fédérer diverses oppositions à l’absolutisme royal et au pouvoir temporel du pape.
C’est dans ce contexte très conflictuel qu’en 1722 COLONIA fait paraître à Lyon, sans nom d’auteur ni lieu d’édition, sa Bibliothèque janséniste ou catalogue alphabétique des livres jansénistes ou suspects de jansénisme, qui ont paru depuis la naissance de cette hérésie. Dans ce livre, il entend “démasquer” les auteurs de “pernicieux écrits” qui, selon lui, répandent ʺl’erreur” de manière détournée et clandestine. Une seconde édition, corrigée et augmentée de plus de la moitié, est publiée en 1731, puis une nouvelle version sort à Bruxelles en 1744, soit trois ans après la mort de COLONIA. Dans cette édition, l’auteur étend son “catalogue” aux œuvres de Pasquier QUESNEL et de BAÏUS, qu’il assimile un peu hâtivement aux Jansénistes. Mais paradoxalement, la virulence d’un théologien zélé, qui n’hésite pas à intégrer dans sa liste de nombreux auteurs totalement étrangers au jansénisme, dessert son propos, de sorte que son livre se trouve à son tour mis à l’Index en septembre 1749. C’est alors qu’entre en scène un autre jésuite du nom de Louis PATOUILLET, ennemi juré des jansénistes et des philosophes des Lumières. Cet écrivain, important rédacteur du Supplément des Nouvelles ecclésiastiques, entreprend de refondre, de réécrire et d’augmenter le livre de COLONIA, pour en faire une nouvelle édition en quatre tomes, qui est publiée à Anvers en 1752 sous le titre de Dictionnaire des livres jansénistes ou qui favorisent le jansénisme. Il s’agit de l’ouvrage présenté ici.
Comme son prédécesseur, PATOUILLET ne nourrit aucune indulgence pour le jansénisme, qu’il définit comme un “parti”, n’hésitant pas à intégrer les “Novateurs”, ainsi qu’il les appelle, dans la catégorie des hérétiques assimilés aux Réformés : “Loin d’être de très bons catholiques, comme on ose l’assurer dans un ouvrage récent [il fait ici référence au premier tome de l’Encyclopédie, article Aristotélisme], ils ont au contraire enseigné des hérésies formelles.” COLONIA et PATOUILLET, grands amateurs de censure, ne font pas mystère de leur volonté de faire interdire et brûler les livres incriminés. L’objectif des deux jésuites ne se limite pas à développer les tenants et les aboutissants d’une querelle théologique par ailleurs largement débattue dans d’innombrables ouvrages ; en effet, ces derniers visent à dresser un véritable catalogue de livres hérétiques, sans se rendre compte que, par leur zèle excessif, ils contribuent, de manière ouverte ou détournée, à la promotion des idées et des auteurs jansénistes. Tels des inquisiteurs, ils dénichent avec soin la plus petite allusion, la moindre citation et tout discours qui semble s’écarter un tant soit peu du dogme. Ils voient l’ennemi partout, souvent caché sous un pseudonyme, voire dissimulé dans des ouvrages “respectables” apparus à l’occasion de nouvelles éditions remaniées ou de simples changements de titres d’ouvrages condamnés.
Après une notice bibliographique simplifiée sur chaque livre incriminé, les auteurs entament une analyse pointilleuse de son contenu et concluent en rendant leur verdict sur l’hétérodoxie du propos. C’est ainsi qu’Annales pour servir d’étrennes aux amis de la vérité est qualifié d’élixir, une essence de mensonges, que Catéchisme de la pénitence qui conduit les pécheurs à une véritable conversion est jugé très dangereux, et que les Nouvelles ecclésiastiques ne sont qu’un trésor de mensonges, non de mensonges légers, de fictions innocentes, de railleries ingénieuses, mais d’affreux blasphèmes contre Dieu, de déclamations forcenées contre les décisions de l’Église, d’expressions séditieuses contre le Roi, ses ministres & toutes les puissances établies de Dieu d’impostures atroces contre les fidèles soumis à la bulle, de faux miracles controuvés pour séduire les simples, de convulsions diaboliques érigées en dons du Ciel, etc. Très versés en casuistique, COLONIA et PATOUILLET ne cessent d’ergoter et ne laissent passer aucun détail, aucune allusion, énumérant les points litigieux page après page. La lecture de leur ouvrage s’avère parfois malaisée pour le profane qui, ne disposant pas de solides notions en théologie, risque de se perdre dans des débats complexes. Les condamnations qui ont frappé la plupart des livres présentés ne manquent jamais d’être évoquées, et nos théologiens rappellent que le seul fait de détenir un des ouvrages interdits est passible d’excommunication. Dans la liste des proscrits nous retrouvons sans surprise les adeptes les plus éminents du jansénisme, comme le grand ARNAULD, PASCAL, SAINT-CYRAN, QUESNEL, GERBERON, COLBERT de CROISSY, PETITPIED et LEMAISTRE de SACY. Mais nous y découvrons également d’autres personnalités, soupçonnées de simple sympathie ou d’indulgence à l’égard des Jansénistes, comme BOSSUET, BOILEAU, et même Madame de SÉVIGNÉ.
Le propos de l’ouvrage est généralement virulent, agressif et polémique, ce qui vaudra à cette nouvelle édition d’être à son tour mise à l’Index le 11 mars 1754. Cette sanction ne constitue pas le moindre des paradoxes, dans la mesure où elle frappe un livre qui défend farouchement la foi catholique et l’autorité suprême de Rome. L’interdiction n’empêchera pourtant pas une nouvelle édition d’être publiée à Anvers en 1755. Pour sa part, PATOUILLET, poursuivant sa “croisade” contre les Jansénistes, s’impliquera directement dans une lutte opposant, au Parlement en 1756, l’évêque de Paris aux Jésuites, attitude qui lui vaudra d’être un temps exilé à Amiens par lettre de cachet. À son retour, notre homme, guère assagi, poursuivra inlassablement sa guerre de libelles contre les parlementaires, mais aussi contre VOLTAIRE. Retiré à Avignon, il mourra dans cette ville en 1779.