L’incroyable diversité du vivant
Combien existe-t-il d’espèces sur Terre ? Depuis l’Antiquité, l’humanité tente de répondre à cette question. Au fil du temps, ce que l’on appelait autrefois l’histoire naturelle s’est scindée en plusieurs branches scientifiques consacrées à l’étude du vivant, telles la botanique, la zoologie ou l’anthropologie. Doté d’un système de nomenclature universelle qui lui permet de classifier les espèces, le monde scientifique recourt désormais aux nouvelles technologies pour tenter de réaliser un inventaire exhaustif des différentes formes de vie sur notre planète, tâche titanesque tant la vie y est foisonnante et protéiforme. À son modeste niveau, l’humanité doit faire preuve d’humilité si on pense qu’elle ne représente que 0,01% de la biomasse globale terrestre actuelle. Autre chiffre qui donne à réfléchir : 86% du vivant est concentré sur la seule surface des terres émergées.
Depuis plusieurs siècles, les recensements d’espèces, qu’ils résultent d’initiatives personnelles ou de véritables campagnes scientifiques, ont permis d’élargir très considérablement le champ du connu, mais il reste à regrouper toutes les découvertes afin de les rassembler dans un catalogue mondial susceptible de proposer, au grand public comme aux chercheurs, le répertoire le plus complet du vivant. C’est cet objectif, ambitieux pour ne pas dire utopique, que poursuit le projet de l’Encyclopedia of Life, connu sous l’acronyme OEL.
L’Encyclopedia of Life, une œuvre ambitieuse
Nécessitant d’importantes ressources financières et une plate-forme performante, le projet tardera à se concrétiser. Dans un premier temps, en 2006, des tentatives isolées aboutissent à la création d’une ébauche de banque de données. Puis, grâce à l’engagement sans faille de personnalités reconnues, comme le professeur Edward Owen WILSON, et aux efforts conjoints de l’université de Harvard, du Smithsonian Institute, de l’université de Copenhague, de la nouvelle bibliothèque d’Alexandrie et du musée d’Histoire naturelle de Londres, le futur lancement de la Web-Encyclopédie est annoncé en mai 2007. Pour ses concepteurs, la tâche s’avère ardue mais l’objectif poursuivi est particulièrement stimulant : “Notre connaissance des nombreuses formes de vie sur Terre – des animaux, des plantes, des champignons, des protistes et des bactéries – est dispersée dans le monde entier dans des livres, des revues, des bases de données, des sites Web, des collections de spécimens et dans l’esprit des gens du monde entier. Imaginez ce que cela signifierait si ces informations pouvaient être rassemblées et mises à la disposition de tous – n’importe où –, à tout moment. Ce rêve devient réalité grâce à l’Encyclopédie de la Vie.”
Avant toute chose, il s’agit de trouver 110 millions de dollars pour financer la première partie d’un considérable travail d’archivage sur les animaux et les plantes ; le recensement des champignons et des microbes étant reporté à une campagne ultérieure. James EDWARD, directeur du projet, rappelle en ces termes la mission première de la future OEL : “L’Encyclopédie de la Vie va permettre de rendre accessible à tous de l’information solide sur la biodiversité terrestre, n’importe où, n’importe quand, d’aider la recherche taxonomique à fournir à tous des informations au niveau des espèces, et de tisser ensemble les nombreuses initiatives et programmes excellents sur la biodiversité.”
Le milieu scientifique et universitaire du monde entier répond massivement à l’appel et ils seront finalement 176 contributeurs à alimenter une base de données qui ne tardera pas à s’étoffer. Le 26 février 2008, la première version de l’Encyclopedia of Life, riche de 30 000 entrées, est mise en ligne (ci-dessous une présentation vidéo).
Un an et demi plus tard, les 170 000 entrées sont atteintes et, lorsque la deuxième version du portail est lancée en septembre 2011, on en est à 700 000. Enfin, en novembre 2018, la troisième mouture (ci-dessous, la page d’accueil) propose des fonctionnalités avancées destinées à faciliter et accélérer l’utilisation du moteur de recherche. À ce jour, l’encyclopédie numérique dispose de données sur “1 999 030 espèces et taxons supérieurs”.
Une arche de Noé virtuelle
Cette encyclopédie est le résultat d’un projet participatif dont le fonctionnement collaboratif est inspiré de celui de Wikipédia. Il repose sur un réseau comprenant des centres de documentation, des écoles, des institutions publiques ou privées, mais il se trouve associé aussi à d’autres projets de bio-informatique comme Biodiversity Heritage Library (BHL), Barcode of Life et Catalogue of Life. Ce vaste travail collaboratif alimente la base de données en informations fiables et l’enrichit de vidéos, de cartes, de photographies et d’archives sonores.
Des articles, parfois même des ouvrages complets, une fois numérisés, peuvent également être intégrés à l’encyclopédie, sous réserve d’être libres de droits. Une organisation très stricte encadre les ajouts et les corrections pour garantir la cohérence de l’ensemble et la fiabilité des informations. Ainsi, la charte du site impose que “les scientifiques et autres observateurs génèrent des données, des photos, des vidéos et du texte descriptif. Des bio-informaticiens et techniciens, professionnels et bénévoles, numérisent et organisent ces informations. Les éditeurs et les plateformes de partage de données prennent en charge le partage des informations via des licences explicites et des services de données. Les intégrateurs, comme EOL, reçoivent des informations de nombreuses sources, les formatent et les annotent afin que les outils de recherche puissent trouver un contenu similaire provenant de différentes sources”.
Chaque fiche propose la description générale d’un spécimen observé ou collecté, assortie des articles en ligne qui s’y rapportent, de cartes situant son habitat et des noms de savants ayant publié sur le sujet.
Nous vous proposons ci-dessous un petit exemple d’une fiche descriptive et interactive sur le Cliff Chip Munk.
Après plus de 13 années de labeur et de coopération internationale, le résultat est réellement impressionnant, mais la quête de l’Encyclopedia of Life est pourtant loin – et même très loin – d’être achevée. En effet, ce sont en moyenne 18 000 nouvelles espèces qui sont décrites par an, pendant que d’autres – entre 8 000 et 12 000 – disparaissent dans le même laps de temps. Ces évolutions contradictoires contraignent à actualiser la base de données en permanence. Autre chiffre intéressant, l’encyclopédie numérique recherche le nombre total d’espèces que notre planète est supposée abriter. Basé sur une estimation, le chiffre serait actuellement compris dans une fourchette située entre 8 et 12 millions d’individus. L’un des chiffres les plus communément acceptés, issu d’une étude publiée en 2011, serait de 8,7 millions, soit 7,77 millions d’espèces animales, 298 000 espèces végétales, 611 000 espèces de champignons et moisissures et 27 500 espèces d’algues. Mais ce chiffre est contesté, certains n’hésitant pas à avancer qu’il pourrait y avoir plus de 100 millions d’espèces au total et bien plus, si on prenait en compte les espèces disparues depuis l’apparition de la vie. Ces querelles de chiffres, pour l’heure insolubles, reposent souvent sur des problématiques de taxonomie assez complexes. De surcroît, la prise en compte des organismes unicellulaires engendre des complications méthodologiques, comme celle concernant l’intégration éventuelle des virus au monde vivant, au même titre que les bactéries.
Quoi qu’il en soit, même s’il est probable que nous ne connaissions au mieux qu’environ 20% des espèces vivant sur la Terre, l’Encyclopedia of Life demeure à ce jour la base de données la plus exhaustive. Pour autant, elle reste dépendante de l’avancement des recherches et ne pourra progresser qu’au rythme du travail de terrain et aux investigations de plus en plus poussées dans des écosystèmes et des lieux jusqu’alors délaissés ou difficiles d’accès. Néanmoins, l’optimisme reste de rigueur car l’utilité de ce travail de recensement, à l’heure où la sauvegarde de la biodiversité s’impose comme une priorité absolue, n’est plus à démontrer. Reste à voir si cette mission pourra être menée à bien et, dans l’affirmative, dans combien de générations…