Quel est le mot le plus long de la langue française ? La majorité des gens interrogés, et sans doute nous-même tel que nous l’avons appris à l’école primaire, répondraient sans hésiter : “anticonstitutionnellement” !
À la fin de l’année 2017, la simple remise en cause de ce “fait établi”, parfaitement intégré à la culture populaire, a suffi à créer une petite effervescence sur les réseaux sociaux et à créer une mini-polémique comme seule la société de l’information en a le secret.
Au cours du mois de novembre, relayant les réseaux sociaux, plusieurs médias francophones diffusent à leur tour l’information : l’Académie française a officiellement proclamé qu’“anticonstitutionnellement” n’est plus le mot le plus long du dictionnaire, cet honneur revenant désormais à “intergouvernementalisations”, doté de deux lettres de plus.
Ci-dessous, RTL relaie l’information le 17 novembre 2017.
La rumeur se répand les semaines suivantes, avant d’être largement reprise début décembre aussi bien par les blogs et les forums que par la presse traditionnelle.
Sur les réseaux circule alors l’information selon laquelle l’Académie française aurait fini par confirmer sa position sur le sujet dans un communiqué. Mais il s’avère que l’institution, qui ne dispose pas de comptes Twitter ou Facebook officiels, n’a jamais fait cette déclaration qui se trouve être une “fake news”, un bobard qui s’est propagé à la vitesse du numérique.
En réalité, si on s’en tient au nombre de lettres, “anticonstitutionnellement” n’est pas le mot français le plus long que l’on puisse trouver. Il en est d’ailleurs de même pour “intergouvernementalisations” puisque la palme revient à “aminométhylpyrimidinylhydroxyéthylméthythiazolium”, fort de ses 49 lettres, qui devance in extremis des candidats sérieux tels que “cobaltidithiocyanatotriaminotriéthylamine” (41 lettres), et “rhinopharyngitolaryngographologiquement” (39 lettres).
Mais, si l’on s’en tient à la mission de l’Académie française qui consiste à fixer la langue courante et usuelle : « Ne figurent dans notre dictionnaire que les termes qui, du langage du spécialiste, sont passés dans l’usage courant et appartiennent à la langue commune », les termes censés damer le pion à “anticonstitutionnellement” font partie de lexiques spécialisés et ne peuvent donc pas être retenus dans le corpus du dictionnaire.
Des mots forgés récemment pourront peut-être un jour prétendre détrôner “anticonstitutionnellement” s’ils arrivent à devenir d’usage courant, ce qui a peu de chances d’arriver vu la difficulté de les prononcer intelligiblement sans reprendre son souffle ni bafouiller, sans compter la difficulté de pouvoir les placer dans une conversation ordinaire ! Nous verrons donc ce qu’il adviendra d’“hexakosioihexekontahexaphobie”, peur panique du chiffre 666 ou “apopathodiaphulatophobie”, peur de la constipation !
L’humour a bien évidemment trouvé matière à plaisanter sur cette grave question linguistique. C’est ainsi que les Britanniques ont inventé en 2007 le mot passé en français d’“hippopotomonstrosesquipedaliophobia” (35 lettres) qui désigne la phobie des mots trop longs ! La littérature et le cinéma se sont d’ailleurs souvent servis de mots farfelus à rallonge créés de toutes pièces. Parmi les exemples célèbres figurent l’interminable mot inventé par ARISTOPHANE ;
lopadotemakhoselakhogaleokranioleipsanodrimypotrimmatosilphiokarabomelitokatakekhymenokikhlepikos
syphophattoperisteralektryonoptekephalliokinklopeleiolagōiosiraiobaphētraganopterygon ; l’extravagant “anémélectroreculpédalicoupeventombrosoparacloucycle” du professeur COSINUS, ou encore le fameux Supercalifragilisticexpidélilicieux (Supercalifragilisticexpialidocious en version originale) de Mary POPPINS
Sur internet, le concept de langue xyloglotte permet de fabriquer d’hilarants mots-tiroirs, dont voici quelques exemples :
— “anantéursucididermipoliser : ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué”
— “apaléopithécoaneucéphalodidactisme : doctrine selon laquelle on n’apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces”
— “homéoanémicardiomutilatoire : qui blesse le cœur d’une langueur monotone”
— “erratippexodactylographisie : tendance caractérisée à la faute de frappe”
— “exoagoravéloaphotophonomane : personne qui s’échappe d’une réunion ennuyeuse en déclarant : « Faut qu’j’y aille, y a pas d’lumière sur mon vélo »”.
Et, dans les langues étrangères, quels sont les mots les plus longs ?
Beaucoup de langues sont naturellement agglutinantes, créant de véritables “monstres” à côté desquels notre “anticonstitutionnellement” fait pâle figure. Pour preuve, le mot allemand “rindfleischetikettierungsüberwachungsaufgabenübertragungsgesetz”, le terme islandais “vaolaheioarvegavinnuverkfærageymsluskúraútidyralyklakippuhringur”, le basque “azpilicuetagaraycosaroyarenberecolarrea”, le néerlandais “kindercarnavalsoptochtvoorbereidingswerkzaamheden”, ou encore le turc “muvaffakiyetsizleştiricileştiriveremeyebileceklerimizdenmişsinizcesine” constituent de véritables défis pour un locuteur francophone. Dans certaines langues, comme le polonais ou l’allemand, les mots désignant des chiffres complexes peuvent prendre des proportions “démesurées” et dépasser la centaine de lettres.
Un mot composé en sanskrit de 195 caractères est traduit en alphabet latin par 428 lettres. Dans la catégorie des noms toponymiques, la Nouvelle-Zélande détient le record mondial avec une colline du nom de Taumatawhakatangihangakoauauotamateaturipukakapikimaungahoronukupokaiwhenuakitanatahu (85 lettres). Mais le vainqueur, haut la main, de cette futile mais amusante compétition est un mot scientifique anglais qui ne compte pas moins de…1 898 189 lettres ; eh non, il ne manque pas une virgule ! Il s’agit du nom chimique d’une protéine dénommée la Titine.
Sa simple prononciation prend près de 3 h 30. Si vous avez du temps à perdre, vous pouvez admirer ci-dessous la “performance” en question.
Ici s’achève notre incursion au pays des mots les plus longs. Anecdotique sans doute, cette évocation permet de constater que la langue est bien vivante et constituera toujours une source sans cesse renouvelée d’émerveillement, d’amusement et de curiosité.