L’un des petits plaisirs préférés du bibliophile consiste à croiser, au cours de ses recherches, des ouvrages dont il ignore l’existence et qui lui ouvrent des portes vers des sujets a priori bien éloignés de ses sujets de prédilection. C’est ainsi que notre collection éclectique de dictionnaires nous a conduits à aborder des thèmes aussi divers que le droit forestier, la couture, la céramique, les luthiers, la langue amharique, la démonologie ou l’épicerie, domaines qui nous étaient totalement étrangers et dans lesquels nous nous sommes plongés, parfois contre toute attente, avec un certain agrément. Mais, au-delà de ces rencontres inattendues, c’est la découverte de certains livres nimbés de mystère que nous avons le plus de satisfaction à découvrir et à vous faire partager.
Fidèles à notre mission qui consiste à nourrir la curiosité naturelle de nos fidèles lecteurs, nous allons vous présenter ici trois manuscrits datés de 1443, 1459 et 1467, respectivement conservés à Thüringen, Copenhague et Munich. Désignés sous le titre général de Fechtbücher, ces livres, rédigés de la main d’Hans TALHOFFER (ci-dessous), traitent d’un sujet commun : les armes et les combats. Originaire de Souabe, ce maître d’armes, héritier de l’école de Johannes LIECHTENAUER, semble avoir joui en son temps d’une certaine célébrité. Si les détails de sa vie nous sont inconnus, nous savons qu’il aurait vécu entre 1420 et 1490, ce qui en fait le contemporain, et sans doute le rival, de Paulus KAL. Son style, la qualité de son écriture, les références nombreuses à l’astrologie, aux mathématiques et à l’onomastique témoignent du fait qu’il a bénéficié d’un haut niveau d’instruction.
Ces trois ouvrages, complétés par un manuscrit non daté conservé dans une collection privée à Königseggwald, constituent au final une véritable encyclopédie des arts martiaux au XVe siècle. On y trouve aussi bien des combats à l’épée, à la dague, à la lance, à la hallebarde, à la massue, au bâton, au fléau, au bouclier, à la masse d’armes, qu’à mains nues ou à cheval, le tout avec ou sans armure. Le maniement de l’arbalète, arme longtemps considérée comme méprisable et déloyale, n’est pas oublié. Ces manuscrits sont très richement illustrés par des dessins précis et soignés, soit plus de 550 au total ; les ouvrages de 1459 et 1467, les plus connus et les plus souvent cités, sont ceux qui possèdent l’iconographie la plus élaborée.
À la lecture de ces manuscrits nous pouvons constater que nous sommes très éloignés des joutes codifiées et “sportives” telles que pratiquées dans les tournois ou les entraînements de chevaliers. Le but recherché consiste ici à annihiler l’adversaire et à le faire passer de vie à trépas. Tant pis si les moyens utilisés et la méthode adoptée manquent d’élégance, seul le résultat compte !
Hans TALHOFFER s’attarde longuement sur les duels judiciaires, en recul dans certains pays dont la France, mais encore très courants en Allemagne. Afin, sans jeu de mots, de trancher un différend ou de réfuter une accusation grave, deux parties peuvent s’affronter les armes à la main dans un combat placé sous la juridiction directe de Dieu, de telle sorte que le vainqueur du duel peut, au terme de l’affrontement, revendiquer son bon droit. L’illustration ci-dessous laisse penser que la justice a triomphé au cours de l’ordalie puisque le vainqueur remercie Dieu tandis qu’un petit démon s’échappe de la bouche du perdant. Les combats ne se soldaient pas toujours par une mise à mort, mais il est certain que le décès de l’adversaire était le moyen le plus sûr de mettre un terme à toute procédure.
Ces duels judiciaires, qui se déroulent le plus souvent dans un espace délimité par des clôtures, bien visibles ici, prennent des formes variées. C’est ainsi que l’utilisation du bouclier de duel, doté de pointes et réservé à ce type de combat, fait l’objet de longs développements.
Les illustrations ci-dessous nous décrivent des pratiques très éloignées de l’escrime académique ou de la lutte traditionnelle. L’épée, lourde, longue et dont la maîtrise nécessite un long entraînement, est souvent tenue par la lame et utilisée comme une massue. Signalons au passage le “coup du chapeau”, pratiqué avec un couvre-chef utilisé comme arme de jet, technique qui n’est pas sans rappeler celle d’un “méchant” dans un certain film de James Bond !
Ces techniques médiévales d’autodéfense évoquent par moments le krav-marga ou le kung-fu, avec les mêmes gestes rapides, efficaces et destructeurs destinés à neutraliser l’adversaire, quitte à viser les “parties sensibles” (ci-dessous à droite).
Certaines illustrations peuvent paraître a priori insolites, en particulier celles décrivant des combats entre une femme et un homme. Ce dernier est en effet représenté enfoncé dans le sol jusqu’au bassin pour, semble-t-il, “équilibrer” la joute et pallier la différence de force physique entre les protagonistes.
Source documentaire inestimable, le contenu des manuscrits de TALHOFFER n’est pas toujours corroboré par des témoignages et, pour certaines pratiques, nous pouvons légitimement nous interroger pour savoir si elles ne sont pas le fruit de la seule imagination de l’auteur.
Les interrogations les plus fortes portent sur le Manuscrit de Copenhague intitulé Alte armatur et ringskunst. En plus des techniques de combat, TALHOFFER y décrit également des armes et de curieuses machines dont nous vous présentons ci-dessous un échantillon. À noter en particulier les curieuses “cloches” servant à protéger les soldats à l’approche des remparts (à gauche).
Une partie du manuscrit est consacrée à un scaphandre (à gauche), sans que nous y trouvions une indication sur son mode d’approvisionnement en oxygène. Très antérieur au célèbre projet de Léonard DE VINCI, le dessin de TALHOFFER n’est pas le premier à représenter cet équipement amphibie, car un texte relatant les guerres hussites y faisait déjà référence. Respirer et évoluer sous l’eau semble avoir été une préoccupation de l’auteur, comme le démontre la présence dans le manuscrit d’un tuba géant ressemblant à une cornemuse (à droite).
Certaines des machines de guerre décrites sont directement inspirées du Bellifortis de Konrad KYESER, mais d’autres engins, encore beaucoup plus insolites, laissent aujourd’hui les chercheurs perplexes, comme cet ancêtre du char d’assaut (ci-dessous à gauche), au moyen de propulsion inconnu, doté de lames mobiles sur les côtés, d’un habitacle recouvert de plaques et pourvu de lances et de couleuvrines. L’arme la plus étonnante est également montée sur roues. Équipée de grandes faux et de longues pointes, son aspect lui a valu le surnom d’“écrevisse” (ci-dessous à droite) ; cette machine est censée lancer des projectiles que certains supposent être des charges explosives assimilables à des schrapnels.
Si vous êtes désireux de creuser le sujet, nous vous invitons à vous référer à cet article du blog savoirsdhistoire.
Le documentaire ci-dessous, focalisé sur le traité de 1459, fait appel à des spécialistes pour reconstituer et expliquer les techniques de combat et les machines décrites par TALHOFFER.
Magnifique ! un grand merci à vous pour ces surprises constamment renouvelées – et vive le livre !!!!
Très belle a acquisition, BRAVO
Pierre28
de Dico-collection.com