L’expédition de Magellan
Le 6 septembre 1522, une caraque très endommagée, la Victoria, se présente à l’entrée du port de Sanlucar, situé à l’embouchure du Guadalquivir en Andalousie. Le navire abrite un équipage de dix-huit personnes, toutes dans un état physique très dégradé. Pourtant, ces marins dépenaillés, menés par le Basque Juan Sebastian ELCANO, ont réalisé un exploit extraordinaire : effectuer la première circumnavigation du globe ! Ils sont parvenus à boucler le premier tour du monde en bateau, apportant la preuve définitive de la rotondité de la Terre et de l’existence d’un passage maritime au sud du continent américain (ci-dessous, l’itinéraire emprunté).
Cette expédition doit tout à un homme, Fernão de MAGALHAES, plus connu sous le nom de MAGELLAN. Marin et soldat lors des conquêtes portugaises en Afrique et en Asie, il est persuadé de l’existence d’une autre route pour atteindre les fameuses îles des épices tant convoitées. Selon lui, il suffirait de contourner l’Amérique par le sud pour arriver rapidement au cœur de « la mer du Sud » et atteindre ainsi l’Asie et ses richesses. Face au refus obstiné du souverain portugais, il passe au service de l’Espagne, réussissant à rallier à son projet le roi, qui lui confie le commandement d’une flotte de cinq navires.
Partie de Sanlucar le 20 septembre 1519, l’expédition, qui compte plus de 250 hommes, rencontre dès le départ bien des difficultés, le fameux passage étant situé beaucoup plus au sud qu’escompté. Au terme de plus d’un an de voyage, le détroit tant désiré, qui prendra par la suite le nom de « détroit de Magellan », est enfin découvert et franchi le 20 novembre 1520. Arrivé dans le nouvel océan aperçu pour la première fois par BALBOA en 1513, MAGELLAN, qui jusqu’alors a traversé de terribles tempêtes, le baptise océan Pacifique. Après une traversée très éprouvante marquée par la famine, la flotte, très amoindrie depuis son départ, atteint les Mariannes puis les Philippines. Sur place, le navigateur, d’un naturel très autoritaire et inflexible, se mue en évangélisateur et en colonisateur, n’hésitant pas à se mêler de conflits locaux. C’est dans ces conditions, au cours d’une attaque menée contre le roi de l’île de Mactan, que MAGELLAN trouvera la mort. Le voyage se poursuit malgré tout vers les Moluques, fameuses « îles aux épices ». ELCANO, qui a repris le commandement de l’expédition, parvient à regagner l’Espagne avec le dernier navire, en passant par le sud de l’Afrique, de sorte que, trois ans après leur départ, le tour du monde est enfin achevé.
Antonio PIGAFETTA, chroniqueur et lexicographe
Parmi les survivants de l’expédition figure un personnage atypique, auquel nous allons nous intéresser : il s’agit d’un Italien natif de Vicenza, répondant au nom d’Antonio PIGAFETTA (ci-dessous).
Cet homme sera un témoin particulièrement précieux, car c’est essentiellement grâce au journal qu’il a tenu tout au long du voyage que nous connaissons les détails de cet incroyable exploit, réalisé au prix de mille souffrances. Chevalier de l’ordre de Saint-Jean, il arrive en Espagne en 1519 en qualité de secrétaire d’un nonce apostolique. Informé sur place du projet de MAGELLAN, il tient à y participer, non dans l’espoir de s’enrichir mais poussé par le simple plaisir de voyager et de découvrir des terres inconnues.
Son récit, Premier voyage autour du monde, est publié pour la première fois en 1526 et est traduit dans plusieurs langues, mais il n’est pas le premier, étant devancé de quelques années par le texte de Maximus TRANSYLVANUS qui a pu s’entretenir avec des survivants de l’expédition. L’original a malheureusement disparu, mais nous possédons toujours quatre copies manuscrites du livre de PIGAFETTA. Son compte rendu souffre de lacunes, mais l’écrivain qui, après tout, n’avait pas pour ambition de tout consigner, se montre un observateur très attentif et souvent enthousiaste de la faune, de la flore et des habitants des contrées visitées. C’est à ce titre que notre homme, poussé par la curiosité, a consigné en ethnologue et linguiste improvisé des listes de vocabulaire des langues parlées par les “indigènes”.
Dès l’escale de deux semaines de la flotte au Brésil, à la fin de l’année 1519, PIGAFETTA commence à s’intéresser aux idiomes locaux, mais il n’en retient que neuf mots. Beaucoup plus conséquente est la collecte qu’il réalise auprès des populations rencontrées au cours de l’interminable séjour forcé de l’expédition dans la baie de San Julian, dans le sud de l’actuelle Argentine. Notre chroniqueur fait une très surprenante description des indigènes qu’il y rencontre, et qu’il baptise Patagons en raison, semble-t-il, de leurs grands pieds. Il les présente comme mesurant près de trois mètres de haut, contribuant ainsi à générer la légende, longtemps vivace, de l’existence sur ces terres d’un peuple de géants.
PIGAFETTA s’intéresse de près à ces Indiens et porte une attention particulière à leur langue. Fait bien peu glorieux, un de ces Patagons est embarqué de force et enchaîné à bord, permettant ainsi à notre linguiste amateur de l’interroger sur son langage, et d’établir une liste de près de 90 mots (ci-dessous) qui constitue certainement le premier véritable lexique écrit connu d’une langue amérindienne.
Malgré une succession d’épisodes dramatiques et la tension latente au sein d’un équipage qui doit sans cesse se tenir sur le qui-vive, PIGAFETTA poursuit son travail. C’est au cours du séjour aux Philippines, particulièrement tragique et meurtrier pour l’expédition, qu’il prend le temps de constituer un vocabulaire de plus de 160 mots de différentes langues, en particulier celle de Cebu. Il consigne ensuite dans son journal une longue liste de près de 460 mots recueillis aux Moluques, à Malacca et dans les îles voisines. Ce sont des termes de malais, langue qui est utilisée par les navigateurs et les commerçants comme lingua franca dans une grande partie de l’Asie. MAGELLAN avait autrefois acheté son serviteur HENRIQUE à Malacca. Celui-ci, qui sera en fait le premier homme à faire un tour du Globe, fait partie du voyage. Originaire de la région, il y a tout lieu de supposer que cet homme a pu aider PIGAFETTA à étoffer son vocabulaire. Ci-dessous, un extrait d’un lexique récapitulatif présenté dans une édition française de 1801
La fin d’une extraordinaire aventure
Devenu célèbre, PIGAFETTA remet en personne une version de son récit à CHARLES QUINT, avant d’être reçu dans différentes cours européennes. Nous perdons sa trace après 1524, mais on s’accorde habituellement pour situer son décès vers 1531. Son nom restera associé pour l’éternité à celui de MAGELLAN. À une époque où les participants à ces voyages de découverte sont avant tout motivés par l’appât du gain et ne reculent jamais devant le recours à la force, ce “touriste” dilettante, avant tout désireux d’observer et découvrir le monde au long d’une épopée trop souvent empreinte de brutalité, ressort comme une figure sympathique, même s’il se montre parfois crédule et naïf dans ses récits.
Si cet article vous a donné envie de mieux connaître l’expédition de MAGELLAN, nous vous invitons à vous plonger dans la biographie passionnante et très documentée du navigateur, écrite par Stefan ZWEIG et publiée pour la première fois en 1938. Ci-dessous un petit film résumant cette incroyable odyssée.