Depuis janvier, la communauté scientifique bruisse d’une rumeur persistante : grâce à un déchiffrement algorithmique, une intelligence artificielle élaborée par l’université de l’Alberta située à Edmonton (Canada), aurait percé à jour le code de l’ouvrage le plus mystérieux du monde, Le manuscrit Voynich. Malgré l’emballement médiatique qu’elle suscite, il paraît prématuré à cette heure de confirmer une information qui, par le passé, a déjà fait à plusieurs reprises l’objet d’annonces démenties par la suite. Pour l’heure, prenons simplement connaissance d’une nouvelle piste de recherche qui, pour solidement étayée qu’elle paraisse, n’est pas scientifiquement validée. À ce stade la prudence s’impose, car depuis la découverte de ce fameux document un grand nombre d’hypothèses, dont certaines franchement extravagantes, ont été avancées pour expliquer l’origine de cet ouvrage très étrange.
Mais au fait quel est donc ce manuscrit Voynich, et pourquoi défraie-t-il régulièrement la chronique depuis plus d’un siècle ? Il s’agit d’un codex relié en vélin et composé de 234 pages, auquel il en manquerait 28 si on se fie à la pagination. Réalisée en 2009, la datation au carbone 14 du support donne une fourchette allant de 1404 à 1438, l’encre quant à elle n’étant pas datable.
La première évocation du livre remontant à 1639 figure dans une lettre rédigée par un alchimiste praguois, Georg BARESCH. Dans son courrier, ce dernier envisage de soumettre ce manuscrit, alors en sa possession, au jugement d’Athanasius KIRCHER, le célèbre savant allemand, spécialiste des langues anciennes et précurseur de l’égyptologie. Après la mort de BARESCH, Jan Marek MARCI, recteur de la faculté de médecine de Prague, hérite du livre, et en 1665 décide à son tour de l’envoyer à KIRCHER. La lettre d’accompagnement, écrite de la main de MARCI, a été retrouvée dans le codex. Après cet épisode, l’ouvrage disparaît pendant près de deux siècles, un ex-libris attestant qu’il a pu être présent un temps dans la bibliothèque de Pierre-Jean BERCKX, supérieur général des jésuites. Dans une vente organisée en 1912 à Frascati par le Collège romain, il est acquis dans un lot d’une trentaine de manuscrits par un bibliophile polonais, Wilfrid VOYNICH. Ce dernier émigre aux États-Unis, emportant le livre avec lui. À son décès, sa femme hérite du manuscrit qu’elle lègue ensuite à une amie, laquelle le vend en 1961 à un antiquaire, Hans KRAUS. Celui-ci, ne trouvant pas d’acquéreur, en fait don en 1969 à l’université Yale, où il est toujours conservé.
Le premier mystère du Voynich réside dans son écriture, belle mais incompréhensible. Jusqu’à présent nul n’a pu déchiffrer de manière incontestable et définitive les 170 000 glyphes formant apparemment 35 000 mots, si on se fie aux ligatures et aux espacements. Elle s’offre comme un défi à tous les cryptographes du monde.
De quelle langue s’agit-il ? On ne compte plus les scientifiques, les linguistes, les spécialistes de la cryptographie, comme par exemple William FRIEDMANN, ou encore la foule d’amateurs plus ou moins éclairés qui se sont penchés sur le texte. Les théories ne manquent pas. Pour en citer quelques exemples, on a parlé de langue aztèque, de code alchimique, de latin crypté, de turc ancien, de moldave, de coufique, de catalan, de basque, de nabatéen, de cyrillique et même de langues asiatiques comme le thaï, le lao et le mongol, sans compter les pistes qui mènent aux extra-terrestres ou à l’Atlantide. L’expérimentation menée en Alberta penche pour l’hébreu, et les experts avancent que certaines pages pourraient être cryptées en anagrammes.
Le second mystère réside dans les très nombreuses illustrations du manuscrit. Omniprésentes — seules 33 pages ne contiennent que du texte —, elles envahissent les feuillets, et il est établi que certaines ont été dessinées postérieurement au texte. En tenant compte de cette riche iconographie tracée dans un style assez sommaire, le livre a été divisé en plusieurs sections.
La première, la plus importante en nombre de pages, est intitulée « la section botanique ». Elle présente un herbier fantasmagorique, composé de près de 400 plantes hybrides ou non identifiées.
L’apparence exotique de ces plantes, et leur ressemblance avec des végétaux décrits dans d’anciens codex mexicains, ont été avancées en leur temps pour justifier la thèse aztèque.
Deux autres sections semblent traiter d’astronomie et de cosmologie. Elles renferment une série de diagrammes astronomiques ou astrologiques. Les astres et les constellations zodiacales y sont clairement identifiés, même si le sens global de leur représentation nous échappe.
Beaucoup plus intrigantes et mystérieuses sont les illustrations consacrées à ce qui semble représenter une forme de balnéothérapie. Des personnages nus, presque tous des femmes, dont certaines portent des coiffes ou des couronnes, évoluent dans un liquide vert ou bleu. À leur silhouette on peut supposer qu’elles sont enceintes.
Le sens de ces dessins reste bien obscur. Faut-il y voir une cure thermale ou un traitement thérapeutique, une allégorie des organes et des humeurs du corps humain, un sens ésotérique et symbolique, un rituel initiatique, une figuration alchimique ou cosmologique ? Le débat est encore ouvert, et internet n’est pas avare d’hypothèses diverses.
Représentations qui rendent ces scènes encore plus insolites : celles de tuyaux et de machines, revêtant parfois un aspect semi-organique, qui semblent convoyer de l’eau ou de la vapeur.
Certaines des protagonistes semblent actionner des robinets ou des valves, mais cette interprétation n’est pas établie.
Quoi qu’il en soit, il est difficile, en voyant ces dessins, de ne pas penser à Jérôme BOSCH ou aux surréalistes !
Enfin une dernière subdivision est qualifiée de « pharmacologie ». Elle représente des plantes et des contenants semblables à des pots d’apothicaire. Cette partie semble attester que nous aurions affaire à un ouvrage à vocation médicale. Le livre s’achève par une série de paragraphes marqués par des étoiles qui laissent penser à des “recettes”.
La dernière énigme, et non la moindre, demeure l’identité du ou des auteurs de ce livre-énigme. Dans sa lettre de 1665, MARCI rapportait que l’empereur RODOLPHE II l’avait acquis en étant persuadé qu’il était de la main du philosophe et scientifique médiéval Roger BACON. VOYNICH reprendra d’ailleurs à son compte cette hypothèse qui sera définitivement mise à mal par la datation au carbone 14, BACON ayant vécu au XIIIe siècle.
Une autre hypothèse ne peut être écartée : celle de l’imposture pure et simple, voire du canular. Cette explication a été en particulier défendue par Gordon RUGG, professeur et linguiste britannique. Il fait intervenir dans sa démonstration les célèbres alchimistes Edward KELLEY et John DEE. Il soupçonne ces deux compères, qui avaient mis au point un alphabet ésotérique, l’énochien (ou hénokéen), censé transcrire la langue des anges, d’avoir fabriqué un faux dans une nouvelle langue imaginaire pour le vendre à un souverain féru d’ésotérisme. Cette théorie à la fois romanesque et séduisante n’est pas farfelue, les faux étant monnaie courante au Moyen Âge comme à la Renaissance.
Si vous voulez consulter (gratuitement) l’ouvrage numérisé dans son intégralité, vous faire votre propre opinion et, qui sait, échafauder une nouvelle hypothèse, nous vous invitons à cliquez sur ce lien.
Pour aller plus loin, voici un article, non dénué d’humour, qui retrace brièvement l’histoire du manuscrit.
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