L’utilisation du dictionnaire à des fins ludiques
S’il est, la plupart du temps, conçu comme un outil pédagogique, un dictionnaire peut également être, selon les cas et la sensibilité de chacun, une source d’émerveillement et d’érudition. Mais, utilisation souvent négligée de ce type d’ouvrages, le dictionnaire peut aussi être utilisé dans un but purement ludique et récréatif quand il devient le support de jeux de société.
Le jeu du dictionnaire
Le jeu du dictionnaire proprement dit – qui existe d’ailleurs dans diverses langues sous des noms différents, tels que Fictionnary, Zavalinka, Lexikonspiel, Gioco del dizionario, etc. – ne vise pas à nourrir des prétentions littéraires ou intellectuelles, mais il permet de faire travailler ses méninges tout en s’amusant. Il contribue aussi à élargir son vocabulaire en apprenant à soigner sa rédaction sans que cet apprentissage ne soit rébarbatif ou scolaire.
À l’image du fameux “cadavre exquis“, très prisé des surréalistes, ou du jeu du baccalauréat, ce jeu très simple ne nécessite pas une longue préparation ou un matériel important. Il suffit de disposer d’un dictionnaire, de papier, de crayons – du moins dans la version “pré-numérique”, et d’un minimum de trois joueurs. À tour de rôle, un participant, en feuilletant le livre au hasard, sélectionne un mot peu usité. Après s’être assuré que personne n’en connaît le sens, le “maître de jeu” recopie la bonne définition tandis que les autres joueurs doivent en inventer une de toutes pièces, tout en s’efforçant – et toute la difficulté et la saveur de l’exercice résident là – de donner à leur création l’apparence d’une vraie définition, aussi bien dans le style que dans le contenu. Après que celui qui a la main a mélangé et lu les différents “bulletins”, les autres joueurs votent pour la définition qui leur semble être celle du dictionnaire. Des points sont ensuite attribués à chaque joueur, le but étant à la fois de trouver la bonne réponse et de faire en sorte que vos adversaires choisissent votre fausse définition.
Les variantes
Convivial, accessible à tous, imaginatif, ce jeu n’avait pas a priori besoin d’aménagements, mais des éditeurs et des fabricants, parfois autodidactes, se sont emparés de la formule “de base” pour la décliner en différents jeux de plateau ou de cartes, avec des accessoires et surtout des variantes dans les règles. C’est ainsi que, dès 1992, l’éditeur allemand Ravensburger, en sortant C’est du délire ! (ci-dessous), reprend le principe initial du jeu du dictionnaire, en soumettant aux participants des mots bizarres ou des questions farfelues, auxquels chacun doit proposer une réponse inventée qui, mélangée à celles des autres, est soumise au vote des joueurs. Ce jeu servira par la suite de trame à des versions plus sophistiquées, comme Planet Genius et Bluffer.
Dixit (ci-dessous), publié pour la première fois en 2008, en avait adapté le principe en recourant à des images. Le “conteur” tirait une carte, élaborait une phrase à partir de ce qui était représenté. Chacun lui remettait ensuite une des cartes en leur possession, qui leur semblait correspondre à la description donnée. Mélangées, les cartes illustrées étaient ensuite retournées et soumises au vote des joueurs.
Récent puisque édité en 2021, le Dictionary se présente sous la forme d’un paquet de cartes. Si le but reste toujours de rédiger une définition, les joueurs doivent la composer à partir de trois éléments : le mot lui-même, qui est cette fois imposé après avoir été pioché dans un stock de mots méconnus, une illustration et une catégorie ; autant de contraintes destinées à stimuler la créativité des joueurs.
En 2017, les éditions Robert, dont l’expertise lexicographique n’est plus à démontrer et dont l’offre éditoriale dans le domaine de la langue française est particulièrement vaste et variée, sortent un petit livre ludique et instructif intitulé Le Grand Jeu du dico (ci-dessous). L’ouvrage propose, clés en main, 100 mots “rares et improbables”, rassemblés par les écrivains Jean-Bernard POUY, Kevin KEISS et Lucas FOURNIER, assortis de 500 définitions “vraies ou fausses, sérieuses ou loufoques”. Ce jeu offre l’occasion de découvrir, entre amis ou en famille, des termes aussi “exotiques” que rhinotillexomanie, gobeloter, blézimarder, zinzolin ou encore pentheraphobie ; mots mystérieux aux sonorités intrigantes dont nous vous laissons le loisir, et le plaisir, de découvrir le sens.
De son côté et dans un autre registre, Larousse avait édité, en 1982, un jeu de lettres intitulé Dico. Présenté comme un “jeu du dictionnaire“, il est pourtant très différent de ses “homologues”, puisqu’il s’agit cette fois, à la manière du célèbre Cluedo, d’un jeu d’enquête. Grâce à des cartes permettant des actions pour obtenir des indices, chaque joueur doit deviner un mot choisi par l’adversaire ; le dictionnaire étant consulté pour aider les joueurs dans leur quête. Beaucoup plus récemment, la même maison d’édition a publié un réjouissant petit livret intitulé Auriez-vous excellé au jeu du dictionnaire Larousse ?, qui teste notre vocabulaire et notre culture générale à travers des définitions et des illustrations.
Efficaces auxiliaires pour aider à améliorer le vocabulaire des écoliers, divers jeux du dictionnaire ont également été conçus par des éditeurs spécialisés pour servir d’outils pédagogiques dans le cadre scolaire ou périscolaire. Par ailleurs, des sites en ligne ou diverses applications proposent désormais des jeux similaires destinés aux plus jeunes comme aux adultes, faisant ainsi la démonstration qu’un dictionnaire peut servir de support à des loisirs intellectuellement stimulants, qui ont le mérite d’associer de manière équilibrée activité récréative et culture générale.
Le dictionnaire à la télévision
Toujours à la recherche d’émissions de divertissement et de jeux capables de fidéliser une large audience sur des créneaux horaires porteurs, la télévision ne pouvait manquer de recycler le jeu du dictionnaire pour en faire une émission grand public. Celle qui se rapprochait le plus de la formule originale nous venait d’outre-Quiévrain sous l’appellation Le Jeu des dictionnaires. Ce programme réunissait quelques joyeux drilles dont Philippe GELUCK, Jean-Jacques JESPERS, Juan d’OULTREMONT, Jean-Luc FONCK ou Marc MOULIN. Chaque chroniqueur proposait à un invité une définition pour un mot déterminé, charge au candidat de deviner quelle était la bonne. La vocation de ce programme était avant tout humoristique. Dans une ambiance très détendue, bon enfant et même potache, la devinette posée servait de prétexte à imaginer des définitions complètement farfelues ou loufoques, donnant ainsi lieu à de véritables “sketchs”. Nous vous en proposons ci-dessous un exemple avec une émission datant de 1993.
En France, les plus anciens se souviendront peut-être encore de Francophonissime, un jeu télévisé dans lequel des invités, venus de six pays francophones, étaient soumis à diverses épreuves, comme par exemple celle consistant à retrouver des mots comportant certains groupes de lettres à partir de leurs définitions. Ci-dessous, un extrait de cette émission, qui fut diffusée entre 1969 et 1981.
Un professeur de langues, du nom de Jacques CAPELOVICI, va bientôt s’imposer comme une figure centrale de ce jeu et devenir célèbre sous le nom de “maître CAPELLO“. Ce grammairien pointilleux, verbicruciste chevronné, doté d’un subtil sens de l’humour et cultivant une mise de professeur “à l’ancienne”, littéralement agrippé à un dictionnaire, servait alors d’arbitre et livrait au passage bons mots et anecdotes sur la langue française. En 1976, il était engagé pour participer à une nouvelle émission qui, rapidement très populaire, allait rassembler un grand nombre de téléspectateurs entre 1976 et 1987 : les Jeux de vingt heures. Dans un programme de divertissement, qui réunissait également des humoristes et des chanteurs, maître CAPELLO proposait aux candidats de deviner des mots cachés ou de reconstituer des phrases. Ci-dessous, une émission enregistrée en mai 1976.
Autre vénérable “ancêtre” de la télévision française, Les Chiffres et les Lettres – émission qui a fêté cette année son cinquantième anniversaire – n’est pas à proprement parler un jeu du dictionnaire, puisque le but de ce jeu, dont l’ambiance quelque peu compassée et austère a souvent été moquée, est de réaliser des mots à partir de lettres prises au hasard ; mais des dictionnaires – le Petit Robert et le Petit Larousse – y jouent un rôle central en qualité de juges impartiaux, seuls habilités à valider les réponses.
Ce jeu a été exporté avec succès dans plusieurs pays. La version britannique – Countdown -, lancée en 1982, présente la particularité depuis 1992 de compter dans son équipe Susie DENT. Cette lexicographe, connue pour son humour et son sens de la répartie, a travaillé en parallèle pour Oxford University Press. Son rôle premier dans l’émission est de servir d’arbitre dans le domaine du vocabulaire et de la grammaire, mais elle ne manque également jamais d’émettre des commentaires étymologiques et historiques qui permettent au public de connaître l’origine peu connue de certains termes ou le sens de mots “rares”.
Un mot également sur l’une des plus anciennes émissions télévisées toujours en activité : Jeopardy!. Créé aux États-Unis, ce jeu lancé en 1964 a largement essaimé dans le monde, dont en France durant une assez brève période. Il s’agit cette fois de déduire le mot ou le nom correspondant à la définition donnée et de le restituer sous la forme d’une question ; exercice qui pourrait sembler facile a priori, mais qui au final s’avère plutôt ardu.
Nombreux sont ceux qui persistent à ne voir dans un dictionnaire qu’un austère conservatoire de la langue. Peut-être aurons-nous contribué, avec ce détour dans le monde du jeu, à démontrer que ce type d’ouvrage, défini par BARTHES comme une “machine à rêver”, pouvait également servir au divertissement de l’esprit ?