Les booktowns à la conquête des États-Unis
Le concept du “booktown”, loin de se cantonner à l’Europe, a traversé l’Atlantique pour conquérir l’Amérique du Nord, l’Amérique latine restant pour l’instant à l’écart du phénomène. En 1988, l’écrivain à succès, lauréat du Pulitzer, Larry Mc MURTRY, réintègre sa ville texane d’Archer City, chargé d’une grande collection de livres, et y ouvre une librairie nommée Booked Up, qui sera, un temps, la plus grande librairie indépendante des États-Unis à vendre des livres d’occasion. Riche de près de 450 000 titres, logée dans quatre bâtiments, elle devient une véritable attraction. À lui seul, Mc MURTRY réussit à transformer cette modeste bourgade en un village du livre. Mais, en dépit de ses efforts, il ne réussira pas à générer un effet d’entraînement susceptible de favoriser l’implantation d’autres magasins. En 2012, la concurrence d’Internet se faisant durement sentir, il doit se résoudre à vendre aux enchères la majeure partie de son stock. Ayant réduit son espace de vente, il maintiendra ouvert un magasin de bonne taille à Archer City et ce, jusqu’à sa mort en 2021.
D’autres localités nord-américaines tentent l’aventure, avec des résultats plus ou moins probants, comme Sidney-by-the-Sea près de Vancouver, Stillwater dans le Minnesota, ou encore Brownville dans le Nebraska. En Californie, Grass Valley, située dans la région du Nevada County, connue autrefois pour ses mines d’or, voit s’établir en 2000 une coopérative de 14 libraires indépendants regroupés dans un vaste édifice dénommé Booktown Books, dont nous vous proposons ci-dessous une vue intérieure.
Située dans l’État de New York, au sein de la région des Catskills, Hobart compte 400 habitants et 7 librairies. Ce “book village” se développe à partir de 2001, après qu’un couple de New-Yorkais de passage décide d’y fonder un magasin. Un professeur de piano ouvre à son tour une librairie, suivi par d’autres audacieux qui ont en commun d’avoir quitté des grandes villes pour la campagne. En 2005, un article du New York Times fait l’éloge du “seul village du livre à l’est du Mississipi”. Celui-ci, ayant acquis une notoriété nationale, réussit à pérenniser un statut de village du livre qui lui garantit de recevoir des contingents réguliers de visiteurs.
Dans le Pacifique
À des milliers de kilomètres plus à l’ouest, la petite ville néozélandaise de Featherston, dans la région de Wellington, s’est résolument engagée, à partir de 2015, à intégrer la confrérie des villages du livre. Alors qu’elle ne recense qu’un seul magasin de livres d’occasion, elle incite libraires et artisans à venir s’y installer en organisant un festival annuel qui deviendra très renommé dans le pays. Valorisant les “deux cultures” du pays, Featherston, qui abrite désormais sept “bookstores”, et qui a retrouvé un vrai dynamisme, capte une partie des nombreux touristes venus visiter la région touristique du Wairarapa.
De l’autre côté de la mer de Tasman, dans l’État australien de Victoria, Clunes, née au cours de la ruée vers l’or du milieu du XIXe siècle, a pu organiser, en mai 2007, grâce au dynamisme de bénévoles et au soutien de conseillers municipaux, une manifestation – “Booktown for a Day” – qui a vu une cinquantaine de bouquinistes et libraires investir la ville. Devant le succès, l’événement s’est pérennisé et le Clunes Booktown Festival voit défiler à chaque édition en moyenne 20 000 bibliophiles. À noter qu’il existe également, dans le pays, une « région du livre », la Southern Highlands Booktown, située entre Sidney et Canberra, qui fédère des librairies dispersées sur un vaste territoire.
En Asie
Dans ce continent, le mouvement reste encore limité, mais l’Asie s’avère une terre riche de promesses pour l’avenir. Citons quand même Kembuchi au Japon, spécialisée dans les albums illustrés pour la jeunesse, et l’île touristique de Langkawi en Malaisie, qui a construit en 1997 un “International Book Village” composé de plusieurs bâtiments traditionnels.
Une des plus étonnantes et ambitieuses réalisations asiatiques dans le domaine se trouve en Corée du Sud. Si elle n’est pas à proprement parler un village du livre, puisqu’elle est implantée dans une ville de plus de 400 000 habitants, la cité du livre de Paju, placée sous la direction du ministère de la Culture, présente la particularité de réunir, dans un seul lieu, l’ensemble de l’industrie du livre, depuis la conception jusqu’à la publication et à la vente. Fondé en 1989, ce vaste complexe abrite près de 250 éditeurs et imprimeurs, ainsi que des librairies, des cafés et des galeries, le tout employant plusieurs milliers de personnes. Très fréquenté toute l’année, ce véritable temple du livre accueille plusieurs festivals, dont deux de portée internationale. La plupart des éditeurs coréens ont désormais ouvert une antenne dans ce lieu atypique.
Et en Afrique
Nous terminons notre tour du monde avec le seul village du livre recensé sur le continent africain, celui de Richmond. Cette bourgade du Karoo, située à mi-chemin entre Le Cap et Johannesburg, doit sa nouvelle vocation à l’action d’un vétérinaire canadien tombé amoureux du lieu, et d’un professeur d’afrikaans à l’université du KwaZulu-Natal. Plusieurs commerces y vendent des livres et on y organise, depuis 2007, le Bookbedonnerd, un festival littéraire. Cet événement, qui a fini par acquérir une certaine renommée, a pris plus d’importance en 2020, depuis qu’il a été couplé avec le Madibaland World Litteracy Festival, créé en partenariat avec l’University of the Western Cape.
Une association mondiale ?
L’idée de créer un véritable réseau international regroupant l’ensemble des villages et cités du livre du monde entier a bien sûr été envisagée. Comme nous l’avons vu précédemment, la France s’est organisée nationalement avec la Fédération des villages et cités du livre, qui permet à ses adhérents d’éditer une documentation touristique commune et d’être présents dans des salons. Désireux d’échanger avec leurs confrères, d’autres libraires européens ont lancé des invitations. C’est ainsi qu’en 1998 Bredevoort a organisé un festival international des villes du livre, avec des participants venus, entre autres, de Hay-on-Wye, Redu et Fjaerland. En parallèle, un projet bénéficiant d’un financement européen a été lancé, impliquant un institut de recherche norvégien, un département universitaire écossais et les libraires de cinq villages. Les efforts consentis ont fini par payer et en avril 2001 l’International Organisation of Booktowns, qui a pour but de favoriser les échanges, l’entraide et la coopération, a mis sur pied un International Book Town Festival, qui se tient tous les deux ans dans un village différent. Aux dernières nouvelles, cette association regroupe une quatorzaine de communes, dont Wigtown, Clunes, Sedbergh, Montereggio, Wünsdorf, Featherston et Saint-Pierre-de-Clages.
Le label « Village du livre » s’est imposé en quelques décennies comme un titre convoité et les candidats ne manquent pas. Malgré des abandons, comme ceux de Damellington en Écosse et de Blaenavon au pays de Galles, et des projets avortés ou en sommeil, il a été possible d’assister ces dernières années à de nouvelles éclosions, avec l’arrivée dans le sérail de cités comme Chelopek en Bulgarie, Pazin en Croatie, Torup et Ingstrup au Danemark, Graiguenamanagh et Granard en Irlande, Montblanc, Cervera et Pobla de Segur en Espagne. Malgré cet engouement le succès n’est jamais garanti d’emblée car le marché du livre s’est rétracté du fait du développement de la vente en ligne et de la lecture sur e-book, phénomène accentué récemment par la crise sanitaire. Les libraires et les bouquinistes, sont souvent contraints d’équilibrer leurs revenus avec une activité annexe à leur métier, par exemple en proposant des chambres d’hôte, un café, une galerie d’art, des antiquités, des produits locaux, de l’artisanat, etc.
Beaucoup de magasins ne survivent pas au-delà de quelques années, comme à Montolieu où, en vingt ans, 66 bouquinistes se sont succédé, tandis que d’autres se contentent d’être saisonniers. Pour le bibliophile, une visite hors saison ou en début de semaine peut parfois s’avérer décevante tant l’activité reste concentrée sur le week-end. Dans certains endroits, les activités “annexes” ont parfois pris le pas sur le livre lui-même et il semble difficile désormais d’éviter une diversification, qui menace de mettre à mal la vocation première du label « Village du livre ». Pour autant, ne boudons pas notre plaisir devant le chemin accompli depuis l’ouverture du premier “bookshop” de Richard BOOTH dans son petit village gallois. Nous ne pouvons que remercier ce visionnaire d’avoir initié une nouvelle forme de tourisme qui associe livres, culture et développement local.
Enfin, pour finir, rappelons que si nous n’avons évoqué ici que de petites localités, de nombreuses grandes villes et métropoles possèdent un ou plusieurs quartiers dans lesquels se concentrent les vendeurs de livres neufs et/ou d’occasion ; c’est le cas de Calcutta, Paris ou Tokyo. Par ailleurs, chaque année depuis 2011, l’Unesco désigne une “capitale du livre”, qui “s’engage à promouvoir les livres et la lecture en mettant en œuvre des activités tout au long de l’année”. Tbilissi, Wroclaw, Bogota, Buenos Aires, Beyrouth, Conakry, ou encore Bangkok, Sharjah et Anvers ont ainsi été choisies tour à tour ; la dernière en date étant Guadalajara au Mexique.
Dans notre prochain billet, nous présenterons le cas particulier de trois localités, fort éloignées l’une de l’autre, qui sont devenues des “villages-bibliothèques“.