«SCIENCES », un véritable monstre encyclopédique
Face à la concurrence d’Internet et de l’édition numérique, un projet de nouvelles encyclopédies “à l’ancienne” aurait normalement dû décourager tout éditeur rationnel, surtout quand il s’agit d’aborder des sujets pointus réservés à un public restreint. C’est pourtant ce défi osé qui a été relevé par la branche francophone de la maison d’édition ISTE Group. Créée en 2005 et basée à Londres, cette entreprise s’est rapidement fait un nom dans le monde de l’édition scientifique par ses publications en anglais, en français et en espagnol. Aujourd’hui elle ambitionne, à une époque où nous croulons littéralement sous des informations de valeur inégale et souvent contradictoires, de se lancer dans une collection encyclopédique thématique.
Le pari est d’autant plus audacieux que, loin d’être un simple vadémécum ou le énième ouvrage de vulgarisation fait de “morceaux choisis” piochés ici ou là, il s’agit d’une entreprise de très grande ampleur. En effet, le but de l’équipe éditoriale consiste à réunir une collection de plus de 800 volumes, dont chacun “sera un livre de trois-cent-cinquante pages en une dizaine de chapitres, écrits chacun par un ou deux auteurs”. En comparaison, l’Encyclopédie méthodique, avec ses 200 volumes, et l’Oekonomische Encyclopädie, découpée en 242 tomes, nous sembleront bien modestes au regard de ce futur monstre encyclopédique.
Une pyramide collaborative
Pour que cette œuvre titanesque, sobrement baptisée Sciences (ci-dessous le portail dédié sur le site des éditions ISTE), soit menée à son terme, le monde universitaire et scientifique, français comme international, a été activement sollicité. La démarche a permis de réunir une équipe motivée par l’idée de participer à une entreprise d’envergure inédite, manifestement appelée à faire date. Un plan de travail rigoureux a été établi par le président du conseil scientifique, Jean-Charles POMEROL, qui décrit ainsi ʺl’organisation hiérarchique des connaissances” mise en place pour structurer l’ensemble : ” À la tête de chaque grand domaine de recherche, un responsable définit des thèmes de la science, de la technologie et des humanités, puis recrute des spécialistes de ces thèmes qui vont eux-mêmes assurer la coordination d’un ou plusieurs ouvrages, avec les auteurs les plus pointus dans ce domaine, des chercheurs et enseignants reconnus dans le monde entier, dont de nombreux Français.” Pour autant, tout est mis en œuvre pour que l’organisation pyramidale n’empêche pas l’esprit collaboratif de s’épanouir sous la forme de propositions d’articles ou d’ouvrages émanant des participants.
Bien qu’à l’origine la maison d’édition ISTE se soit cantonnée aux sciences de l’ingénieur, elle fait le choix, pour la rédaction d’un ouvrage exhaustif par essence, d’aborder tous les champs de la connaissance : science de la vie, sciences humaines, sciences fondamentales, géoscience, etc… Pour POMEROL : “L’encyclopédie souhaite répondre aux questions dans tous les champs du savoir, par exemple sur l’énergie, les océans, la biologie et l’écologie pour reprendre des problématiques très actuelles.” Il demande aux auteurs d’explorer « toutes les facettes des sciences et technologies » sans éluder ni les débats ni les controverses. Bernard REBER explique ainsi ce parti pris : “Les auteurs ne sont pas des gens qui donnent des avis, mais des avis argumentés. Lorsqu’il y a plusieurs argumentations pour défendre tel ou tel point de vue, elles seront à disposition du lecteur. Ces argumentaires seront très bien documentés sur le plan scientifique et sur le plan moral et éthique quand il y a lieu.” Par ailleurs, les contributeurs sont encouragés à présenter des raisonnements prospectifs sur l’avenir des disciplines traitées.
L’encyclopédie Sciences est scindée en 9 départements : Biologie, médecine et santé ; Chimie ; Écologie et environnement ; Information et communication ; Ingénierie et systèmes ; Mathématiques ; Physique ; Sciences humaines et sociales ; Terre et univers. Ces départements sont à leur tour subdivisés en plusieurs domaines. Par exemple, la physique comprend les sections Électronique, Nanosciences et nanotechnologies, Ondes, Physique de la matière condensée et Physique de la matière molle. Au final, ce sont 285 thèmes qui ont été retenus, mais il est prévu que le plan de l’ouvrage évolue et soit complété au fur et à mesure des parutions et des séances de travail. Par exemple, pour traiter la physique de la matière molle précédemment évoquée, 8 thèmes feront l’objet d’une publication, dont la physique des êtres vivants et des tissus, la physique des polymères et les cristaux liquides lyotropes et thermotropes. À l’heure actuelle, 727 ouvrages sont d’ores et déjà programmés, et les premiers d’entre eux, dotés d’une couverture de présentation austère (quelques exemples ci-dessous), ont paru en septembre 2020. Grâce à un rythme de publication très soutenu, la maison d’édition vise l’objectif de 150 à 200 nouveautés par an. Si le plan se réalise comme prévu, ce ne seront pas moins de 20 000 auteurs qui auront participé à l’aventure… Chiffre extraordinaire s’il en est !
Une œuvre éclectique
Les titres des ouvrages parus ou à paraître montrent la grande diversité des thématiques abordées, dont voici quelques exemples : L’Accessibilité ou la réinvention de l’école, Le Système solaire, Le Marketing dans le développement durable, Cryptographie asymétrique, Émissions de polluants à la combustion et problèmes de sécurité, Procédés de mise en forme des métaux, Méthodes statistiques et modélisation de la sismogenèse, Économie, innovation et gestion en santé, Biologie des archaea, Épistémologie des sciences cognitives et de la psychologie, etc. Bien sûr, chaque ouvrage peut se lire indépendamment, mais il s’insère dans l’arborescence des sciences telle qu’elle a été définie, dès le départ, par le comité scientifique.
La question qui se pose désormais est de savoir si cette encyclopédie va parvenir à toucher un public élargi, “curieux et éduqué”, et ne pas rester entre les mains des purs spécialistes. Gilles PIJAUDIER-CABOT, un des responsables du projet, défend l’idée que Sciences est en mesure de proposer une synthèse équilibrée, pointue mais largement accessible au-delà du monde universitaire : “Si on regarde l’édition scientifique internationale, personne ne propose cela. Soit on se tourne vers des ouvrages grand public qui ne permettent pas vraiment de comprendre les choses, soit vers des ouvrages trop techniques.” Compte tenu de l’évolution rapide des savoirs, il est également prévu que ces publications soient évolutives et bénéficient de mises à jour régulières, très certainement sous forme numérique.
Le Dicopathe souhaite tout le succès possible à cette belle initiative… Laissons le mot de la fin à Gilles PIJAUDIER-CABOT, lequel précise le sens de la démarche encyclopédique à l’époque contemporaine : “Le devoir d’une encyclopédie, c’est de faire la part des choses, de proposer une vision pluraliste. Nous ne cherchons pas à imposer notre conviction ou celle d’une école, nous ne livrons pas une vérité toute faite, mais nous apportons les bases, les raisonnements tenus par les uns et les autres avec des éléments de connaissance. Ensuite, ce sont les lecteurs qui se positionneront à partir de ces éléments scientifiques. […] Aujourd’hui, nous posons une question et nous avons l’habitude que le Net réponde immédiatement. C’est la connaissance qui vient vers nous, ce n’est jamais l’inverse. On ne prend plus le temps de feuilleter des journaux et de découvrir un sujet qui ne nous intéressait peut-être pas a priori. Revenons à un fonctionnement qui attise davantage la curiosité que le besoin, et cela produira peut-être des idées plus originales.”
Si vous souhaitez de plus amples informations sur le sujet, nous vous renvoyons vers cet article du site lejournal.cnrs.