Un dictionnaire exclusivement consacré au virus
Conséquence inattendue de la crise sanitaire causée par l’irruption du Covid-19, la France s’est rapidement familiarisée avec tout un vocabulaire issu du milieu médical, avec des néologismes mais aussi des mots jusqu’ici fort peu usités, et souvent réinterprétés dans un sens nouveau. Depuis le début de l’année 2020, surtout après la mise en place d’un confinement général qui a débuté le 16 mars dernier, les Français n’ont cessé d’entendre parler de coronavirus, de gestes barrières, de clusters, de chloroquine, de comorbidité, de cas asymptomatiques, d’immunité collective, de masques FFP2 : soit autant de termes ésotériques pour les néophytes, qui émaillent quotidiennement le discours officiel, la communication des médias ou le babillage des réseaux sociaux.
Pour nous aider à décrypter ce qui s’apparente à un nouveau jargon, plusieurs organes de presse, des institutions et des sites Internet ont proposé des petites listes de mots destinées à guider le grand public, dont certaines ne se privent pas de jouer la carte de l’humour et le second degré. Pour la plupart d’entre nous, cette assistance “lexicographique” s’avère effectivement bienvenue, nous permettant de bien comprendre de quoi il retourne et ainsi d’éviter contresens et confusions. Mais, il faut bien le dire, ces petits lexiques sont le plus souvent succincts, centrés sur les mots “vedettes”, ceux qui reviennent le plus souvent et dépassent rarement quelques dizaines. Signalons quand même la sortie du livre Les Mots du coronavirus, un ouvrage organisé sous forme d’abécédaire, écrit par Olivier DUHAMEL et Laurent BIGORGNE, et qui a été publié le 29 avril dernier.
Pour rédiger dans l’urgence le premier vrai dictionnaire consacré à cette épidémie, il fallait un auteur chevronné, habitué à jongler avec les différents vocabulaires techniques, capable de travailler rapidement de manière efficace. C’est ainsi que nous recroisons le chemin de Henri GOURSAU, grand amateur de défis lexicographiques (ci-dessous, entouré de quelques-unes de ses réalisations), dont nous avions déjà évoqué le parcours atypique dans un billet précédent.
Pour ce lexicographe-éditeur autodidacte, une évidence s’impose alors : “La langue du moment, c’est le Covid !” Il juge donc nécessaire d’y consacrer au plus vite un véritable ouvrage de référence car, comme le dit notre auteur, “entre les confusions et les néologismes, j’ai pensé qu’il serait intéressant de créer un cadre autour de tous ces mots liés à la pandémie actuelle, et qu’ils soient mieux compris de la population française, qui vit cette catastrophe sanitaire”. Pendant plusieurs semaines, reclus dans sa demeure pyrénéenne, Henri GOURSAU a travaillé d’arrache-pied, son épouse avouant avec humour qu’“il s’est confiné dans ce nouveau dictionnaire, de 6h30 à 21 heures parfois”. Mais le résultat est là, et après 250 à 300 heures de travail intensif, son Dicovid se trouve enfin achevé.
Gratuit et en ligne
Du fait de la situation particulière du pays, le dictionnaire est uniquement publié en ligne, du moins pour l’instant. Pour GOURSAU, ce choix s’imposait : “Un dico en ligne, ça permet une diffusion rapide et les gens peuvent apprendre et se cultiver. Ça méritait un dico pour que l’on puisse fixer les mots et leur donner un sens ; on ne sait pas combien de temps ça va durer. Mais il faut que les mots de ce nouveau langage soient encadrés, car leur champ sémantique évolue avec le temps. Comme le sens de « gestes barrières », qui a changé. Il s’est enrichi de nouvelles mesures.”
Le Dicovid est accessible gratuitement depuis le 29 avril, via un portail Internet (ci-dessous, la bannière de la page d’accueil).
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Présenté sous une forme très épurée, ce lexique regroupe à sa parution 206 termes, dont chaque définition a été soigneusement élaborée pour atteindre un équilibre subtil entre la nécessité de la rigueur scientifique et le souci de rester accessible au plus large public possible : “En fait, chaque mot m’a donné du fil à retordre. Je voulais donner une définition grand public mais en faisant attention aux polémiques et en mettant sans cesse à jour, en recoupant toutes les sources et en observant l’utilisation de ces mots dans la presse. D’ailleurs, on peut toujours m’adresser des suggestions. Je me suis retrouvé à travailler sur les mots comme dans ma jeunesse, c’était passionnant.”
Une floraison de nouveautés linguistiques
D’Académie de médecine à Zoonose, en passant par Saisonnalité, Charge virale, Laboratoire P4, Orage cytokinique, Mutation du virus, Essai européen Discovery, Plateau épidémique, ou encore Randomisation, Bétacoronavirus, et le beaucoup plus sympathique Coronapéro, le Dicovid passe en revue les principaux termes acteurs et sujets au centre de cette crise sanitaire. C’est ainsi que nous pouvons distinguer les différents types de cas de contamination (autochtone, importé, présumé, probable, index, confirmé, etc.), de tests, de masques ou encore d’immunité et de patients.
Il ne s’attarde pas sur les rumeurs et les “fake news” qui n’ont pas manqué d’éclore, mais n’oublie pas de signaler les pistes thérapeutiques qui sont apparues (hydroxychloroquine, Bactérie Prevotella, Arénicole, Remdesivir, etc.), et dont les essais sont toujours en cours. Il recense également les anglicismes qui ont émergé à cette occasion et qui nous font parfois saigner les oreilles avant que nous nous habituions à eux, comme Clapping, Contact tracing, Super-spreader, Drive-test ou le fameux Social distancing, qui a engendré en français le curieux néologisme Distanciation sociale, qui bien qu’incorrect en soi est devenu le terme “phare” de la gestion cette épidémie.
À l’heure ou la France entame son déconfinement – encore un mot que l’on n’avait guère l’occasion d’entendre auparavant et qui laisse encore dubitatif nos correcteurs d’orthographe! – dans un climat marqué par la prudence, l’inquiétude et les incertitudes, le Dicovid devrait garder toute son utilité dans les semaines voire les mois à venir, à charge pour son auteur de l’actualiser et de l’enrichir en permanence, ce qui est le cas jusqu’ici puisque ce lexique atteint désormais 218 mots avec l’ajout récent de Brigade sanitaire et Triptyque du déconfinement.
Pour finir sur les conséquences linguistiques de la pandémie, signalons que cette nouvelle langue fait des remous jusque dans l’Académie française qui planche désormais sur les mots du Covid-19, et que l’antenne marocaine de l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (ALECSO) vient à son tour de publier un Dictionnaire Terminologique Covid-19 accessible en ligne et riche de 188 entrées en arabe, en français et en anglais.
En complément, nous vous conseillons la lecture de ce petit article des Échos, qui propose une petite sélection de néologismes nés en Europe à l’occasion de l’épidémie