Religion

Dictionnaire des athées anciens et modernes

Auteur(s) : MARÉCHAL Pierre Sylvain, FRANCOIS de LALANDE Jérôme Joseph

 

GERMONT J.-B.L.

 Paris, FIRMIN-DIDOT
 troisième édition, augmentée des suppléments de J. LALANDE, de plusieurs articles inédits, et d'une notice nouvelle sur MARÉCHAL et ses ouvrages (la première édition date de 1800)
  1853
 1 vol (XXXIX-328-85 p.)
 In-octavo
 demi-basane brune, dos à cinq nerfs, auteur et titre en lettres dorées


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Dès l’Antiquité gréco-romaine, il est possible de déceler les prémices d’une pensée sceptique et matérialiste, qui remettrait en cause l’existence des dieux, ou du moins leur influence sur le monde. Depuis lors, l’athéisme est longtemps resté une idée jugée dangereuse, néfaste et réprimée comme telle. Vue comme profondément subversive, car mettant en danger la cohésion de la société et ses fondements spirituels, la pensée athéiste ne s’est réellement conceptualisée en Occident qu’au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, avant de s’épanouir pleinement aux XIXe et XXe, se confondant alors avec la lutte contre l’influence des Églises et du clergé.

En Europe, c’est au cours du Siècle des lumières qu’émergent les premières figures de l’athéisme. Encore très minoritaires à l’époque, beaucoup d’écrivains et de philosophes adoptent les positions “modérées” du déisme, de l’agnosticisme, du théisme ou encore de la croyance en une religion “naturelle”. Bien que bénéficiant de plus de clémence qu’auparavant, du fait du recul du pouvoir politique et judiciaire de l’Église catholique en France et dans d’autres pays, l’irréligion et l’impiété publiques sont encore considérées comme des délits ; il n’est pas sans danger de proclamer l’inexistence de Dieu. C’est ainsi qu’en 1766, le chevalier de LA BARRE sera exécuté pour avoir été reconnu coupable de pratiques impies et blasphématoires.

Allant plus loin que le simple anticléricalisme professé par de nombreux penseurs, comme VOLTAIREROUSSEAU et d’ALEMBERT, des écrivains iront jusqu’à contester la réalité même de toute présence divine dans l’univers. Si certains d’entre eux restent prudents et relativement discrets, comme DIDEROT et CONDORCET, d’autres, comme le flamboyant baron d’HOLBACH, le curé Jean MESLIER, le marquis de SADE, HELVÉTIUS et un grand nombre de pamphlétaires restés anonymes, s’en prennent directement et ouvertement aux fondements mêmes de la religion, tout en prenant le plus souvent la précaution élémentaire de s’abriter derrière un pseudonyme, voire de se faire publier à l’étranger. À côté de ces grandes figures de l’athéisme des Lumières, une autre personnalité s’affirme, même si elle ne connaîtra pas la même renommée posthume que les précédents : Pierre Sylvain MARÉCHAL.

Fils d’un marchand de vin, ce dernier suit des études de droit et devient avocat. Mais, victime d’un défaut d’élocution, il ne parviendra jamais à faire décoller sa carrière, et il s’orientera vers la littérature où, en tant que poète, il obtiendra de beaux succès. Engagé à la bibliothèque du collège Mazarin, cet admirateur des philosophes des Lumières se dit sensible au mythe de l’âge d’or, déclarant par exemple que « l’athée est l’homme de la nature”. Il commence à professer un socialisme agraire et le partage des richesses, mais athée convaincu et militant, il n’hésite pas à se servir de sa plume contre la religion. Dans ses Fragments d’un poème moral sur Dieu, publiés en 1780, il remplace la foi par la raison et le culte de Dieu par celui de la vertu. En 1784, il récidive en parodiant la Bible dans son Livre échappé au Déluge, ouvrage dans lequel il décrit la religion comme un outil d’exploitation sociale et un instrument d’oppression au service du pouvoir. Ses idées finissent par lui coûter son emploi, sans qu’il y renonce. En 1788, son Almanach des honnêtes gens, saisi et brûlé, lui vaudra plusieurs mois de prison.

MARÉCHAL accueille la Révolution avec enthousiasme. Il participe à plusieurs journaux, dont celui intitulé Révolutions de Paris, dans lequel il peut laisser libre cours à ses convictions anticléricales et antireligieuses. Resté à l’écart des Jacobins, dont il dénonce la dérive autoritaire, il rejoint la Conjuration des Égaux, première véritable tentative de coup d’État communiste, organisée par Gracchus BABEUF. Bien qu’auteur du fameux Manifeste des Égaux, il réussit à échapper de peu à une condamnation après que le complot a été éventé.

Désormais retiré à Montrouge, MARECHAL continue à diffuser ses idées et il entreprend, à l’initiative, semble-t-il, de son ami Joseph Jérôme LEFRANÇOIS de LALANDE, la rédaction d’un dictionnaire recensant les grandes figures de l’athéisme à travers l’histoire. Ce livre, achevé en 1800, prend le titre de Dictionnaire des athées anciens et modernes. Les autorités interviennent pour en limiter la diffusion, interdisant aux journaux et aux gazettes d’en parler. Mais, plébiscité par les libres penseurs, l’ouvrage finit par acquérir une certaine renommée et se trouve rapidement complété par deux suppléments de LEFRANÇOIS de LALANDE, distribués sous le manteau. Une seconde édition de 1833, élaborée par un certain J.-B.L. GERMOND, réunit l’ensemble des publications, enrichies par quelques documents inédits et une notice biographique sur MARÉCHAL. Cette version, rééditée en 1853, est celle présentée ici.

Dans son discours préliminaire, l’auteur entend tracer le “portrait-robot” de l’athée. Selon lui, ce n’est pas un être jouisseur, libertin et cynique, dépourvu de toute considération éthique. Au contraire, il le définit comme une personne tolérante, d’une moralité et d’un sens de l’honneur d’autant plus solides qu’ils reposent sur un libre arbitre dépourvu de caution divine. Il écrit : “J’ai d’ailleurs tout ce qu’il me faut sous la main, des droits à exercer, des devoirs à remplir et des jouissances, résultat de mes devoirs et de mes droits.”

Dieu est défini par MARÉCHAL comme un concept inutile et, au-delà, comme un outil au service de la tyrannie et une cause de division entre les hommes. Fidèle à sa conception d’une époque mythique, où l’homme n’avait pas encore inventé la divinité, il déclare : “L’athée est celui qui, se repliant sur lui-même et se dégageant des liens qu’on lui a fait contracter malgré lui ou à son insu, remonte, à travers la civilisation, à cet ancien état de l’espèce humaine, et faisant, dans le forum de sa conscience, main basse autour de lui sur les préjugés de toute couleur, approche le plus près de ce temps fortuné où l’on ne soupçonnait pas l’existence divine, où l’on se trouvait bien, où l’on se contentait des seuls devoirs de la famille.”

À rebours des athées agressifs et des excès commis sous la Révolution, il prône un athéisme serein et presque compatissant envers ceux qui sont restés dans l’ignorance : “Bonnes gens, qu’en voulez-vous faire ? À quoi vous est-il bon ? De quels maux vous préserve-t-il ? Votre tout-puissant Dieu, après vous avoir laissés pendant douze siècles sous le despotisme royal, a-t-il su vous défendre de l’anarchie ? Si votre Dieu se mêle de vos affaires, pourquoi vont-elles si mal ? Pourquoi avez-vous des autels, et point de mœurs ? Pourquoi tant de prêtres, et si peu d’honnêtes gens ?”

Le contenu du dictionnaire est un peu déroutant. En effet, si MARÉCHAL fait référence aux philosophes et aux libres penseurs anciens et contemporains, comme les matérialistes grecs SPINOZA, DIDEROT, HOBBES et DESCARTES, il pousse son champ d’investigation beaucoup plus loin, recrutant pour sa “croisade” des personnalités du camp d’en face. Il semble avoir pris un malin plaisir à débusquer, chez les théologiens, les saints, les Pères de l’Église, les intellectuels chrétiens ou autres mystiques de différentes confessions, toutes les citations – qu’elles soient attribuées aux personnalités elles-mêmes ou écrites par des critiques et des exégètes postérieurs –permettant de mettre en doute l’existence ou la toute-puissance de Dieu. Il sort ainsi largement du cadre de l’athéisme proprement dit, n’hésitant pas à surinterpréter clairement des phrases pour leur donner une tournure antireligieuse, ou à les détourner pour faire penser qu’elles vont dans le sens d’une “religion naturelle”.

MARÉCHAL embarque ainsi dans sa démonstration des personnalités diverses, a priori peu susceptibles d’être accusées d’hérésie ou d’impiété, comme saint JEAN, CONFUCIUS, PASCAL, BOSSUET, CICÉRON, MAHOMET, saint AUGUSTIN, CÉSAR, MOLIÈRE et PLATON. Les articles ne sont pas tous construits sur le même modèle, ce qui en rend souvent la lecture peu compréhensible. Selon les cas, il peut s’agir d’une analyse personnelle et argumentée, d’une collection de citations parfois livrées sans commentaires, ou d’une affirmation lapidaire. C’est ainsi que l’auteur peut être parfois d’une brièveté inattendue dans la rédaction d’articles sur certains personnages comme ÉRASME, CONDORCET et KANT.

Désormais figure marquante de l’athéisme en France, MARÉCHAL décèdera deux ans après la publication de ce dictionnaire. Sa postérité souffrira beaucoup des positions antiféministes qu’il a défendues dans son Projet d’une loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes, datant de 1801.

Quelques extraits de notices

SPINOZA : Athée de système et d’une méthode toute nouvelle, quoique le fonds de sa doctrine lui fût commun avec plusieurs autres philosophes anciens et modernes européens et orientaux. Il est le premier qui ait réduit en système l’athéisme, et qui en ait fait un corps de doctrine lié et tissu, selon la méthode des géomètres, mais d’ailleurs son sentiment n’est pas nouveau. Il y a longtemps que l’on a cru que tout l’univers n’est qu’une substance, et que Dieu et le monde ne sont qu’un seul être.

DUBOISCardinal et Premier ministre. Il avait coutume de dire qu’il défiait tous les cardinaux ensemble d’être plus athées que lui.

SOCRATE : Le sage d’Athènes, sans se compromettre, amenait ses concitoyens à conclure eux-mêmes que la religion ne sert à rien. Donc, il faut lui préférer la morale, qui prescrit des devoirs fondés sur nos plus chers intérêts.



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