La place du français sur la planète
Présente sur les cinq continents, la langue française cultive hors de son berceau des particularismes qui, sous forme de locutions et de vocabulaires spécifiques à certaines contrées, sont autant de preuves de son dynamisme et de sa capacité de renouvellement. Certes, nous pouvons regretter le très net recul du français comme langue de référence dans le monde des affaires, dans la diplomatie et les instances internationales. Rappelons en particulier que, bien que le français soit désigné depuis 1946 comme la “langue de travail” de l’ONU au même titre que l’anglais, qu’elle soit une des langues officielles de l’Union européenne et qu’elle soit toujours la première langue officielle des Jeux olympiques, son usage est devenu secondaire dans ces institutions. Mais, en dépit de ces reculs, nombreux sont ceux qui ont une vision optimiste de l’avenir du français. Cette confiance se fonde sur le fait que le nombre de locuteurs de notre langue va considérablement augmenter à l’avenir, faisant du français une des langues les plus parlées dans le monde. En effet, si les prévisions se révèlent exactes, en 2050 nous pourrions compter entre 700 et 820 millions de francophones, chiffres qui permettraient au français d’accéder à la troisième place mondiale.
Le nombre impressionnant de locuteurs francophones cache malgré tout une certaine disparité géographique. En effet, la pratique de la langue française continue à diminuer de manière inquiétante en Amérique du Nord, au Moyen-Orient, dans le Pacifique et en Asie, tandis qu’elle continue à stagner en Europe. C’est à l’expansion démographique, à la fois rapide et importante, de l’Afrique, que nous devons l’essentiel de ce futur “réservoir” de francophones. Dans quelques décennies, 70% des locuteurs seront originaires du continent africain, leur grande majorité ayant entre 15 et 30 ans. Actuellement, il en existe plus de 300 millions, ce qui fait de notre langue la cinquième langue la plus parlée dans le monde et la quatrième pratiquée sur Internet. Autre chiffre important : 32 pays ont adopté le français comme langue officielle. En 2018, on recensait 132 millions ʺd’apprenants”, dont 80 millions avaient le français comme langue d’étude principale, et 50 millions comme langue étrangère. Loin d’être cantonnée dans un combat d’arrière-garde, la francophonie représente désormais un enjeu politico-culturel important, qui contraint la France et ses partenaires à se fédérer autour de projets novateurs, afin de contrer la prééminence de l’anglais.
Le volontarisme affiché du président français
Le 20 mars 2018, le président de la République Emmanuel MACRON a prononcé un discours sur le sujet à l’Institut de France, dans le cadre de la journée internationale de la francophonie (ci-dessous).
L’ambition affichée consiste alors à proposer une “stratégie destinée à redonner à la langue française sa place et son rôle dans le monde, dans le respect du plurilinguisme”. Il annonce une trentaine de mesures, prises pour améliorer et développer l’enseignement du français sur la planète, promouvoir son usage au niveau international, et soutenir les artistes qui l’utilisent. L’un des volets de ce plan vise à assurer une plus grande visibilité de la francophonie dans les médias et sur le web. C’est dans ce contexte qu’a germé l’idée d’un dictionnaire en ligne qui, partant des ressources déjà disponibles dans divers pays francophones, prendrait le nom de Dictionnaire des francophones, ou DDF.
Le 11 octobre 2018, le chef de l’État prononce un discours remarqué au cours du XVIIe sommet de la francophonie à Erevan, au cours duquel il déclare : “La francophonie pourrait ainsi s’emparer du débat sur la « langue monde » et soutenir des initiatives comme le Dictionnaire des francophones, que nous devrions pouvoir conduire et porter ensemble. Et je souhaite que nous puissions multiplier les initiatives ensemble. La France a commencé́ et nous avons mis des financements en place pour multiplier les dictionnaires entre les différentes langues de l’espace francophone et le français. Il n’y a pas de dictionnaire aujourd’hui entre le wolof et le français. Allons-y, développons-le ; ces langues sont des langues d’échange, et c’est vrai de tant et tant d’autres langues, du Pacifique, de l’Afrique, de l’Amérique du Sud comme de l’Amérique du Nord.”
Mobilisation autour du projet de Dictionnaire des francophones
Peu après, un partenariat s’instaure entre le ministère de la Culture, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, l’Institut français, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et l’Agence universitaire de la francophonie (AUF). La direction du projet est confiée à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), ainsi qu’à un comité de pilotage interinstitutionnel intégré à l’Institut international pour la Francophonie (2IF), intégré lui-même dans l’université Jean Moulin Lyon 3. Par ailleurs, un conseil scientifique est constitué ; composé d’une quinzaine d’universitaires du monde entier, il est présidé par le linguiste Bernard CERQUIGLINI, qui définit ainsi la philosophie qui guide les chercheurs : “Il ne fixe pas le bon usage comme en 1635 et ne décrit pas non plus le « français de France » littéraire, à l’image du TLF. Son ambition est de rendre compte du français qu’on parle dans le monde.” Cet objectif est précisé sur le site : “Le but du DDF est de décrire, dans une même ressource, tous les mots du français, quels que soient la région ou le registre de langue où ils sont utilisés, pour donner accès à une image instantanée, sans cesse renouvelée, du français dans le monde. Il ne s’agit donc pas de prescrire un français correct qui devrait être utilisé plutôt qu’un autre, c’est-à-dire une norme de langue, mais de rendre compte le plus précisément possible de l’usage, pour permettre aux utilisateurs de choisir l’expression la plus adaptée à la situation […]. Toutes les variétés du français sont présentées ensemble et placées sur un pied d’égalité.”
Ci-dessous, une petite vidéo de présentation :
Grâce à la coopération efficace de différentes institutions et universités du monde entier, le travail avance rapidement à partir de mars 2019. La première composante du futur dictionnaire en ligne est issue des différentes ressources déjà disponibles en ligne ou en version papier. Dès lors, il s’agit de réunir dans une interface commune le Wiktionnaire francophone, l’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire, Le Grand Dictionnaire terminologique (ouvrage élaboré par l’Office québécois de la langue française), le livre Belgicismes : Inventaire des particularités lexicales du français en Belgique, le Dictionnaire des régionalismes de France, la Base de données lexicographiques panfrancophone, ainsi que Le Dictionnaire des synonymes, des mots et expressions des français parlés dans le monde . Toutes ces différentes bases de données ont rejoint le DDF, tandis que FranceTerme reste encore en phase d’intégration.
Une des particularités du DDF réside dans une conception participative et ouverte, permettant à qui le souhaite de soumettre de nouveaux mots, expressions et définitions ; sachant que, pour maintenir la cohérence de l’ensemble, les interventions extérieures sont très encadrées et soumises à la validation du conseil scientifique : “La contribution ne peut se faire que par l’ajout d’information. C’est-à-dire qu’une information déjà présente ne peut être modifiée ou supprimée, ceci pour éviter des corrections abusives qui résulteraient de simples divergences d’opinion. Seuls les utilisateurs ayant le statut d’opérateur ou d’opératrice sont habilités à supprimer des informations erronées.” Ce mode de fonctionnement original, conçu pour enrichir en permanence le corpus du dictionnaire, est complété par un forum – “un espace de discussion pour l’étymologie, un espace réservé à la forme, et un espace dédié au sens et à l’usage” – bientôt ouvert pour faire du site un espace vivant et interactif.
Le DDF en ligne depuis le 16 mars 2021
Une première version du site était opérationnelle dès octobre 2019. Puis, en mars 2020, la version permettant d’intégrer les contributions a été testée. Enfin, depuis le 16 mars 2021, soit presque 3 ans après le discours de l’Institut, la version grand public est officiellement mise en ligne. Il s’agit d’une première mouture car, à terme, d’autres bases de données auront vocation à rejoindre le DDF. Ci-dessous, la page d’accueil :
Ce nouvel outil au service de la francophonie répertorie près de 400 000 mots et 600 000 définitions en provenance de 52 pays.
Si son contenu n’est pas réellement inédit, ce dictionnaire en ligne, d’accès gratuit, illustre à merveille la variété et la richesse de la langue française. Il donne l’occasion aux Français “métropolitains” de découvrir de nouveaux mots. C’est ainsi qu’au Rwanda le verbe Techniquer signifie “fabriquer une solution ingénieuse avec peu de moyens” ; qu’en Afrique de l’Ouest, Girafer est synonyme de copier sur son voisin en classe ; qu’à La Réunion Soulaison veut dire ivresse ; tandis qu’en Belgique une Crolle et une Pause-carrière sont respectivement une boucle de cheveu et une année sabbatique. Au Québec, le mot Pourriel désigne un courrier électronique indésirable ; en Haïti, un violoncelle change de genre, devenant une Maman-violon ; pendant que l’Eau à ressort désigne l’eau gazeuse au Congo. Les expressions, souvent très imagées, sont généralement savoureuses et créatives, comme “s’énerver les poils des jambes“, utilisé par les Québécois pour désigner l’attitude d’une personne stressée ; tandis que “avoir la bouche sucrée” veut dire être beau parleur en Côte d’Ivoire ; “baisser les pieds” signifie se décourager au Sénégal, et “lancer un chameau” faire une faute d’orthographe au Congo.
Bernard CERQUIGLINI espère qu’à terme le site pourra recueillir jusqu’à un million de définitions. Pour lui, “c’est quelque chose de tout à fait envisageable, quand on voit la richesse et la grande vitalité du français en Afrique ou au Québec. En France, on est davantage corseté par le bon usage du français, il y a donc moins de nouveautés, c’est dommage”.
Mise à jour du 19 mars 2022
Le DFF poursuit lentement mais sûrement son chemin, revendiquant à son jour 100000 visites en moyenne par mois. Le 16 mars dermier, une nouvelle version a été mise en ligne, dotant le site d’un moteur de recherche plus performant et facilitant l’enrichissement du vocabulaire par contribution. A ce jour, le dictionnaire recese pas mons de 500000 entrées. Voir cet article sur Actualitté.
Ci-dessous, la vidéo de la cérémonie officielle du lancement du DDF.
https://www.youtube.com/watch?v=O0XFHjtvZms