Hay-on-Wye, l’exemple inspirant
La transformation de Hay-on-Wye en “book town“, objet de notre premier billet, s’est avérée un incontestable succès, en permettant à la bourgade de sortir de son assoupissement et en lui donnant un nouveau dynamisme. Cet exemple d’un développement adapté à la ruralité ne pouvait qu’être inspirant pour d’autres villages en plein déclin aussi bien démographique, qu’économique et culturel. Dès lors, plusieurs localités vont s’inspirer du prototype gallois pour tenter de sortir de leur torpeur. Nous vous proposons de partir à la découverte de quelques-uns de ces villages du livre, dispersés sur les cinq continents, en nous attardant d’abord sur le continent européen qui reste la terre d’élection du modèle.
Nous débuterons notre voyage par Redu, une paisible bourgade ardennaise, située dans la province belge du Luxembourg. Cette ville, qui s’est lancée dans l’aventure en 1984 lors du week-end de Pâques, en inaugurant un marché du livre d’occasion, est chronologiquement le deuxième village du livre après Hay-on-Wye, avec lequel elle sera d’ailleurs jumelée. L’événement mobilisera l’ensemble de la population locale, qui mettra à disposition granges et maisons pour héberger les étals de livres. Aidée par une promotion efficace, l’opération s’avère un grand succès, drainant plus de 15 000 visiteurs dans une bourgade comptant moins de 400 âmes. À la suite de la manifestation initiale, des bouquinistes viennent s’y installer, suivis par des artisans. Aujourd’hui, le village compte entre 15 et 20 librairies permanentes ainsi qu’un fabricant de papier, un calligraphe et un atelier de reliure. La Fête du livre de Redu, devenue annuelle, continue d’attirer aussi bien des libraires “nomades” que des bibliophiles et des curieux. À cette occasion, les librairies sont ouvertes jusqu’à minuit, l’événement étant accompagné de spectacles, de démonstrations artisanales et d’un feu d’artifice. Le premier samedi d’août donne lieu à une autre festivité nocturne : la Nuit du livre
Redu, qui attire en moyenne 200 000 personnes par an, abrite environ une quarantaine de commerces divers et deux musées, le Mudia, ou “Musée didactique d’art“, et un musée des imprimés. Bref, le livre a contribué à donner un nouvel élan à cette commune en lui permettant de diversifier ses activités. Précisons que le plat pays abrite également un second village, ou plutôt une petite ville du livre située en Flandres, celle de Damme. Cette localité, qui s’enorgueillit d’une histoire prestigieuse comme avant-port de Bruges, abrite depuis 1997 sept librairies et surtout un grand marché aux livres, qui se tient le second dimanche de chaque mois.
Les villages français du livre
Passons maintenant en France, où la formule a séduit bon nombre de localités, la greffe ayant particulièrement bien pris dans un pays qui compte actuellement neuf villages du livre regroupés dans la Fédération des villes, cités et villages du livre en France, une association créée en 2012.
Le plus ancien d’entre eux se trouve être la petite cité bretonne de Bécherel, placée à mi-chemin entre Rennes et Dinan. Dotée d’un joli site naturel et d’un beau patrimoine architectural, la localité avait déjà été labellisée “petite cité de caractère” dès 1978, mais malgré ses attraits elle souffrait d’une désaffection de ses commerces et d’une lente diminution de sa population. Pour contrer cette dégradation, une association est créée en 1985 par un groupe de volontaires déterminés à sauver leur commune. Baptisée Savenn Douar – en breton, “le tremplin”-, ce collectif entend “créer une dynamique culturelle et économique dans le monde rural” et pour y parvenir développer le concept d’entreprise culturelle pour créer une activité professionnelle, économiquement viable, ayant pour fondement la culture” ; l’idée étant de proposer aux anciens et nouveaux habitants de pouvoir “vivre et travailler au pays”. Les premières initiatives, plutôt axées vers la promotion de la culture bretonne, resteront de portée limitée. Le déclic aura lieu à l’automne 1988 lors de la visite à Redu d’une délégation d’habitants de Bécherel, au cours de laquelle ils rencontreront les initiateurs de l’implantation d’un village du livre en terre wallonne.
Au cours du week-end de Pâques de 1989, se déroule à Bécherel la première foire du livre, qui se traduit par une réussite complète encourageant les organisateurs à poursuivre leurs efforts. Dès lors, le mouvement est lancé et, comme à Redu, une fête annuelle du livre se double, depuis 1995, d’une Nuit du livre ; mais le plus important est l’implantation d’une série de librairies et de bouquinistes. Devenue une destination touristique, Bécherel reçoit désormais un nombre croissant de visiteurs, incitant d’autres commerçants et artisans – relieurs, calligraphes, enlumineurs, artistes, etc. – à s’y implanter. Ci-dessous, un reportage de 2018 nous présente le village breton.
En quelques années, Bécherel s’est métamorphosée en une véritable cité du livre riche d’une douzaine de librairies permanentes. Même si son activité reste concentrée sur la fin de semaine, cette nouvelle activité l’a redynamisée et lui a conféré, comme pionnière en France, une bonne célébrité.
Faisons maintenant un grand bond vers le sud de l’hexagone, plus précisément dans le bourg audois de Montolieu, à une quinzaine de kilomètres au nord de Carcassonne. Cette belle cité est devenue un des plus grands et des plus dynamiques villages français du livre. À l’origine de cette aventure se trouve la passion d’un homme, Michel BRAIBANT. D’origine belge, ce relieur s’est fixé en Occitanie dans une région découverte à l’occasion d’un tour de France. Installé à Saissac, avec pignon sur rue à Carcassonne, l’homme est habité par l’idée d’assurer la transmission des métiers du livre et des méthodes de fabrication artisanales. C’est ainsi qu’il conçoit un projet : créer un “conservatoire des métiers du livre et de l’histoire de l’écriture”. Une fois à la retraite, BRAIBANT se lance corps et âme dans la concrétisation de son rêve, d’autant que les exemples de Redu et Bécherel démontrent à l’envi qu’une telle initiative peut permettre d’enclencher un processus vertueux et viable de développement économique et culturel local.
BRAIBANT choisit de concrétiser son projet dans une commune voisine de la sienne, celle de Montolieu. En plus du charme offert par son site naturel et ses ruelles, cette localité dispose, au bord de la rivière, d’un grand bâtiment désaffecté qui, après avoir hébergé par le passé une manufacture royale puis une usine de draps de laine, peut être aisément reconvertie pour accueillir de nouvelles activités. BRAIBANT reçoit un bon accueil de la part de plusieurs montolivains, lesquels, mobilisés d’emblée, créent l’association MVLMV, acronyme de Montolieu village du livre et métiers du livre. Cette dernière rallie les villageois et finalement, après quelques réticences, les élus. Grâce aux dons et à la collection personnelle de l’ancien relieur, un musée est ouvert en 1991. Son initiateur décède la même année, mais le village, poursuivant sa mue rapide, voit les libraires venir s’y installer avec, à leur suite, artistes, commerçants, créateurs et artisans. De nos jours, Montolieu compte une quinzaine de librairies.
Signalons que la cité, outre sa proximité avec Carcassonne, éminent pôle touristique de la région, dispose d’un autre atout : la présence, à quelques kilomètres vers le nord, du moulin à papier de Brousses.
Ces deux belles réussites françaises inciteront d’autres localités à relever le défi. C’est ainsi que plusieurs villages du livre font leur apparition aux quatre coins du pays : Fontenoy-la-Joûte en Lorraine, Cuisery et La Charité-sur-Loire en Bourgogne, Montmorillon, “cité de l’écrit”, près de Poitiers, Esquelbecq dans le Nord, Ambierle, entre Vichy et Roanne, et enfin le petit dernier, Sablons qui, depuis 2017, s’enorgueillit d’héberger la “plus grande bouquinerie de France” riche de près de 7 millions de titres logés dans le bâtiment d’une ancienne minoterie.
Et ailleurs en Europe…
Si notre pays peut se réjouir de la relative densité de son réseau, le reste de l’Europe propose également un éventail, disparate il est vrai, de cités et villages du livre. De Bredevoort aux Pays-Bas (ci-dessous à gauche) à Tvedestrand et Fjærland (ci-dessous au milieu) en Norvège, de Saint-Pierre-de-Clages en Suisse à Bellpratt en Catalogne, en passant par Sysmä en Finlande, Monterregio en Italie et Mühlbeck-Friedersdorf en Allemagne (ci-dessous à droite), ce ne sont pas moins d’une trentaine de ces « book towns » qui ont essaimé sur le continent.
Attardons-nous brièvement sur deux d’entre elles. La première est Urueña (ci-dessous, photos de M. Herlédan), surnommée la “Villa del libro“. Distant d’une cinquantaine de kilomètres de Valladolid, ce beau mais petit village de moins de deux cents habitants voit, en 1992, un libraire de Madrid y ouvrir une boutique spécialisée dans l’ethnographie, les traditions populaires et la nature. Son pari qui, au départ, paraissait hasardeux, se révèle payant après des débuts difficiles. La curiosité aidant, la librairie et le village gagnent en notoriété et finissent par attirer d’autres volontaires. En 2007, Urueña devient officiellement un “village du livre”. Aujourd’hui le bourg, qui accueille, outre ses quatre musées, 12 magasins de livres neufs et d’occasion et un espace culturel, organise régulièrement des manifestations autour du livre, l’art et la lecture.
Remontons ensuite en Écosse, plus précisément à Wigtown. Très éprouvée par la fermeture de la distillerie et la crémerie industrielle locales, le village était à la recherche d’un second souffle. Quelques libraires étaient déjà implantés dans le bourg lorsqu’un concours est organisé pour désigner la première cité du livre “officielle” d’Écosse. Saisissant leur chance, les habitants se mobilisent et l’emportent face à cinq autres villes finalistes en 1998. Cette victoire leur assure le soutien de mécènes et de nombreuses institutions, dont le Scottish Tourist Board. Dès l’année suivante, Wigtown est en mesure d’organiser son festival du livre qui, prenant rapidement de l’ampleur, est désormais devenu outre-Manche, à l’instar de celui organisé par sa consœur galloise, un rendez-vous incontournable de la vie littéraire écossaise. Aujourd’hui la cité, qui compte une quinzaine de librairies et une imprimerie, a acquis une solide célébrité amplifiée par les livres de Shaun BYTHELL.
Dans notre prochain billet, nous quitterons le “Vieux Continent” pour explorer les villages du livre qui ont trouvé à s’installer dans les autres parties du monde.