Roald DAHL, une star parmi les écrivains de livres pour la jeunesse
Parmi les écrivains contemporains spécialisés dans les livres pour la jeunesse, Roald DAHL tient une place d’honneur. Plus de 30 ans après sa disparition, ses livres et ses nouvelles – dont plusieurs popularisés par des adaptations en films et en dessins animés – lui assurent toujours de figurer en bonne place dans les bibliothèques des plus jeunes, mais aussi dans celles de leurs aînés. Des livres comme Charlie et la chocolaterie, publié pour la première fois en 1964, James et la grosse pêche, Matilda, Les Deux Gredins, Fantastic Mr Fox, Sacrées Sorcières, sont devenus de véritables classiques du genre. À ce jour, ce sont plus de 250 millions d’exemplaires de ses livres qui ont été vendus de par le monde, succès qui permet à DAHL de figurer au panthéon des écrivains pour la jeunesse, aux côtés d’Enid BLYTON, de Tomi UNGERER et de J.K. ROWLING, pour ne citer qu’eux ; car la liste est longue…
Doté d’une imagination fertile doublée d’une fantaisie et d’un humour tout britanniques, flirtant souvent avec le “nonsense”, DAHL s’est également imposé comme un véritable alchimiste des mots. Ses savoureux néologismes ont enchanté des générations de lecteurs, au point que certains sont désormais entrés dans le langage courant du monde anglo-saxon. L’une des expressions “dalhesques” – cet adjectif est attesté depuis 1983 – les plus célèbres est le fameux scrumdiddlyumptious, utilisé pour la première fois dans Charlie et la chocolaterie. Il s’agit d’un mot-valise formé à partir de la contraction des mots Scrumptious (délicieux) et Diddly (petite chose insignifiante). En réalité, DAHL n’est pas l’auteur de ce terme, qui figurait déjà dans l’édition de 1942 de l’American Thesaurus of Slang. Mais bien peu connue et pour ainsi dire inusitée, c’est grâce à lui que cette expression s’est forgé une telle renommée. De même, dans son premier livre publié en 1943, notre homme met en scène des Gremlins, dont l’histoire fera en 1984 l’objet d’une adaptation cinématographique par Walt Disney Production. Dans cet ouvrage, où ils sont présentés comme des petits gnomes malicieux qui passent leur temps à saboter les avions, DAHL reprend à son compte un mot forgé par les pilotes et les mécaniciens de la RAF pour qualifier les problèmes techniques et les avaries inexplicables dont ils sont victimes.
Mais à ces exceptions près, les néologismes légués par DAHL sont pures inventions de sa part. Lassé de devoir toujours utiliser les mêmes mots “conventionnels”, il s’amuse à “tripatouiller” la langue pour la rendre fantaisiste et stimulante pour le lecteur. Si son goût pour les néologismes imprègne ses œuvres depuis longtemps, c’est en entamant la rédaction de l’un de ses ouvrages les plus connus, The BFG [acronyme de Big Friendly Giant, traduit en français par Le Bon Gros Géant], qu’il va utiliser un lexique plus élaboré. Dans les manuscrits du livre ont été retrouvées des pages préparatoires (ci-dessous) recouvertes de mots qu’il s’est amusé à mélanger pour en créer de nouveaux, tout en les agrémentant de syllabes et de suffixes aux sonorités amusantes, comme -izz, -ozz, -oggle, -obble, -iggle ou encore -oop.
Le Gobblefunk, un langage fabriqué
Cette histoire, publiée en 1982, narre une belle amitié entre Sophie, une orpheline, et un géant dont la mission est de capturer les rêves, dont il détruit les mauvais pour n’en garder que les bons afin, le soir venu, de les redistribuer aux enfants du monde entier. Le “BFG”, qui n’a pas de nom, parle un langage bien à lui baptisé le Gobblefunk. Par la suite, ce mot – déformation de Gobbledegook, qui peut se traduire par “dire du charabia” – servira à désigner l’ensemble des trouvailles linguistiques de DAHL. Après le BFG, il continuera à faire encore usage de ses inventions, mais de manière plus ponctuelle, comme dans son livre Matilda.
Au final, ce sont près de 393 mots et expressions, dont plus de 300 rien que pour Le Bon Gros Géant, qui sont créés de toutes pièces par l’écrivain, chiffres auxquels il faut ajouter des noms de personnages – comme les fameux Oompas-Loompa -, ainsi que des termes archaïques et anciens remis au goût du jour, comme Frightsome. Précisons que DAHL n’a jamais voulu donner une définition de ses néologismes, afin d’inciter ses lecteurs à faire preuve d’imagination.
Passons en revue quelques-uns de ces mots nés sous la plume de l’écrivain anglais :
Whoopsy whiffling : quelque chose de génial ; de Whoops “Oups!” et Whiffle “souffler, siffler”.
Zozimus : la matière dont sont faits les rêves.
Bellypopper : un hélicoptère.
Muggled : sans doute formé à partir de mudded “boueux” et Juggled “jonglé” ; être déconcerté, gêné, embarrassé. À noter que ce terme ressemble beaucoup au Muggle (en français, Moldu) que J.K. ROWLING utilisera par la suite pour désigner les non-magiciens dans la série des Harry Potter.
Splendiferous : merveilleux, magnifique.
Grunion : une personne désagréable.
Lickswishy : délicieux, délectable.
Frothbungling : stupide, idiot ; de Froth “Mousse” et Bungle “rater”.
Natterbox : un bavard qui ne peut s’empêcher de parler pour ne rien dire, sans pouvoir s’arrêter ; de Natter “Bavarder”.
Biffsquiggled : être intrigué.
Splitzwiggled : attrapé.
Ucky-Mucky : compliqué, embrouillé.
Rommytot : dire des absurdités.
Telly-Telly Bunkum Box : télévision.
Vermicious : méchant, mauvais.
Trogglehumper : un terrible cauchemar.
Des dictionnaires de Gobblefunk
Il était logique que le Gobblefunk finisse par faire l’objet de dictionnaires. Si des passionnés se sont lancés de bonne heure dans l’entreprise, le premier véritable lexique en format papier et riche de 113 pages est édité en 2005 par les éditions Eaglemoss (ci-dessous), dans le cadre de leur série The Magical world of Roald Dahl, vendue sous forme de magazines.
Destiné aux plus jeunes, cet ouvrage, qui fut opportunément publié alors que la sortie du film de Tim BURTON était annoncée pour l’été suivant, reste assez succinct. Il ne pouvait donc pleinement rendre compte de la richesse de l’œuvre de l’écrivain et laissait les très nombreux « fans » de tout âge sur leur faim, même si de nombreux blogs tentaient tant bien que mal de combler cette lacune. Il faudra attendre juin 2016 pour voir la très sérieuse Oxford University Press publier le Oxford Roald Dahl Dictionary (ci-dessous), dont la sortie coïncidait avec le centième anniversaire de la naissance de DAHL et la sortie très attendue du film The BFG (BGG en version française), réalisé par Steven SPIELBERG.
Abondamment illustré par les dessins de Quentin BLAKE, dessinateur fétiche des livres de DAHL, cette compilation de 287 pages a été réalisée sous la direction de Susan RENNIE, qui avait déjà travaillé pour le même éditeur sur plusieurs dictionnaires à destination de la jeunesse. Cet ouvrage, riche de 8 000 entrées, est bien sûr centré sur la “langue” de DAHL et sur ses inventions langagières ; mais pas uniquement, puisqu’il recense aussi tout le vocabulaire propre à expliciter l’univers imaginaire de l’auteur. Ci-dessous, quelques pages de l’ouvrage :
En septembre de cette même année 2016, l’Oxford English Dictionary intègre, parmi les 1 000 nouvelles entrées, plusieurs mots “dalhesques” comme scrumdiddlyumptious, Human Bean, Frightsome, Splendiferous, Golden ticket et Oompa-Loompa ; ce dernier terme étant également utilisé pour désigner les bronzages ratés (à l’instar du teint orangé des personnages de la première adaptation de Charlie et la chocolaterie, datée de 1971).
Le livre trouve immédiatement son public, encourageant RENNIE à réitérer et à approfondir l’expérience. Plus fouillé dans l’étymologie et organisé en parties thématiques, l’Oxford Roald Dahl Thesaurus (ci-dessous) est publié en novembre 2019.
Des rubriques “Writing Hut“ sont proposées dans chaque partie pour inciter les enfants à créer eux-mêmes des mots à la manière de DAHL ; alors que, de leur côté, les enseignants sont invités à utiliser l’ouvrage pour animer des ateliers d’écriture.
Simultanément, l’éditeur sort un nouveau livre, cette fois uniquement consacré aux gros mots et aux injures en Gobblefunk : Roald Dahl’s Rotsome and Repulsant Words. Encore une fois aux manettes, RENNIE présente ainsi l’intérêt créatif et pédagogique de ce nouvel opus : “Les enfants comme les adultes sont fascinés par les mots qui repoussent un peu les limites. […] Les enfants ne vont pas avoir de problèmes en utilisant ces mots. Mais, en même temps, ils sont amusants à dire et ils sont très puissants. Je pense qu’en tant qu’adultes, nous oublions parfois à quel point la langue peut être amusante, surtout lorsque vous inventez des mots.”
Ce dernier livre a (contrairement au dictionnaire et au thésaurus) été traduit et publié en France sous le titre Petit Manuel des gros mots de Roald Dahl (ci-dessous). DAHL reste relativement moins connu en France que dans les pays anglophones (où, depuis 2006, il existe même un Roald Dahl Day), mais sa renommée y progresse rapidement, favorisée par les adaptations cinématographiques qui donnent un grand écho à ses romans pour la jeunesse.
Un vrai challenge pour les traducteurs
Au passage, rendons hommage aux traducteurs qui, à l’instar de ce qui s’est passé avec les Harry Potter, s’efforcent de trouver des équivalents aussi savoureux que les originaux. Notons que les traductions peuvent différer selon les versions livres et cinématographiques. Quelques exemples : si Snozzcumber, légume peu appétissant que mange le géant, est, dans les deux cas, traduit par « Schnockombre », la Frobscottle, sa boisson favorite, devient « Frambouille » et « Frétibulle ». De son côté, Swizzfiggling est traduit dans le livre par « Fanfaronner des sornettes » et, dans le film « Mentifoler », tandis que it’s glummy se dit « c’est savourable ! » dans l’un, et « c’est miamifique ! » dans l’autre.
Laissons à DAHL le mot de la fin : « Ce que je raconte dans mes livres n’a aucune importance et ne sert strictement à rien. Mais si, après avoir lu une de mes histoires, l’enfant dit : “Quel livre génial, j’adore les livres !”, alors j’ai gagné ! » À l’évidence, nous devons reconnaître qu’il a remporté son pari haut la main, au point d’avoir contribué à enrichir la langue anglaise.
Pour les amateurs, sachez qu’il existe un Roald Dahl museum and story centre installé dans l’ancienne maison de l’écrivain à Greta Missenden. La vidéo ci-dessous retrace rapidement la biographie de DAHL.