Septembre 2003. Dans la bibliothèque de sa maison toulousaine, un collectionneur de dictionnaires et d’encyclopédies tombe soudain en arrêt sur le catalogue d’un commissaire-priseur. Une Encyclopédie Diderot/D’Alembert, celle qu’il pourchasse depuis des semaines, figure au programme d’une vente prochaine ! Le lieu de la vente, Auxerre, n’est certes pas tout proche, mais qu’importe, il s’y rendra… Le jour venu, il a le bonheur de pouvoir remporter la bataille des enchères et de rapporter dans sa bibliothèque les 35 volumes de l’Encyclopédie.
Surprise ! Au premier examen de l’ouvrage, il découvre, à l’intérieur de chaque reliure, un ex-libris gravé qui représente un château, une inscription (« château de Lafitte ») et une guirlande surmontée d’un R majuscule ! Volontiers amateur des grands crus bordelais, le nom de « Lafitte » évoque d’emblée pour lui le prestigieux château du Médoc, d’autant que la lettre R paraît bien correspondre au monogramme de ses propriétaires, la famille de Rothschild. Le fait que le nom du lieu soit imprimé avec deux T aurait pu ébranler sa quasi-certitude, mais, après tout, les orthographes de lieux sont si souvent fantaisistes et évolutives… Il se fait pourtant la promesse de faire un jour le déplacement en Aquitaine pour vérifier sur place la justesse de son hypothèse. Treize années s’écouleront sans que l’occasion lui soit donnée de mettre son projet à exécution.
Il faudra attendre un beau jour de 2016 pour qu’il découvre, fortuitement sur la toile, que la vignette appartenait en réalité à Charles de Rémusat, homme politique et écrivain qui, au XIXe siècle, avait pour demeure un château situé dans le village de Lafitte-Vigordane. Cette découverte est un choc pour notre collectionneur, car cette localité est située à moins de 10 km de son habitation ! Il avait donc fait 1 400 km aller-retour pour acquérir à Auxerre un ouvrage dont le premier propriétaire avait vécu dans son tout proche voisinage… Passée la surprise, notre collectionneur se rend au château de Lafitte dont, jusqu’à ce jour, il avait ignoré l’existence et qu’il découvre, majestueux, posé au milieu d’un superbe parc.
Avec un volume de l’Encyclopédie sous le bras, il se présente à la propriétaire qui se trouve être une authentique descendante de l’homme illustre. Cette dernière, à la fois surprise, amusée et intéressée par le récit du visiteur, lui propose d’accéder à la bibliothèque dont la configuration est demeurée inchangée depuis la construction du château.
Notre collectionneur entre dans une pièce magnifique, tapissée de livres disposés sur des rayonnages et des tablettes numérotés, et il a le grand bonheur, grâce aux indications écrites au crayon sur l’ex-libris, de retrouver l’emplacement exact où, à l’origine, était rangé le volume dont il est porteur, soit très précisément la troisième position sur la 6e tablette du rayonnage XVI.
Vient ensuite pour la propriétaire des lieux le temps des interrogations : pourquoi cette encyclopédie a-t-elle quitté la bibliothèque, à quelle époque, dans quelles conditions, pour quelle destination et, enfin, au terme de quelle errance a-t-elle un jour échoué en Bourgogne ?
Autant de questions qui resteront probablement à tout jamais sans réponse.
Seuls les volumes de l’Encyclopédie pourraient raconter leur parcours s’ils n’étaient inanimés, dépourvus de conscience et de mémoire ; mais, de cela, en a-t-on l’absolue certitude ?
Une précision : le collectionneur se prénomme Jacques…
Quelle belle histoire !
Dès le début je pressentais un dénouement heureux pour un ami qui m’est cher. BRAVO Jacques
Bonjour,
Je suis aussi apparenté à Charles de Remusat par les Gilede Pressac. Je possède un livre offert par le ministre Charles de Remusat à Frédéric de Gilede, provenant de la bibliothèque de Sainte Hélène.
Votre histoire est formidable…comme quoi le destin ça n’est pas rien…
Bravo