Le rouleau de cuivre de Qumran
Surplombant la rive nord-ouest de la mer Morte, dans l’actuelle Cisjordanie, le site de Qumran est mondialement connu depuis la découverte fortuite, par des Bédouins, de manuscrits en hébreu et en araméen. Datées d’une période allant de -250 à 70, ces précieuses reliques avaient été entreposées dans des grottes difficiles d’accès, à l’époque de la Grande Révolte juive contre les Romains. Entre 1947 et 1956, des archéologues vont exhumer des rouleaux et d’innombrables fragments de parchemins et de papyrus – certains conservés dans des jarres -, qui permettront de reconstituer près de 870 textes, dont 220 se rattachent à la Bible hébraïque. Au milieu de ces inestimables trésors historiques et culturels, un objet insolite va se distinguer, aussi bien par sa nature que par son contenu.
En mars 1952, l’école biblique et archéologique française de Jérusalem, agissant au nom de la Commission jordanienne des antiquités et en coopération avec l’American School of Oriental Research (ASOR) et le Musée archéologique de Palestine, avait relancé les fouilles dans la région de Qumran, suite à la découverte d’une nouvelle cache. C’est dans la grotte dite 3Q que l’équipe, menée par Henri de CONTENSON, trouvera, au milieu d’autres manuscrits et artefacts, deux rouleaux placés dans un petit abri naturel en forme de niche (ci-dessous).
Contrairement aux autres manuscrits mis au jour dans la région, le texte n’est pas inscrit sur un support d’origine végétale ou animale, mais sur une feuille de cuivre. Après examen, il s’avère qu’il s’agit d’un seul et même texte, mais que la fine plaque de cuivre – d’une longueur totale de 2,4 mètres, pour 9 mn d’épaisseur et 30 cm de large – s’était cassée en deux morceaux, sans doute au moment où elle avait été enroulée. Le recours à ce support, très onéreux, témoigne du caractère particulier du document. Compte tenu de la qualité de l’alliage – quasi pur car ne contenant que 1% d’étain –, on peut supposer que les commanditaires du document étaient fortunés, mais surtout que le texte fixé devait revêtir une importance particulière pour justifier le recours à ce procédé inhabituel pour les Hébreux, d’autres peuples comme les Romains l’utilisant alors plus largement. Depuis lors, nous savons qu’il ne s’agissait pas d’un cas unique, puisqu’en 1979 deux petits rouleaux en argent ont été retrouvés dans la nécropole de Ketef Hinnom.
Bien que le matériau ait sans doute été choisi pour résister à l’eau et au feu – sa température de fusion étant relativement élevée -, le métal était malgré tout fortement corrodé et donc cassant. Celui qu’on appelle désormais le “Rouleau de cuivre de Qumran” est donc confié par le gouvernement jordanien à un laboratoire du College of Science and Technology de Manchester. Devant l’impossibilité de dérouler normalement la plaque gravée, l’équipe doit se résoudre à la découper précautionneusement en 23 morceaux (ci-dessous, un des fragments). L’opération est achevée en 1956, de sorte que désormais l’ensemble du contenu est enfin lisible.
La transcription peut alors commencer. Elle est officiellement supervisée par le Britannique John Marco ALLEGRO, mais ce bouillant archéologue doit compter avec le père Jozef MILIK de l’École biblique, reconnu par ses pairs comme l’un des grands spécialistes des manuscrits de la mer Morte, qui réalise son propre travail en parallèle.
Au fur et à mesure de la traduction du texte, les chercheurs sont étonnés par un contenu qui n’est aucunement religieux ou mystique, comme celui de l’immense majorité des écrits retrouvés. Il s’agit de l’inventaire détaillé de soixante-quatre dépôts d’objets sacrés et précieux d’or et d’argent comptés en talents, d’accessoires du culte, de vêtements sacerdotaux, d’encens et de manuscrits non identifiés. La localisation indiquée pour chacune de ces caches reste souvent trop générale et très vague, faisant référence à une toponymie qui nous est désormais inconnue. Détail troublant à souligner : les nombreuses ratures, erreurs et reprises détectées semblent confirmer que la personne qui a gravé le rouleau ne savait pas lire ; choix qui peut être vu comme une précaution pour que le scribe ne puisse divulguer des informations contenues.
Quelques exemples de descriptions :
– Dans la grande citerne dans la cour du péristyle, le long du côté éloigné du terrain, sont scellés, dans le trou de la dalle de la citerne, en face de son ouverture supérieure, neuf cents talents.
– À la tête de l’aqueduc qui mène à Sekhakha, sur son côté nord, sous une grande pierre ; creusez jusqu’à une profondeur de trois coudées et il y a sept talents d’argent.
– Dans la meule inférieure d’un pressoir appartenant au Val de l’Olivier, sur son côté ouest, il y a des pierres noires qui mesurent deux coudées en profondeur et marquent l’entrée où sont déposés trois cents talents d’or et dix vases d’expiation.
– Dans la ruine d’Horebbah, qui est située dans la vallée d’Acor, sous les marches menant à l’orient, à environ quarante pieds : il y a un coffre d’argent pesant dix-sept talents. Quatre-vingt-dix talents sont cachés par les sédiments vers l’ouverture supérieure, au fond de la grande citerne du patio péristyle. Les robes et les jarres des prêtres, données en guise de vœux, sont enterrées sur la colline de Kohlit. C’est l’intégralité de l’offrande votive du septième trésor. Le deuxième dixième est impur. L’ouverture est située au bord du canal sur sa face nord, six coudées vers le bassin immergé. Entrez dans le trou du barrage étanche de Manos, descendez à gauche, quarante talents d’argent gisent à trois coudées du fond.
Nombre de localisations sont imprécises ou peuvent faire référence à plusieurs endroits. Si certains érudits concentrent leurs investigations sur des lieux situés autour de Jérusalem – jamais explicitement nommée -, d’autres optent plutôt pour une zone plus large allant d’Hébron à Naplouse.
La datation du document
Une autre question se pose alors, celle de la datation du document. Elle est difficile à établir, les propositions se situant dans une fourchette allant de 27 à 135 après J.C. Beaucoup avancent les années 65-73, époque du soulèvement de la Judée contre l’occupant romain, qui voit Jérusalem prise et le Temple détruit. Ce conflit aurait effectivement pu pousser les Juifs révoltés à cacher leurs biens précieux et des objets sacerdotaux. Dans le même ordre d’idées, la deuxième grande insurrection, celle dite de Bar Kokhba qui s’est déroulée entre 132 et 135, est également privilégiée par d’autres chercheurs, tandis qu’émerge aussi l’hypothèse d’un trésor accumulé à partir de 70 dans la perspective de reconstruire le Temple. Le débat continue à faire rage entre spécialistes, aucune théorie n’ayant réussi à s’imposer de manière claire et définitive.
Quoi qu’il en soit, le document fait désormais figure de véritable “carte aux trésors”, le texte ne mentionnant pas moins de 463 talents de métaux précieux, soit plus d’une tonne, ce qui ne va pas manquer de stimuler les imaginations. En 1960, contre l’avis de sa propre équipe, ALLEGRO rend publique la découverte dans un ouvrage dont le titre fait sensation : The Treasure of the Copper Scroll. The Opening and Decipherment of the Most Mysterious of the Dead Sea Scrolls, A Unique Inventory of Buried Treasure.
Pourtant, beaucoup de ceux, parmi les premiers, à avoir travaillé sur le rouleau de cuivre, à commencer par MILIK, remettent en cause la réalité de ce trésor, arguant que le texte aurait plutôt une portée symbolique qui nous échapperait désormais. De plus, pour ceux qui reliaient les manuscrits de la mer Morte aux Esséniens, un groupe mystique juif qui vivait en communauté dans la région, ces richesses étaient pour le moins incompatibles avec leur mode de vie très ascétique. Pour sa part, ALLEGRO est certain que les dépôts décrits dans le manuscrit ne sont pas fictifs et que les caches doivent être réparties à Jérusalem et dans la région de Qumran. Il organisera même une expédition spectaculaire mais infructueuse (relatée dans la vidéo ci-dessous), avec le soutien du Daily Mail ainsi que du roi HUSSEIN qui mettra des soldats et des moyens logistiques à son service.
Le trésor existe-t-il ?
Les investigations d’ALLEGRO tournent court, mais cet échec n’a pas découragé les très nombreux partisans de la “carte aux trésors” qui ont du mal à ne voir qu’une simple fiction dans ce texte gravé de manière si particulière. Une autre théorie fait alors son chemin : le trésor n’a-t-il pas tout simplement été déjà pillé ? Les Romains auraient ainsi pu obtenir des renseignements au terme d’interrogatoires “musclés” et mettre la main sur les dépôts. Il est bien possible également que des Bédouins l’ait trouvé sans que leur découverte ne se soit ébruitée. Enfin, autre légende, celle prétendant que ce sont les Templiers qui auraient fait main basse sur le trésor. Certains ne perdent pas espoir et cherchent toujours à localiser de nouvelles grottes et des cachettes, les tremblements de terre fréquents dans la région ayant peut-être fait s’effondrer l’entrée de certaines. En attendant que quelqu’un arrive à localiser et à exhumer un trésor à l’aide des indications du rouleau, l’énigme, qui demeure quasiment intacte de nos jours, n’a pas fini d’agiter le monde de l’archéologie et de nourrir l’imaginaire de romanciers et amateurs de mystères.
D’abord exposé au Musée archéologique d’Amman, le rouleau de cuivre a été transféré en 2013 au nouveau musée de Jordanie, où il est désormais visible avec d’autres manuscrits de la mer Morte. Entre 1994 et 1996, il a fait l’objet d’une restauration méticuleuse par l’intermédiaire d’EDF-VALECTRA, opération qui a permis des analyses aux rayons X et des photographies plus précises, à partir desquelles une reproduction sur cuivre du rouleau déplié a enfin pu être réalisée.
Pour en savoir plus, nous vous invitons à visionner cette conférence, donnée en octobre 2021 par un des grands spécialistes contemporains des manuscrits de Qumran, le père Émile PUECH.