Dictionnaire de la marine françoise
avec figures
Auteur(s) : ROMME Nicolas-Charles
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Au XVIIe siècle, la France entreprend de se doter d’une véritable marine officielle pour rattraper son retard sur les pays voisins. Dès lors, la production d’ouvrages spécialisés dans la marine s’avère nécessaire et urgente du point de vue lexicographique pour accompagner l’enseignement maritime, le développement de la construction navale et la mise en place d’une réelle formation théorique pour les officiers de marine dans les compagnies de Gardes de la Marine et les écoles d’ingénierie navale. C’est ainsi qu’en 1636 paraît, sous la plume de l’avocat Estienne CLEIRAC, le premier répertoire consacré aux termes maritimes de langue française. Néanmoins, il faudra attendre 1687 pour voir la publication du premier véritable dictionnaire de marine, rédigé par un certain DESROCHES, officier des vaisseaux du roi, intitulé Dictionnaire des termes propres de marine.
Mais c’est au cours du XVIIIe siècle, période qui connaît une effervescence lexicographique dans tous les domaines de la connaissance, que la langue française va se doter d’une série de dictionnaires de référence sur le langage maritime pris au sens large. À celui publié en 1702 par Nicolas AUBIN , succèdent en 1758 le Dictionnaire historique, théorique et pratique de marine, d’Alexandre SAVÉRIEN et, en 1773, le Manuel des marins ou dictionnaire des termes de marine, de BOURDÉ de VILLEHUET. Il faut également citer les articles et les planches consacrés à la marine dans l’Encyclopédie. À côté de ces entreprises individuelles, l’Académie de marine, créée en 1752, commence à travailler sur son propre dictionnaire, qui restera inachevé, mais dont les travaux préparatoires seront utilisés pour réaliser le dictionnaire thématique, consacré à la marine, de l’Encyclopédie méthodique dirigée par VIAL du CLAIRBOIS. Ses trois volumes sont publiés entre 1783 et 1787. C’est en s’inscrivant dans la lignée de ses devanciers, qu’un autre personnage va marquer la lexicographie maritime de langue française : Nicolas Charles ROMME.
Géomètre de formation, ce dernier vient à Paris pour y suivre les cours d’astronomie de Jérôme de LALANDE. Grâce au soutien d’Étienne BÉZOUT, ROMME obtient, en 1769, la place de professeur de mathématiques des Gardes de la Marine, à l’école de Rochefort. Peu après sa nomination, il rédige de nombreuses communications sur la navigation, la résistance des fluides et la mesure des longitudes. Plusieurs de ses travaux scientifiques font l’objet de mémoires, qui sont présentés par son protecteur à l’Académie des sciences. Cette institution, dont il devient le correspondant en 1778, lui confie le soin de rédiger les deux parties de la section consacrée à la marine dans la Description des arts et métiers : L’art de la mâture (1778) et L’art de la voilure (1781). En 1787, il publie également un manuel : L’art de la marine ou principes et préceptes généraux de l’art de construire, d’armer ; de manœuvrer et de conduire les vaisseaux.
Dès 1788, le projet d’un nouveau dictionnaire plus complet que les précédents est soutenu par le gouvernement, les autorités locales et les Académies. Malgré la Révolution, le livre réussit à être publié en 1792 avec, étonnamment, en page de titre, un blason à fleur de lys ! S’intéressant aussi bien aux opérations terrestres que maritimes, ROMME élargit sa nomenclature, en insistant sur le vocabulaire utilisé dans les chantiers et dans les ports par les charpentiers, les calfats, les mâteurs, les voiliers ou les fabricants de cordages. Il ambitionne de faire le tour d’un lexique forgé par les “gens de mer” pour “s’entendre réciproquement dans leurs manœuvres & leurs opérations”, et qui, bien souvent, demeure “un langage étranger à celui de la mère patrie”. Le champ lexical qui s’ouvre à lui est très vaste, c’est pourquoi il prend soin de préciser que “cet ouvrage m’a paru ne devoir être qu’un supplément au dictionnaire de la langue commune, c’est-à-dire, qu’il ne doit renfermer que les seuls termes qui sont propres à l’art de la marine ; ces termes particuliers qui servent aux seuls hommes de mer, comme signes de leurs pensées, ou comme noms indicatifs des objets embrassés par cet art”.
Au-delà du désir affiché, bien représentatif de l’esprit des Lumières, de témoigner et de rendre intelligible au plus grand nombre un domaine-clé de l’ingéniosité humaine, l’objectif de l’auteur reste très prosaïque, car il s’agit pour lui de “faciliter l’intelligence des discours des marins, de leurs relations de voyage, de leurs travaux à la mer, & des ouvrages qu’ils exécutent à terre”. En outre, à une époque où la marine occupe une place majeure dans la vie économique et militaire du pays, il lui paraît nécessaire de bien former ceux qui se destinent à cette carrière : “Si on examine à d’autres égards, combien il importe à la Nation françoise que les jeunes citoyens, qui se destinent au service de la mer, deviennent promptement capables d’exercer cet art avec intelligence, & propres à lui rendre tous les services que leur zèle & leurs dispositions peuvent promettre, un Dictionnaire de la Marine françoise doit paroître le premier ouvrage à leur présenter, s’il est bien fait, pour les initier dans la connoissance de l’art qu’ils se proposent d’embrasser, & pour faciliter, accélérer leurs progrès dans l’étude de cet art.” Pour appuyer son propos, en particulier quand il touche au gréement et à l’architecture navale, ROMME joint sept planches indispensables pour illustrer des explications très techniques.
Une des caractéristiques de ce dictionnaire est la présence, dans la plupart des articles, de l’équivalent anglais du terme défini. Malgré le conflit quasi permanent entre les deux puissances, ROMME, comme tous ceux qui connaissent le monde de la mer, juge indispensable la présence de ces termes : “Considérant combien sont multipliés les rapports commerciaux et politiques qui nous lient avec la Nation angloise, j’ai pensé qu’il seroit utile et intéressant de placer auprès des termes de la Marine françoise, les termes correspondants de la Marine angloise.” Depuis le Moyen Âge, l’apport étranger au lexique maritime de langue française a été très important, avec l’adoption de termes néerlandais, allemands, italiens, arabes ou scandinaves. Mais, au XVIIIe siècle, c’est l’anglais, langue de référence, qu’il convient de maîtriser. En effet, le Royaume-Uni est devenu entretemps la grande puissance navale mondiale, aussi bien sur le plan commercial et militaire, que grâce aux voyages d’exploration comme ceux d’ ANSON et de COOK. Précisons qu’en 1777 Daniel LESCALLIER avait déjà publié un glossaire intitulé Vocabulaire des termes de marine, anglois-françois et françois-anglois, beaucoup moins complet que le dictionnaire de ROMME.
Ce dernier poursuivra sans encombre sa carrière sous la Révolution, le Consulat et l’Empire, avant de décéder à Rochefort en mars 1805, soit quelques mois avant la cuisante défaite de Trafalgar. L’année précédente, il avait publié un Dictionnaire de la Marine anglaise, assorti de termes de la Marine française traduits en anglais.
Exemples d’articles :
CAJOLER, V, a. Un vaisseau est dit cajoler le vent, to tide it up, lorsqu’il profite du courant d’une rivière ou de celui de la marée pour avancer dans l’espace malgré un vent contraire, qui lui sert cependant pour produire toutes les évolutions exigées par les circonstances. C’est alors le courant qui l’entraîne ; & c’est avec le vent qu’il se maintient en travers pour mieux dériver, to drive with the tide ; qu’il tourne sur lui-même ; & qu’il combat l’effort du courant lorsqu’il peut devenir dangereux.
GOURNABLIER : f, m. Mooter. Ouvrier dont l’art & l’occupation sont de faire & préparer des gournables pour les bâtimens en construction. Il y a dans les ports de Roi un atelier où se réunissent des gournabliers pour y ébaucher & finir des gournables.
GOURNABLE. f. f. Tree nail. Cheville de bois de chêne ; sa forme est presque cylindrique. On se sert de gournables, concurremment avec des clous & des chevilles de fer, pour fixer les bordages ou les planches qui recouvrent la carène d’un vaisseau. Et si dans cette opération on préfère les gournables aux chevilles de fer & aux clous, c’est que ceux-ci se rouillent & accélèrent la pourriture des membres, & parce que d’ailleurs les gournables sont d’une pesanteur moins considérable.