Regrouper et synthétiser l’ensemble des connaissances humaines dans une seule et unique somme, tel est le projet encyclopédique dont bien des auteurs de dictionnaires ont pu rêver sans jamais l’avoir réalisé, cette impossibilité résultant de contingences matérielles et intellectuelles mais aussi du problème de l’obsolescence inévitable des informations.
Pourtant le projet d’une “encyclopédie totale” a été caressé depuis le XVIIIe siècle par de nombreux auteurs qui jugeaient la portée de l’Encyclopédie limitée et son contenu inégal. C’était en particulier le cas de Charles-Joseph PANCKOUCKE qui, pour la réalisation de son Encyclopédie méthodique, avait choisi d’adopter une division de l’ouvrage par matière afin de la rendre plus simple à compléter et permettre des développements plus détaillés. Les près de 200 volumes de cette œuvre, parus entre 1782 et 1832, comme les difficiles circonstances de sa réalisation sont là pour témoigner du fait qu’un travail de cette ampleur nécessite, en plus d’une volonté sans faille et d’une direction énergique, infiniment de temps et d’argent.
D’autres tentatives, basées sur un modèle purement alphabétique, ont fini par engendrer de véritable “monstres” encyclopédiques, dont l’élaboration sera souvent longue, pour ne pas dire interminable et tortueuse. Nous allons nous attarder ici sur le cas de deux encyclopédies allemandes emblématiques de cette “dérive” de l’encyclopédisme.
Installé à Berlin depuis 1759, un médecin allemand du nom de Johann KRÜNITZ, qui dispose d’une considérable bibliothèque privée de 15 000 volumes, se voit confier par le libraire Joachim PAULI la rédaction d’une Oekonomische Encyklopädie (Encyclopédie économique). À l’origine il était prévu que celle-ci soit basée sur la traduction et la synthèse du Dictionnaire raisonné d’histoire naturelle et de l’Encyclopédie oeconomique ou Système général d’oeconomie rustique, domestique et politique publiée à Yverdon. Malgré son titre, cette nouvelle encyclopédie, qui se veut généraliste et dont le premier tome sort en 1773, multiplie digressions et développements de sorte que le projet initial finit par prendre une grande envergure, nécessitant un nombre de volumes largement supérieur à celui prévu au départ.
Travailleur acharné, KRÜNITZ meurt en 1796 après avoir rédigé 72 volumes à lui tout seul. Détail macabre, au moment de son décès il travaillait sur le 73e et venait tout juste d’achever l’article Leiche (cadavre). La relève est immédiatement assurée par six rédacteurs qui vont se succéder en travaillant parfois de concert. Fait exceptionnel, il n’y aura pas d’interruption au cours de cette interminable publication qui s’achève en 1858 avec la publication du 242e tome, soit 75 ans après son commencement. Mais, en mettant un point final à cette encyclopédie, Carl HOFFMANN, son ultime rédacteur, est conscient que cette œuvre gigantesque, dense, très érudite et beaucoup trop volumineuse, n’est plus adaptée à la demande d’une époque friande d’ouvrages de synthèse. Seules de grandes bibliothèques peuvent accueillir un tel ouvrage (ci-dessous, l’exemplaire complet de la bibliothèque de GÖRLITZ). Il n’en reste pas moins que, malgré ses défauts, cette encyclopédie demeure toujours appréciée des chercheurs et des étudiants du fait de la masse d’informations considérable qu’elle renferme.
Professeur à l’université de Halle, Johann Samuel ERSCH (ci-dessous à gauche) est nommé en 1808 bibliothécaire principal dans ce même établissement. Il s’associe avec son collègue professeur Johann Gottfried GRUBER (ci-dessous à droite).
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Depuis 1808 l’Allemagne dispose d’une encyclopédie de référence en six tomes et deux suppléments, connue sous le nom de Brockhaus. Les deux universitaires décident de reprendre le projet d’une encyclopédie plus complète et plus étendue qui permettrait aux germanophones de ne pas avoir à se tourner systématiquement vers les ouvrages en langue étrangère. Les travaux débutent dès 1813, mais ils seront bien vite interrompus par les guerres napoléoniennes. La rédaction de l’ouvrage reprendra en 1816, avec la collaboration d’un nouvel arrivant, Gottlieb HUFFELAND. Le premier volume de cette série baptisée Allgemeine Encyclopädie der Wissenschaften und Künste (Encyclopédie universelle des sciences et des arts), publié en 1818, ne constitue que la première pierre d’un édifice qui s’annonce d’emblée gigantesque tant les articles sont détaillés au point d’occuper parfois des pans entiers de volumes.
ERSCH et GRUBER font appel à un grand nombre de spécialistes, comme Andreas HOFFMANN et Eduard POEPPING, qui trouvent là une tribune idéale pour exposer leurs connaissances et leurs travaux. Afin de tenter de pouvoir progresser plus rapidement, les volumes ont été répartis en trois séries élaborées simultanément. Peine perdue, le projet s’avère vite trop ambitieux et la publication finit par s’étaler sur plusieurs décennies, jusqu’en 1889 précisément ! Contrairement à l’Oekonomische Encyklopädie, ce projet ne sera pas mené à son terme. Si la première série (A-G) est complète avec ses 99 volumes, la deuxième (H-N) s’arrête au bout de 43 volumes au mot Ligatur ; et la troisième (I-Z), ne comprenant “que” 25 volumes, ne dépassera pas le mot Phyxios.
Dès lors le projet d’une encyclopédie “totale” semble avoir atteint ses limites, d’autant que le public allemand a désormais l’opportunité de se tourner vers d’autres ouvrages plus pratiques, plus synthétiques, moins encombrants et néanmoins complets, comme le Meyers Lexicon, dont les 52 volumes ont été publiés entre 1840 et 1855. Autre reproche formulé, un recours au classement alphabétique qui aboutit à des aberrations. Ainsi l’article Griechenland (Grèce) s’étale à lui tout seul sur huit volumes alors que, véritable monument d’érudition noyé dans la masse, il aurait justifié une publication à part. Malgré tout, l’Allgemeine Encyclopädie der Wissenschaften und Künste reste considérée comme une encyclopédie de référence, passant même pour être l’une des encyclopédies les plus étendues d’Europe.