Le mystère des Étrusques
Malgré les avancées réalisées par l’archéologie, science désormais assistée avec efficacité par les nouvelles technologies, l’histoire de l’humanité conserve de vastes zones d’ombre. De très nombreuses civilisations et d’innombrables peuples ont souvent disparu sans laisser de vestiges notables. L’invention de l’écriture a été un moyen essentiel pour décrire les us et coutumes de cette humanité disparue, et en conserver la mémoire. C’est grâce à l’écriture que nos ancêtres ont pu enregistrer les composantes de leur culture matérielle, leur univers mental, leur organisation sociale, économique et religieuse. Ainsi s’est perpétué jusqu’à nos jours le souvenir des civilisations passées, bien après leur disparition effective. Mais la fixation par écrit ne garantit pas pour autant la survie du support, qu’il soit en argile, en papyrus, en pierre, en papier ou en parchemin, car il reste soumis aux aléas de l’histoire. Certaines civilisations brillantes, et pourtant dotées d’un système d’écriture, ont laissé d’importants vestiges témoignant d’un haut degré de développement, sans pour autant avoir pu sauvegarder la plus grande partie de leur littérature.
Ce cas de figure correspond à un peuple de l’Antiquité, aujourd’hui encore nimbé de mystère : les Étrusques. L’origine de cette population a alimenté de nombreuses spéculations depuis HÉRODOTE. Était-elle composée d’autochtones, venait-elle d’Asie Mineure, ou était-elle issue de la fusion, sur une longue période, « d’indigènes et d’immigrants » ? Toujours est-il que cette civilisation singulière, à la fois hellénisée et orientalisante par bien des aspects, tout en étant dotée de caractéristiques propres, a occupé à son apogée un vaste territoire de la péninsule italienne, incluant la Toscane et l’Ombrie actuelles.
Les Étrusques utilisaient un alphabet adapté à partir du grec pour transcrire leurs textes, qui demeurent indéchiffrables, et leur langue nous est aujourd’hui encore largement inconnue. Même s’il est possible, par déduction, de deviner le sens général de beaucoup d’inscriptions lisibles, un grand nombre de termes échappent encore à la compréhension des archéologues.
Longtemps rivales de Rome, les cités étrusques ont fini par être dominées et peu à peu assimilées à la civilisation romaine. Bien que “vaincue”, la civilisation étrusque, qui a donné par le passé trois rois à Rome, conservera longtemps son prestige. Au Ier siècle de notre ère, l’empereur CLAUDE, qui avait épousé en premières noces une descendante d’une grande famille étrusque, aurait, selon la tradition, rédigé en grec une histoire des Étrusques, et entamé l’ébauche d’un lexique de leur langue. Mais à cette époque, cette dernière était en déclin et, avec elle, l’usage de son alphabet spécifique. Le phénomène le plus spectaculaire est la disparition des ouvrages et des écrits de cette civilisation évoluée dont nous savons, par des allusions d’auteurs latins et grecs, qu’elle disposait d’une littérature riche et variée.
Pourtant, malgré leur effacement progressif en tant qu’ethnie, les Étrusques vont marquer en profondeur la société romaine, aussi bien dans ses mœurs que dans l’art militaire, la médecine et l’architecture. Mais c’est surtout dans les pratiques et les croyances religieuses que cette influence sera la plus profonde et la plus durable. Pour les Étrusques, comme plus tard pour les Latins, le monde des dieux se reflète à chaque instant dans le monde des humains. L’action et la volonté de chaque divinité peuvent être révélées à l’homme par le biais d’interprètes : les haruspices (ci-dessous deux d’entre eux en pleine action, représentés dans une fresque conservée dans un tombeau), qui sont seuls capables de déchiffrer les signes et les manifestations terrestres des dieux dissimulés derrière des phénomènes d’apparence naturelle ou anodine, comme le vol des oiseaux ou le dessin des éclairs dans le ciel.
L’hépatoscopie
Le moyen privilégié par les devins était l’hépatoscopie, technique déjà pratiquée par les Mésopotamiens, les Phéniciens et les Grecs, c’est-à-dire la « lecture » de viscères d’animaux (ci-dessous à gauche), essentiellement le foie, censée éclairer les hommes sur leur destin et guider leurs actions. La forme, la présence de nodules, les anomalies de cet organe, devaient aider l’haruspice à deviner la volonté divine. Les archéologues ont retrouvé plusieurs reproductions stylisées de foie, qui ont vraisemblablement servi de guides ou d’aide-mémoire. La plus célèbre de ces figures, représentée ci-dessous à droite, est un foie de mouton en bronze retrouvé dans la ville de Piacenza. Une quarantaine de cases sont gravées sur une de ses faces, et dans chacune d’elles figurent un ou plusieurs noms de divinités. Les 16 cases de la bordure, chacune occupée par une seule divinité, correspondent au ciel étrusque divisé en 16 régions, les régions orientales étant réputées favorables, les occidentales défavorables.
L’Etrusca disciplina
Assimilée par les Romains, cette science divinatoire sera désormais désignée sous le terme d’Etrusca disciplina. Considérée comme un véritable système scientifique, elle s’appuie sur un corpus de textes, qui peut être considéré comme une véritable encyclopédie du sacré : les Libri fulgurales, les Haruspicini et les Libri rituales. Une des particularités de ces livres réside dans le fait qu’ils sont “révélés”, c’est-à-dire qu’il s’agirait de textes transmis par les dieux. C’est ainsi que les livres sacrés auraient été dictés aux hommes par TAGÈS, personnage d’essence divine qui, selon la légende, aurait surgi d’un sillon creusé par une charrue dans la région de Tarquinia, et aurait par la suite enseigné l’art de la divination aux hommes, ce qui fait de lui l’ancêtre de tous les augures. Plus tard, c’est la sybille VEGOIA qui aurait complété ce premier corpus.
Ces livres sont aujourd’hui portés disparus, mais leur contenu nous est en grande partie connu grâce à des allusions et à des citations rapportées par des auteurs grecs et latins, les devins étrusques ayant continué très tard à officier dans le monde romain. Grâce, entre autres, à CICÉRON, DENYS d’Halicarnasse, TITE-LIVE, PLINE l’Ancien, OVIDE, SÉNÈQUE, VARRON, AMMIEN MARCELLIN, VALERIUS MAXIMUS ou TACITE, les croyances et les pratiques divinatoires contenues dans les livres perdus ont été conservées et sont parvenues jusqu’à nous.
La divination étant intimement mêlée à la vie quotidienne des Étrusques, ces livres, et plus particulièrement les Libri rituales, ouvrages eux-mêmes constitués de différentes parties, nous donnent de précieuses indications sur la vie matrimoniale, le cadastre, les techniques hydrauliques, la guerre et la paix, l’urbanisme ou encore l’organisation politique des cités. Même si les livres de l’Etrusca disciplina, véritables « livres fantômes », étaient avant tout des livres à vocation religieuse, ils permettent aux savants d’aujourd’hui de reconstituer cette civilisation disparue.
Si vous pratiquez la langue de DANTE, vous pouvez visionner la vidéo suivante, très bien documentée mais commentée en italien.