Parmi la longue liste des contributeurs connus de l’Encyclopédie figure un personnage dont la présence dans cette pléiade d’écrivains, de penseurs, de philosophes, de scientifiques et de savants semble a priori insolite sinon incongrue : François-Georges MARÉCHAL, marquis de BIÈVRE. Ancien mousquetaire, arrière–petit-fils de Georges MARESCHAL, premier chirurgien du roi LOUIS XIV, cet écrivain mondain, aujourd’hui bien méconnu, avait acquis une grande célébrité par ses jeux de mots et ses calembours. Il devint un personnage à la mode, à la cour puis auprès du grand public, grâce à ses bons mots régulièrement repris dans les almanachs et les publications populaires.
Certaines de ses saillies drolatiques sont restées fameuses. Ainsi au roi LOUIS XVI qui lui demandait de faire un jeu sur sa personne, il répond : « Ah sire, le roi n’est pas un sujet ! ». Le même monarque, qui avait l’air d’apprécier cette forme d’humour, lui avait un jour déclaré : « Savez-vous, Marquis, de quelle secte philosophique sont les puces ? Eh bien, elles appartiennent à la secte d’Épicure (des piqûres) », ce à quoi notre amuseur répondit : « Sire, c’est bien normal, comme les poux sont de la secte d’Épictète (des pique–têtes). » Notre farceur avait également aménagé une partie du parc de son château pour pouvoir asséner aux futures conquêtes qu’il y emmenait promener : « Madame, voici l’endroit des six ifs (décisif). »
En 1770, sa Lettre écrite à madame la comtesse Tation (contestation), publiée sous le pseudonyme de Sieur de BOIS-FLOTTÉ, rencontre un succès considérable et fera l’objet de quinze éditions successives, au grand dam du monde littéraire parisien. Ainsi Friedrich Melchior GRIMM, célèbre homme de lettres et critique littéraire allemand installé à Paris, déplore que « cette insipide et exécrable rapsodie ait fait dans le public plus de sensation qu’aucun des ouvrages publiés dans le cours de l’hiver, qu’on en ait fait plusieurs éditions en très peu de semaines, et que, pendant plus de quinze jours, on n’ait parlé que de la comtesse Tation, voilà une note d’infamie qui retombe directement sur le public, et dont il ne se relèvera pas de si tôt dans mon esprit ».
Pour être tout à fait honnête, bon nombre de ses calembours, qui nous semblent aujourd’hui bien faciles et systématiques, peinent souvent à nous arracher un sourire indulgent. Il ne faut pourtant pas oublier que cette forme d’humour potache et bon enfant faisait rire aux éclats nos ancêtres. Ainsi, dans sa “tragédie” Vercingétorixe, il emploie quasiment un jeu de mots par vers, d’ailleurs mis en évidence par des caractères italiques. Quelques extraits permettent de se faire une idée de son style :
« Il plut à verse aux dieux de m’enlever ces biens / Hélas ! Sans eux brouillés que peuvent les humains ? / Je sus comme un cochon résister à leurs armes / Je pus comme un bouc dissiper vos alarmes / Pour moi, quand mes flancs d’œufs dans ce jour déplorable / Ont reçu quittance le cors de mon amant / Le mien ne sera point souillé par le fer blanc / Je vais me retirer dans ma tente ou ma nièce / Et j’attendrai la mort de la faim de la pièce ».
Le marquis de BIÈVRE publie ensuite d’autres écrits de même veine avec le même succès : Variations comiques de l’abbé Quille et Les amours de l’Ange-lure (avec la Fé-lure, sic).
Si le succès public est au rendez-vous, il va sans dire que le milieu intellectuel et littéraire des Lumières le regarde comme un drôle d’huluberlu, un amuseur de salon. À la décharge du marquis, reconnaissons qu’il n’est guère prétentieux et fait preuve d’une certaine bonhomie. Il confesse avec simplicité : « Le goût du calembour n’est point une maladie chez moi, mais une ressource innocente pour repousser l’ennui et rappeler la gaieté. » Il n’est d’ailleurs pas l’inventeur du genre, la paternité du calembour comme forme littéraire revenant dans notre pays au comte de CRAMAIL qui, sous le pseudonyme de DEVAUX DOS CAROS, est l’auteur en 1630 d’une Histoire de ma mie de pain-mollet.
À l’instar de VOLTAIRE qui le considère comme « le fléau de la conversation, l’éteignoir de l’esprit », le calembour est relégué par l’élite intellectuelle au rang de distraction vulgaire et futile. Cette mauvaise réputation sera destinée à perdurer car, au siècle suivant, Victor HUGO en parlera comme de « fiente de l’esprit qui vole ». Malgré cette hostilité, le calembour connaît une véritable vogue et s’insinue dans l’art de la conversation. Soucieux d’être les témoins de leur temps, les concepteurs du Supplément à l’Encyclopédie, sans doute D’ALEMBERT lui-même, recrutent notre joyeux luron pour écrire un article sur le sujet. Signé D.B., l’article Kalembour — ce curieux choix d’orthographe n’est pas explicité — est publié en 1777 dans le troisième tome du supplément.