Féodalité, Ancien régime, Histoire de France

Dictionnaire de l’Ancien régime et des abus féodaux

ou Les hommes et les choses des neuf derniers siècles de la Monarchie française. Ouvrage où l'on trouvera des notions alphabétiques et raisonnées des institutions, des usages, des traditions, des abus, des excès et des crimes de l'oligarchie féodale, avec une biographie abrégée des principaux personnages qui en furent les fondateurs, les fauteurs et les complices ; et des détails intéressans sur les principaux évènemens de notre histoire, sur les sciences et les arts, sur les moeurs, sur l'origine des principales familles nobles etc..

Auteur(s) : RÉGNAULT-WARIN Jean-Baptiste

 à Paris, à la Librairie universelle de P. MONGIÉ l'aîné, Boulevard Poissonnière
 édition originale
  1820
 1 vol (XVI-479 p.)
 In-octavo
 demi-veau d'époque, dos lisse orné de filets et d'entrelacs à froid


Plus d'informations sur cet ouvrage :

En 1815 la monarchie des Bourbons est durablement réinstallée, mais la société de l’Ancien Régime n’a pas été rétablie dans son état antérieur, le peuple français n’étant pas prêt à renoncer aux acquis politiques et sociaux de la Révolution et de l’Empire. Le pouvoir politique est désormais encadré par la Charte constitutionnelle de 1814, qui limite le pouvoir du roi. Le Code civil ainsi que les autres codes de lois publiés entre 1804 et 1810 restent en usage, tout comme l’organisation administrative napoléonienne. Enfin, et surtout, depuis la nuit du 4 août 1789, les privilèges et les droits féodaux sont définitivement abolis. La société, dite de l’Ancien Régime, était organisée selon un système complexe fondamentalement inégalitaire de classes, de liens personnels et de particularismes fiscaux. Elle a disparu pour faire place aux principes, présents dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 fondée sur l’égalité devant la loi, l’emploi et l’impôt.

Mais les maladresses du nouveau gouvernement et du haut clergé, la Terreur blanche, la morgue et l’esprit revanchard de certains aristocrates émigrés dont TALLEYRAND dira qu’ils n’ont “rien appris, rien oublié”, inquiètent tous ceux qui refusent le retour de l’Ancien Régime, d’autant qu’il existe chez les élites un puissant courant ultraroyaliste soutenu par le propre frère du roi LOUIS XVIII, le futur CHARLES X. Dans ce contexte politique tendu, les pamphlets, les libelles et les satires se multiplient pour ridiculiser la société d’autrefois. C’est de cette veine que sort, en 1820, le livre présenté ici : le Dictionnaire de l’Ancien Régime et des abus féodaux.

Publié par Pierre MONGIE l’Aîné, ce livre est anonyme, l’auteur n’étant désigné que comme “Paul D*** de P***”. Un nom est pourtant omniprésent dans l’ouvrage, celui de Jean-Baptiste-Joseph REGNAULT-WARIN. Cet écrivain embrasse la cause révolutionnaire et devient un pamphlétaire redoutable qui, modéré et refusant la violence excessive, s’est tenu à l’écart sous la Terreur. C’est cet homme qui a rédigé le discours préliminaire du livre. Il y évoque la nécessité de dénoncer “les prétentions et les doctrines” qui ont survécu à la disparition de l’ordre féodal, et il signe un très grand nombre d’articles. Pour autant, le doute n’est pas levé : s’agit-il d’un travail collectif ou l’ouvrage est-il entièrement de la main de REGNAULT-WARIN ?

Quel qu’il soit, tout comme Jacques-Antoine DULAURE, auteur de la fameuse Histoire critique de la noblesse depuis le commencement de la monarchie jusqu’à nos jours , le rédacteur s’est beaucoup appuyé sur les ouvrages de feudistes, ces juristes spécialisés dans le droit seigneurial et le droit féodal. Ce carcan hétéroclite de corvées, de redevances, de privilèges et d’obligations, était devenu odieux à la population, en particulier à celle des campagnes prise dans le cadre très contraignant de la seigneurie. Appliqué avec un zèle tracassier, le droit seigneurial a largement contribué, par son caractère souvent archaïque et injuste, à discréditer la noblesse et le clergé pour assurer à terme le succès de la Révolution. Le roi et l’institution monarchique sont d’ailleurs relativement épargnés dans ce livre, la vindicte de l’auteur se focalisant avant tout sur les aristocrates et les ecclésiastiques, responsables à ses yeux de l’échec des tentatives de réformes fiscales qui se sont succédé au XVIIIe siècle.

Le but de ce dictionnaire est clairement affiché dès les premières lignes : “Quand les eaux sont basses, travaillez aux digues ; c’est pour suivre ce conseil prudent qu’on s’est occupé de publier cet ouvrage. Les féodaux crient que la féodalité n’est plus et ne saurait renaître ; mais si son fantôme épouvante, il faut le combattre et surtout le chasser. Et comment y réussir ? En dévoilant les crimes de ceux que son esprit animait.” Remontant jusqu’à l’avènement d’HUGUES CAPET, l’auteur passe en revue les différents aspects critiquables de l’ancienne société, et en particulier tous les privilèges, parfois symboliques mais souvent très concrets, qu’il considère abusifs et injustifiés, tout comme le “parasitisme” de la noblesse et d’un haut clergé qui ne lui semble d’aucun bénéfice pour la prospérité économique, la paix et l’harmonie sociale.

Le dictionnaire s’attarde sur les multiples redevances et contraintes juridiques qui pesaient sur la majorité de la population, comme le fouage ou le terrier, un registre redouté et détesté qui renfermait les documents recensant les redevances et les obligations dues à un seigneur. Il décrit également le monopole lucratif des banalités, le champart, le cens et le banvin. À noter que le légendaire droit de prélibation, plus connu sous le nom de droit de cuissage, est également présenté comme une preuve supplémentaire de l’arbitraire de l’ordre féodal.

Se faisant volontiers historien, l’auteur revient également sur plusieurs épisodes historiques, pris comme autant de témoignages de l’oppression et la brutalité de l’époque féodale (jacquerie, ligue du bien public, massacre de la Saint-Barthélemy, croisades, etc.). Il dénonce les pratiques judiciaires archaïques qui constituaient une source de revenu complémentaire abusivement utilisée par les seigneurs, qu’il s’agisse du formariage, du droit d’aubaine, des droits de chasse et de pêche. Enfin, il se révolte aussi contre des pratiques particulièrement monstrueuses de l’Ancien Régime : les duels judiciaires, les justices seigneuriales, qu’il considère comme une “usurpation” que le temps et l’usage avaient légitimée,  les lettres de cachetodieuses… et excellens instruments de tyrannie”.

Mais une grande partie du livre est consacrée à des anecdotes mettant en scène des personnages historiques, des nobles, des princes, des évêques et des abbés. Le dictionnaire présente donc une galerie peu flatteuse des travers et des turpitudes de l’aristocratie à travers des personnages peu reluisants, cyniques, brutaux, cupides, parfois félons ou ridicules. C’est ainsi qu’au fil des pages nous faisons connaissance avec le Bâtard de BOURBON, soudard et véritable brigand qui aurait “violé une femme sur le corps de son mari” avant de le faire battre et découper ; Antoine de CHABANNES, brillant soldat mais également pillard et voleur ; le terrible chevalier de MONLUC, LOUIS d’ANJOU, frère de CHARLES V  et “fort avide d’argent” ; Guillaume de BELLESME, qui fit assassiner sa femme et s’empara par trahison d’un rival qu’il fit affreusement mutiler ; ou encore le comte de PARDIAC, chef des Écorcheurs.

La parution de notre ouvrage a été précédée de peu par celle d’un autre titre consacré au même sujet, mais traité de manière plus polémique et agressive. Il s’agit du Dictionnaire féodal rédigé par Jacques COLLIN du PLANCY, futur auteur du célèbre Dictionnaire infernal. Ce livre est marqué par un ton nettement plus anticlérical et plus “voltairien” que celui de notre Dictionnaire de l’Ancien Régime et des abus féodaux. Le ou les auteurs de ce dernier revendiquent d’ailleurs l’antériorité de leur travail, accusant celui qui les a finalement précédés d’avoir récupéré leur idée. Une réclamation en paternité du projet sera d’ailleurs adressée à plusieurs journaux, que certains accepteront de publier.



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